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Opinion
100 jours de
révolution : demain la guerre ?
Hedy Belhassine
Jeudi 28 avril 2011
Devant les militants d’un parti pour lequel je n’ai pas voté
j’ai disserté maladroitement des sujets du moment.
Volontairement provocateur, je pensais être contredit. J’ai été
sagement applaudi. Sans doute parce que j’étais sur une estrade
et que l’on m’avait présenté à tort comme un expert et non comme
un amuseur d’idées sérieuses.
Le monde arabe est singulier
A la différence de l’Europe qui est un patchwork de 27 pays, 500
millions d’habitants, 23 langues, le monde arabe; 22 pays, 350
millions d’habitants, est une entité homogène. Pas seulement par
la langue commune à tous, mais aussi par le partage de la
primauté de valeurs d’appartenance familiale. Même si les
Egyptiens se posent en descendants des Pharaons et les Yéménites
en héritiers de la reine de Saba, chaque arabe perçoit à travers
sa lignée - ramifiée par ses aïeux en autant de branches que
d’épouses – les liens de sang qui l’unissent à d’innombrables
frères et sœurs. L’identité arabe n’est pas un concept, c’est
une réalité tangible. Au quotidien, les comportements et les
postures ne sont en rien différents depuis Tanger jusqu’à
Mascate.
Même les religions ne sauraient distinguer la manière d’être et
d’appréhender la vie du malékite par rapport au sépharade, du
chrétien d’Orient par rapport au chiite. Tous les arabes vibrent
à l’écoute d’une reprise d’Oum Khalthoum ou du murmure d’un
poème d’Abou Kacem Chebbi. Chacun chez son voisin s’y sent comme
chez soi car les modes de vie et les codes de conduite y sont
semblables.
Cette conscience identitaire s’est exprimée au plan politique
dans le panarabisme, dans l’engagement solidaire au côté des
palestiniens et dans un modèle de société religieuse fondée sur
la charia.
Il est étonnant que les révoltes arabes récentes ne revendiquent
aucune de ces paternités. Ni à Sidi Bouzid, ni au Caire, Manama,
Mascat, Qatif, Hodeida, Benghazi, Rabat, Damas…la foule n’a crié
de slogans baathistes, antisionistes ou intégristes.
Tout aussi surprenant, ni les Tunisiens, ni les Egyptiens n’ont
appelé à la constitution de brigades pour aller aider les
révolutionnaires voisins à se débarrasser de leur despote. La
révolution contagieuse n’a pas opéré de jonction.
Ni la Libye (pas encore) ni dans une moindre mesure l’Algérie
(ça vient timidement) n’ont saisi l’opportunité historique que
leur offrait les soulèvement tunisien et égyptien pour se
solidariser spontanément dans la perspective d’une communauté
d’intérêts économiques et politiques évidente. Les frontières
(coloniales) restent imperméables. En Afrique du Nord, les
circuits transitent par l’Europe.
Les facteurs d’une révolution
L’élection d’un homme doublement prénommé arabe - Barak et
Hussein - à la Maison Blanche a fait naître un immense espoir.
Le discours du Caire d’Obama en 2009 dans lequel il promettait
son soutien à tout mouvement de libération démocratique a été
passionnément entendu. Le monde arabe n’est pas en révolte
seulement depuis décembre 2010. Les soulèvements et les
répressions ont été innombrables depuis la décolonisation mais
inaudibles en occident. La nouveauté avec Obama, c’est qu’il a
exigé de Ben Ali et de Moubarak de laisser parler la rue et
qu’il a ensuite demandé avec elle leur départ.
Bien sûr cette attitude est sélective et ambiguë. On peut se
demander si Sarkozy aurait bombardé Carthage si Ben Ali avait
fait tonner l’artillerie sur Sidi Bouzid, Kasserine ou Thala ?
Second facteur de mobilisation : la société civile et
l’engagement personnel et physique d’une minorité agissante à
l’immense courage. Des dizaines de milliers d’hommes et de
femmes sont morts dans les geôles du monde arabe pour avoir osé
tousser : syndicalistes, poètes, journalistes, fellahs, juges,
avocats, militaires, commerçants…
Troisième élément : les réseaux sociaux. Grâce à Internet ; 30%
de la population tunisienne et 20% de la population égyptienne
sont connectés. Le premier parti politique tunisien est Facebook
avec deux millions « d’amis ». Sur twitter, Slim 404 –devenu
ministre – a rassemblé en quelques heures 20 000 partisans. Lina
Ben Mheni, jeune bloggeuse parfaitement trilingue en a fait
autant. Chaque citoyen arabe a désormais le sentiment de pouvoir
devenir un Zaïm. Ceci augure peut-être d’une nouvelle forme de
démocratie directe et réactive.
