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Opinion
Le jour où l'Arabie
se réveillera
Hedy Belhassine

Riyad
Jeudi 17 février 2011
Ben Ali, Moubarak, les cartes du château arabe s’écroulent en
cascade. Les dirigeants se retournent la nuit dans leur lit. La
contagion révolutionnaire sourd au Maghreb et au proche orient.
Ses effets vont, probablement dans l’année, affecter le système
à l’échelle planétaire mais le jour où l’Arabie Saoudite se
réveillera, le monde changera.
Peu de gens connaissent l’Arabie Saoudite. Et pour cause ! Qui a
lu un livre, un article ou vu un reportage à la télévision sur
ce pays ? On sait que plus d’un milliard et demi de musulmans
rêvent de s’y rendre pour y accomplir leur pèlerinage à La
Mecque et Médine, que les princes habillés de tuniques blanches
sont capricieux et généreux comme le petit Abdallah dans «
Tintin au pays de l’or noir », on sait que c’est le premier
exportateur de pétrole et accessoirement le premier importateur
d’armes. Mais pour le reste ? En 1931, Albert Londres en
reportage, nous en apprenait davantage sur le Nedj qu’une
recherche sur Google aujourd’hui.
A l’abri des touristes et des journalistes occidentaux, l’Arabie
vit cachée derrière un opaque rideau de pétrole. Ses habitants
étouffent sous la chaleur du climat et la répression de la
police religieuse, véritable inquisition qui leur impose un mode
de vie monacal au nom d’un sectarisme fondé sur une
interprétation insensée du Coran.
Arabie Saoudite, 28 millions d’habitants, seulement 14 millions
d’âmes. Les femmes ne sont que filles de père ou mères de fils.
Elles ont un statut d’incapable majeur. Tout leur est interdit :
de montrer leur peau, leurs cheveux et leurs sourcils, de
s’aventurer au supermarché sans être accompagnées d’un mari ou
d’un tuteur dûment autorisé ; interdit de conduire une voiture,
de faire du sport, de travailler dans des lieux où il y a des
mâles, de voyager, de chanter, de danser, de rire… Le mariage
forcé des fillettes de dix ans est valide. Les mariages
provisoires (messyar) aussi.
Voici pèle mêle quelques récits rapportés par la presse locale :
des gamines brulées vives dans l’incendie de leur école,
d’autres noyées lors d’une baignade à la plage. Dans les deux
cas, les secours ont été empêchés d’approcher par la police
religieuse qui craignait un contact physique donc satanique
entre fillettes et sauveteurs.
Le mois dernier, un couple fait ses courses dans une galerie
commerciale. Un policier croit déceler un regard vicieux dans la
meurtrière de la burqa de madame, il menace l’effrontée de son
bâton, son mari, soldat dans le civil, proteste. Mal lui prit,
il est menotté et rossé. A sa sortie d’hôpital 17 jours plus
tard, le tribunal le condamne à 28 jours de prison et à 30 coups
de fouets pour offense à un agent de la Commanderie pour la
prévention du vice et la promotion de la vertu (PVPV c’est le
nom officiel des moutawwa, la police religieuse). Mais le sort
des saoudiennes reste enviable comparé à celui des deux millions
et demi de petites bonnes à tout faire importées d’Asie dont
nombre sont réduites à l’esclavage.
Lire les faits divers de la presse saoudienne donne les
cauchemars d’un voyage au bout de la nuit !
Le temps en Arabie est celui des prières. On ne se donne
rendez-vous qu’avant ou après l’une des cinq prières qui
ponctuent la journée car à l’appel du muezzin, la vie marque une
pause : Carrefour, Ikea, Pizza Hut, tous les commerces se
vident, les rideaux sont tirés pour une petite heure.
Cela fait 38 ans qu’il n’y a plus de cinémas, ni de théâtres,
d’opéra, de galeries d’arts, de bars, de discothèque, de radio
musical, de programme de variété à la télé, pas de plage ni de
restaurants mixtes, pas de music hall…J’exagère une peu car l’an
dernier a eu lieu un récital de chants. Le présentateur est
monté sur la scène et devant une salle pleine à craquer séparée
en son milieu par un corridor de toile –les femmes voilées d’un
coté, les hommes à moustaches de l’autre - il a annoncé
doctement que le comité d’organisation avait décidé sous la
contrainte de son plein gré, de supprimer l’orchestre et que les
artistes se produiraient par conséquent à capela. Ce n’était pas
une blague !
