Tunisie
Tunisie, futur
partenaire... «piégé» par l'Europe
Hédi
Sraieb
Mercredi 31 octobre 2012
Honte à la «troïka» au
pouvoir et à ceux qui, par leur silence
complice, cautionnent un accord douteux,
réalisé en catimini et qui renforce la
dépendance de la Tunisie vis-à-vis de
l’Union européenne.
Par Hédi Sraieb*
Un bref communiqué laconique, passé
quasi inaperçu émanant du ministère des
Affaires étrangères et plus
particulièrement du secrétariat d’Etat
en charge des Affaires européennes
indique que «la Tunisie accèdera au
statut de partenaire privilégié de
l’Union européenne le 19 novembre 2012»,
communiqué qui précise que cet accord
sera entériné lors d’une rencontre
solennelle avec Stefan Fule, commissaire
européen à l’Elargissement et à la
Politique européenne de voisinage.
Dans cette période de troubles et de
tensions exacerbées, le gouvernement et
ses sbires de «hauts fonctionnaires
et de grands commis de l’Etat», ont
négocié, dans le plus grand silence, et
sont prêts à signer un accord prénommé
«statut avancé». De quoi
s’agit-il?
Des effets lents mais
dévastateurs observés
Pour faire bref, et éviter les
travers d’une description techniciste,
il ne s’agit ni plus ni moins que
d’amarrer un peu plus le destin de notre
devenir économique et social à celui de
l’Europe. Ce statut, nous propose
d’ouvrir plus encore nos frontières aux
biens et services ainsi qu’aux capitaux
internationaux. Il parachève en quelque
sorte l’accord d’association signé en
1995, qui a singulièrement transformé le
paysage économique et social.
Souvenez-vous des effets lents mais
dévastateurs observés tout au long de
ces 15 dernières années: démantèlement
des tarifs douaniers se traduisant en
pertes de recettes fiscales
considérables. Envahissement des
produits importés détruisant
subrepticement le «made in Tunisia»
et aggravant les déficits extérieurs.
Accaparement par des enseignes
étrangères de la grande distribution,
faussant les circuits et ruinant nombre
de petits commerces. Vente par
appartement de pans entiers de nos
industries et de nos services
fragilisant un peu plus encore notre
tissu économique. Braderie de bijoux de
famille (secteurs-clés et vitaux) sans
autre forme de procès et au plus grand
bénéfice de multinationales. Un bilan
affligeant, consternant dont on voit
tous les jours les effets.
Ce nouvel accord est attentatoire à
la souveraineté nationale. Je pèse mes
mots. Il est, qui plus est, totalement
illégal parce que ce gouvernement
«provisoire» n’a aucune légitimité à
décider d’un texte international (qui a
valeur de traité) qui engage le pays sur
la longue période. Cet accord, en
l’état, hypothèquerait nos chances de
redéfinir un autre modèle de
développement. C’est un «flagrant
délit» d’atteinte à la souveraineté
nationale! Oui vous avez bien lu.
Vais-je être et rester seul à dénoncer
ce dernier et grave outrage fait à notre
pays et à son peuple indépendant!
Réveillez-vous chers et éminents
confrères!
Les études qui font le bilan de cet
accord d’association ne manquent pas.
Plus personne n’est dupe de ce pseudo
partenariat ! Elles décrivent, avec
force de détails et de chiffres les
effets mécaniques mesurables qui
détruisent nos fragiles équilibres.
Jebali et
Barroso à la signature des accords entre
la Tunisie et l'Union européenne
Elles montrent aussi et encore plus
gravement ces logiques infernales,
insidieuses, et perverses qui ont
enfermé durant toutes ces années, nos
potentialités de développement dans une
voie sans issue, de fuite en avant, dans
ce que l’on croyait être le miracle
économique.
Un
«sauve-qui-peut»
dans toujours plus de dépendance
L’impasse de ce modèle mis en musique
par les équipes Barosso nous a été
révélée par le surgissement de cette
révolution: nouvelle pauvreté, précarité
généralisée, sous-emploi massif, tissu
économique frêle et chétif qui n’a eu
que pour seul devenir qu’un
«sauve-qui-peut», dans toujours
plus de dépendance (sous-traitance de
main d’œuvre) toujours aussi
dévastatrice et débouchant sur la double
fracture sociale et régionale!