Islamisme
Les dictatures arabes doivent leur longévité à leur fonction
supposée de rempart contre l’islamisme (identifié comme axe du
mal et terroriste) ou contre l’immigration.
Pour la Tunisie et la Libye c’était les deux.
L’islam extrémiste est une réalité qui se propage grâce au
prosélytisme d’une secte rigoriste ultra minoritaire et ultra
riche : les wahhabites d’Arabie. Pour des millions
d’intégristes, la gouvernance par la charia telle qu’elle est
exercée en Arabie Saoudite est un modèle paradisiaque à répandre
sur toute la terre pour le bien de l’humanité.
Mais la révolution arabe est khobziste (khobz : pain), elle
serait même revendicative de la séparation du politique et du
religieux donc anti-charia. En islam, l’immolation est un geste
apostat ; or c’est de ce fait divers de désespoir qu’est né le
soulèvement de Sidi Bouzid. La révolution arabe est de ce point
de vue porteur d’espoir d’autant que les islamistes savent
qu’ils ont été instrumentalisés par la dictature et que leur
avenir politique réside non pas dans la radicalisation mais dans
la modération de la voie turque, malaisienne, indonésienne et
même indienne.
Immigration
L’immigration est une situation d’exclusion ressentie par tous
les peuples des pétromonarchies arabes. En Arabie les esclaves
du tiers monde représenteraient 40% de la population, 80% dans
les émirats et au Qatar. En Libye, ils seraient deux millions à
fuir la guerre. La Tunisie en a reçu des centaines de milliers,
des philippins, des chinois, des bengladesh, des érythréens, des
soudanais, des maliens…Pour un pays de 10 millions d’habitants,
c’est comme si la France accueillait des réfugiés par millions.
L’attitude récente de l’Italie de Berlusconi est indécente,
celle de la France n’est pas glorieuse. Comme si quelques
milliers d’immigrés tunisiens à Lampedusa pouvaient mettre en
péril l’économie de 500 millions d’européens.
Il ya quinze ans, la Grèce a reçu plus d’un million de Kosovar
albanais qui fuyaient la guerre des Balkans. L’immigration est
aussi affaire d’humanité. Si demain une catastrophe nucléaire du
type Fukushima affectait la France, plusieurs millions
d’Européens viendraient probablement se réfugier en Afrique du
Nord.
Contre révolution
C’est le revers de la médaille dont on aurait tort de mésestimer
la laideur. La Tunisie et l’Egypte étaient des maffiocraties
c'est-à-dire des systèmes d’asservissement par la terreur au
profit de l’enrichissement sans limite d’une « famille ».
Lorsque l’on parle de dictature en Europe, ce n’est pas référent
sauf pour les vieux espagnols, portugais et grecs. La plupart
des régimes arabes sont de la pire espèce. Il s’agit d’un
fascisme fondé sur la conviction de supériorité d’un petit
groupe de prédateurs sur les autres hommes. La capacité de
nuisance de la contre révolution arabe dépendra pour une large
part de la complaisance de la communauté internationale. Or
malgré les mandats d’arrêt, aucun complice de Ben Ali n’a été
jusqu’à présent interpellé. A trop tarder, la justice n’en sera
que plus expéditive.
Lendemains de révolution
Le soulèvement des peuples arabes a un dénominateur commun
singulièrement admirable: il est pacifiste.
Même au Yémen où la tradition veut que chaque homme arbore un
couteau et possède une kalachnikov, la foule par milliers défile
chaque semaine à Sanaa, Aden, Taez sans violence. Les
projectiles tueurs sont tirés par la police et l’armée et,
accessoirement dans la province d’Abyan, par les drones de la
CIA.
En Syrie, le régime massacre et tente de terroriser les jeunes
lanceurs de pierres. A Bahreïn et au Yémen, l’Arabie Saoudite
(avec le support des images de satellites français?) s’est
portée en renfort de la répression épouvantable.
En Libye, adoptant une stratégie inverse, la France a entrainé
l’Otan dans une guerre contre un dictateur qui était son ami il
y a encore quelques mois.
Tous les régimes arabes se savent aujourd’hui condamnés. Ils
sont le dos au mur et sous l’influence d’intérêts qui peuvent
les conduire dans des aventures aux conséquences tragiques. Nul
n’a encore pris la mesure de la révolution arabe qui dépasse en
ampleur et en enchainement celle de l’Iran et peut-être même
celles de Russie et de France.
Quelle sera la résistance des pacifistes pour refuser la guerre
vers laquelle toute révolution trouve sa maturité ? Aujourd'hui,
sans exception, les armées arabes sont en alerte rouge. C’est un
funeste présage.
Publié le 29 avril avec l'aimable autorisation de l'auteur.
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