Cette vie austère favorise la consommation de drogues en tous
genres et les pires dépravations sexuelles d’autant plus
excitantes que leurs auteurs risquent d’avoir le cou tranché en
place public. Sauf la noblesse dont les britanniques, toujours
bien informés sur ces chapitres, estiment à 7 000 le nombre de
princes mais sans préciser celui des princesses. Ces happy few
ne sont pas concernés par les lois imposées au tiers état et aux
étrangers.
La discrimination est érigée en loi. L’échelle des sujets est
celle de nos lointains aïeux. D’abord les nobles, puis les
riches bourgeois, les quidams aisés, les petits et enfin les
misérables. Dans le pays le plus riche du monde, il y a selon le
ministre des affaires sociales, 650 000 familles de 4 à 6
personnes qui vivent dans des taudis et subsistent de la charité
publique. Les immigrés sont aussi catégorisés par origine :
états-unienne, canadienne, australienne, européenne, musulmane
arabe et asiatique et le reste. A emploi égal, il vaut mieux
être Texan que Sri Lankais, le salaire est dix fois supérieur !
Au pays où le rire est suspect, la population se tait en
silence. Le bâton n’est jamais loin. Les gens vivent cachés dans
des maisons aux fenêtres aveugles. La télévision satellitaire (à
parabole furtive) engendre une frustration permanente chez les
hommes. Les chaines libanaises déversent des tombereaux de
suggestions licencieuses. Même la présentatrice du journal
télévisé de France 24 en arabe avec ses « cheveux lâchés »
provoque de douloureux fantasmes. Que dire des photos qui
circulent sur les téléphones portables ! Et des images de
magazines entrés clandestinement comme Marie Claire, Elle, le
Petit Echo de la Mode…!
Il y a dix ans, lorsque l’on présentait un billet de cent francs
à un guichet de change, le caissier s’empressait de couvrir les
seins de la Marseillaise d’un coup de feutre noir. Le passage à
l’euro a déçu les banquiers lubriques !
Dès leur plus jeune âge, les enfants mâles sont séparés des
femmes. Le garçonnet de cinq ans se lève avant l’aube pour
suivre la prière derrière son papa. A l’école l’essentiel de son
apprentissage et de son enseignement sera religieux. Aucune
matière n’échappera à la prévalence de la théologie.
L’endoctrinement est méthodique. La dérive fasciste est
fréquente. Ainsi les gamins sont-ils invités à dénoncer les
manquements à la religion de leurs parents et de leurs
enseignants. Un instituteur a récemment été interpellé dans sa
classe après la plainte d’un élève. Il encourt la peine de mort
si le blasphème ou l’apostasie est avéré.
Sur cette terre hostile aux bêtes et aux être humains se niche
pourtant un paradis : La Mecque. Là, tout est beauté, clarté et
volupté. Des milliers et des milliers d’hommes, de femmes (non
voilées), tous pareillement couverts de tissus blanc, chaussés
d’espadrilles simples. Foule immense, lavée et pure qui avance
sans voir, béate, le regard ailleurs, marmonnant la phonétique
du Coran. Car la plupart ne savent pas l’arabe. La vague humaine
est en majorité asiatique ce qui est normal puisque le peuple
arabe n’est que la douzième partie de la communauté musulmane
mondiale. La Mecque est un lieu hors du temps, hors d’Arabie,
l’homme s’y découvre humain, aimant et tolérant. Les wahhabites,
gardiens des lieux saints, sans doute frappés par la grâce et le
soleil, tentent désespérément d’élargir le sanctuaire à
l’ensemble de la péninsule voire au reste de la terre, ils
rêvent même de bouter le démon hors de l’univers. Vaste
programme !
En cette année 1432 de l’hégire, la dynastie des Saoud est
inquiète.
Elle a du mal à convaincre ses sujets que la démocratie
naissante à Tunis et au Caire est le châtiment d’Allah aux
peuples qui se vautrent dans le stupre et la luxure au point de
s’immoler (en islam c’est un interdit absolu). L’asile donné au
général milliardaire Ben Ali n’a pas bonne presse.
En Tunisie et en Egypte le peuple s’est allié à l’armée, clé de
la révolution, pour chasser la police d’un régime prédateur. En
Arabie, la configuration militaire est à peine différente.