Soyons juste, ce nouvel accord dit de
«partenariat avancé» ne fait
pas que des malheureux. Il a même ses
défenseurs zélés et acharnés. Je ne
m’étendrais pas plus avant. Soit !
Mais la béatitude de nos élites est
consternante! Le silence assourdissant
des responsables politiques est
calamiteux et misérable! Il serait bien
trop long de faire l’inventaire des
méfaits de ce choix de 1995, aujourd’hui
réitéré par un gouvernement provisoire
d’apprentis sorciers. Certes, ce dernier
est dominé par une formation islamiste
ultralibérale, pour qui cet accord est
un prolongement «naturel», mais tout
aussi accepté par ses partenaires dit de
gauche et qui plus est dont l’un d’entre
eux appartient à l’internationale
socialiste. On croit rêver! Mais que
dire aussi du silence non moins suspect
de l’aréopage – de plus de cinquante
«brillants experts» –, qui entoure
Nida Tounès?
Ne devrait-on pas de demander, que
dis-je exiger, l’ouverture d’un large
débat national sur cette question
éminemment cruciale pour le devenir de
notre «vivre ensemble», pour la
reformulation d’un autre modèle
économique plus viable, plus équitable
et plus soutenable. Les effets de cet
accord passé en 1995, qui n’a
d’équilibré que le mot, sont là et sont
en passe de connaître de nouveaux
prolongements.
Faites un effort et demandez-vous
pourquoi certains sont tombés dans un
consumérisme forcené de marques
étrangères quand d’autres ne savaient
pas comment boucler les fins de mois!
Interrogez-vous sur les raisons du sous
investissement national chronique?
Questionnez-vous sur ces investissements
étrangers qui ont prospéré sur un
salariat banalisé et bénéficiant, en
sus, d’une loi d’exception s’agissant du
droit social et syndical? Fatalité?
Je n’entends ni l’Utica, ni l’Ugtt
s’insurger sur ce qui ressemble fort à
un coup de force, en catimini, sous le
regard narquois et cynique de cette
chère Catherine Ashton, grande prêtresse
de cette zone de libre échange!
De «mauvaises surprises» en
vue
Une acceptation tacite mais hautement
dangereuse, mais il est vrai aussi
implicite de la part des progressistes
sincères qui n’en finissent pas de
croire que la construction
d’institutions politiques démocratiques
et l’Etat de droit est la condition
sine-qua-none de la résolution de nos
problèmes. Quelle détestable méprise!
Quelle chimère indigne, grosse de futurs
drames et de désillusions!
Entre naïfs inconscients, et
encenseurs «intéressés» du
social-libéralisme, il y a du boulot
avant qu’une véritable prise de
conscience ne se fasse jour et trouve
aussi son expression politique! Arrêtez
démocrates candides de vous bercer de
fantasmes! Mais sans doute jugez-vous le
propos excessif et inconvenant? Alors
allons plus loin et plus avant: mais que
peut bien contenir ce nouvel accord qui
vaille que l’on s’y attarde? Que peut-il
nous réserver comme «mauvaises
surprises»?
L’espace étant compté je ne peux
qu’effleurer une réponse. Il s’agit tout
bonnement de l’ouverture des secteurs de
l’énergie et des services aux capitaux
étrangers! Entendez, privatisation et
mise en concurrence dans les secteurs de
l’eau, de l’électricité, du gaz, des
transports aérien et maritime, des Tic,
que sais-je encore!
On pourra toujours parler des
bienfaits de la démocratie quand
Tunisair, la Steg, la Sonede, mais aussi
les services d’éducation et de santé
publiques, j’en oublie, auront tous été
démantelés au profit de quelques grands
dont je tairais ici les noms!
Qui ne dit mot, consent! A bon
entendeur salut!
* Docteur d’Etat en économie du
développement.
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Publié le 31 octobre 2012 avec
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