Opinion
La guerre des
diplomates
Hedy
Belhassine
Bandar Ben
Sultan
Lundi 17 septembre
2012
En juillet dernier,
un événement est passé inaperçu. Le roi
Abdallah d’Arabie a nommé à la tête de
ses services secrets le plus américain
de ses sujets.
A 63 ans, l’Altesse Royale et pilote de
chasse Bandar Ben Sultan n’est pas un
perdreau de l’année. Fils de Prince
héritier défunt, riche à milliards, il
fut pendant plus de vingt ans,
ambassadeur à Washington. C’est un
familier des lobbies néoconservateurs.
Il dit « you » à tous les influents. Il
est à tu et à toi avec tous les pontes
républicains (et même avec quelques
démocrates. Il fait partie de la famille
père et fils au point d’avoir hérité du
sobriquet de Bandar Bush. Enfin, last
but not least, Bandar est le parrain des
Sudairi la tribu dominante des Saoud, ce
qui lui laisse entrevoir le trône dans
un délai raisonnable car le Roi son
oncle aura 89 aux prunes.
En attendant, il a pris la tutelle des
affaires secrètes extérieures du
royaume, ce qui n’est pas rien. Les
services spéciaux saoudiens disposent de
moyens considérables et d’une expérience
inégalée des théâtres de guerre. La
plupart des salafistes du monde sont
sous influence. En principe, il
suffirait que Bandar fronce les sourcils
pour que les barbus du Caire, de Tunis,
de Karthoum, de Benghazi, de Sanaa, de
Paris et d’ailleurs retournent dans
leurs mosquées. Il suffirait qu’il
décroche son téléphone pour que les
gouvernements du « printemps arabe » lui
disent Sidi. Il suffirait qu’il lève le
menton pour que « l’ex-police de
Moubarak et de Ben Ali » cessent de
bailler aux corneilles. Bandar peut
tout, presque partout. Sauf en Syrie et
en Iran c’est évident. Mais dans ces
pays, on n’assassine pas les diplomates
au premier prétexte bidonné.
Mais alors pourquoi BBS, le prince de
l’internationale des barbouzes barbus ne
protège t-il pas ses amis américains
assiégés dans leurs chancelleries de
Libye, d’Egypte, du Yémen…
A Tunis, l’attaque avec préavis de
l’ambassade US n’a mobilisé qu’un pour
mille des effectifs policiers, soit 150
hommes plus quelques militaires venus en
renfort depuis la caserne d’en face. Ils
n’ont pas pu empêcher que la première
enceinte du bunker américain soit
envahie par un millier d’excités. Le
ministre de l’intérieur s’est déplacé
fort tardivement. Le Premier ministre
était en congé, le Président était à
Carthage 6 kilomètres plus loin, mais il
n’a rien entendu. Tous ont présenté
leurs regrets pour la bannière étoilée
brûlée.
Le gouvernement tunisien s’est fendu
d’un communiqué « … cet incident (4
morts, 50 blessés) ne peut en aucun cas
affecter les relations d’amitié et de
coopération tuniso-américaines » (sic).
Il a aussi réclamé une loi universelle
punissant le blasphème et les cinéastes
amateurs qui s’aviseraient de singer le
« responsable » de tous ces désordres.
Ainsi, le pouvoir tunisien vient de
rejoindre l’écho-système wahhabite qui
considère que le battement des paupières
d’un quidam islamophobe en Californie
peut déclencher un ouragan de l’autre
coté de la planète.
Mais revenons à notre super héros Bandar
ben Sultan. Où est BBS ? Justement,
personne ne le sait depuis qu’une
explosion a secoué le siège de son
administration une semaine à peine après
sa prise de fonction. La rumeur de sa
mort s’est propagée ; immédiatement
suivie d’une contre-rumeur. Vrai faux ?
Qui, pourquoi, comment ?
BBS est-il arrivé trop tôt ou parti trop
tard, ou l’inverse ?
Ce qui reste énorme, c’est qu’un
attentat ait pu secouer l’un des bunkers
les mieux protégés d’Arabie de la même
façon et en réplique à celui de Damas
qui avait coûté la vie au ministre de la
défense syrien quelques jours avant.
Le système saoudien aurait-il implosé «
façon puzzle » ? Dans cette hypothèse,
des pans entiers de l’appareil auraient
fait sécession et se seraient affranchi
de la tutelle états-unienne ? Des
fractions joueraient-elles les électrons
libres ? La lutte pour le pouvoir à
Washington et à Riyad aurait-t-elle
engendrée des alliances de circonstance
contre-nature ? Brr ! Froid dans le dos.
Le tableau est surréaliste. Voici des
salafistes de tous les pays armés et
payés par les USA, l’Arabie, le Qatar
pour aller faire le coup de feu en Syrie
qui se retournent contre leurs
commanditaires à Tunis. Voici les «
libérateurs » de la Libye remerciés en
assassinats. Voici le Pape à Beyrouth,
fêté par le hezbollah. Voici un quidam
auteur d’un clip qui fait un tabac
sanglant en mondovision.
L’Orient compliqué ne pardonne pas aux
naïfs.
Les Etats Unis sont entrés en campagne
électorale, la période des pires
dangers. Le Moyen Orient est l’une des
lignes de démarcation de l’affrontement
démocrates/républicains. D’abord en
raison du niveau d’allégeance
traditionnelle de la Maison Blanche à
Israël - la brouille Netanyahu/Obama
n’est qu’un épisode de circonstance -
ensuite parce que les néoconservateurs
sont soutenus par les lobbies
gaz-pétrole-armement dont le monde arabe
constitue la première source de profit,
enfin et surtout à cause de la vision
largement partagée par les Américains du
rôle messianique que leur pays doit
jouer dans la gouvernance de la planète.
En une semaine, la guerre des ambassades
a réduit la politique arabe d’Obama à
néant. Ses paroles du Caire et
d’Istanbul sur un islam démocrate et
tolérant sont oubliées. Sa posture
électorale est compromise. L’Américain
découvre que la guerre de Libye n’est
pas finie, que la paisible Tunisie est à
feu et à sang, que l’Egypte s’est
dés-alliée, bref que les sionistes ont
raison: « les musulmans sont des
barbares ».
Israël jubile !
La marge de manœuvre de la Maison
Blanche est courte. Les auxiliaires «
alliés » du Pentagone viennent de
démontrer leur absence de fiabilité.
Reste que pour se prémunir des
fourberies de ses amis, il vaut parfois
mieux pactiser avec l’adversaire ! Mais
peut-être est-il déjà trop tard ?
Le sommaire de Hedy Belhassine
Le dossier
Tunisie
Les dernières mises à jour
|