Le pouvoir est partagé entre le roi et ses deux demi-frères
princes héritiers. Chacun dispose de l’allégeance d’une armée.
La garde nationale au premier, les forces terre-air-mer au
second, les gardes frontières, la police et les traqueurs de
vice pour le troisième. Les trois octogénaires sont fatigués et
dépassés. Les cours de leurs fils, petits-fils et arrières
petits fils respectifs aiguisent les ambitions, ils comptent sur
leurs forces de dissuasion dont aucune n’est inférieure à 150
000 hommes suréquipés. Ce paysage pacifiste, est complété en
arrière plan par des dizaines de milliers de coopérants et
instructeurs militaires américains.
Pour disciplinées qu'elles soient, les troupes saoudiennes ne
prisent guère les batailles fratricides. La guerre du Golfe a
laissé un goût amer et la récente répression du soulèvement des
tribus yéménites à la frontière n’est pas un sujet de gloire. Il
est improbable que l’armée se laisse entrainer dans une guerre
des princes ou des provinces.
Reste la police religieuse, véritable milice de l’obscurantisme,
elle est haïe par les jeunes, mais soutenue par une partie
fanatisée de la population. Pourtant, à la faveur d’un drame
médiatisé comme ce fut le cas en Tunisie le peuple pourrait bien
se soulever en masse.
La rue saoudienne, il est vrai, n’est pas faite pour marcher
mais pour rouler, nul ne s’y risque jamais à part les
travailleurs immigrés. Ils sont 7 millions, dont un million
d’Egyptiens désormais voués à toutes les suspicions. Mais
inlassablement, cinq fois par jour, les salles de prières sont
obligatoirement pleines, alors faute de réformes aujourd’hui, la
révolution arabienne pourrait bien demain s’inviter à la sortie
des mosquées et libérer les enfants du prophète de
l’inquisition.
Barack Hussein Obama aura-t-il pour la rue saoudienne le même
langage encourageant qu’il a tenu aux Tunisiens et aux Egyptiens
? C’est une tout autre histoire !
En 1945 au retour de Yalta, Roosevelt avait reçu à bord du
croiseur Quincy à l’ancre au large d’Alexandrie, le roi Abel
Aziz Ibn Saoud fondateur du Royaume d’Arabie. Le coup de foudre
fut immédiat entre le président madré et le souverain bédouin.
L’américain paraplégique avait offert à son hôte qui boitait un
fauteuil roulant semblable au sien afin de pouvoir évoluer de
conserve sur le pont du navire. Il lui fit découvrir le cinéma,
la TSF, le téléphone, le hamburger et les oignons frits, Ibn
Saoud raconta l’islam et la Palestine, les chameaux et les
faucons, la faim et la soif de son peuple gêné par les flaques
de cambouis parsemant le désert. Les deux compères décidèrent
que désormais, l’Amérique protègerait le royaume des Saoud
contre toutes menaces extérieures sans jamais se mêler de ses
affaires intérieures ; en contrepartie, l’Arabie partagerait
l’exploitation de son pétrole jusqu’à la fin des temps. Ils se
touchèrent la main. Le pacte du Quincy était scellé. Le choc des
civilisations entraina une alliance sans faille qui ne sera
jamais transgressé, pas même le 11/09 sinistre jour de gloire
des terroristes saoudiens.
Mais la semaine dernière, quelques heures seulement avant la
démission de Moubarak, le roi Abdallah d’Arabie aurait échangé
au téléphone des mots de colère avec Obama. Le pacte du Quincy
a-t-il du plomb dans l’aile ?
Tout sépare le jeune Président progressiste qui sait l’islam du
monarque octogénaire incapable de tweeter. Les wahhabites,
alliés inconditionnels des Bush n’ont plus l’oreille
bienveillante de Washington. Pourtant aucun observateur ne
scénarise une prochaine insurrection du peuple d’Arabie.
Pourquoi et par quel antidote la saoudie échapperait-elle à la
crise systémique ?
Lorsque Barack Hussein Obama dans son discours du Caire de Juin
2009 avait promis de se tenir aux côtés des peuples arabes qui
lutteraient pour leur démocratie,
un anonyme dans la salle s’était levé pour lui crier « on vous
aime ! »
Publié avec l'aimable autorisation de l'auteur
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