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Les nouveaux désinformateurs
Entretien avec Guillaume Weill-Raynal
Photo Oumma
mercredi 4 avril 2007
Comment pourrait-on définir
la désinformation ?
C’est un mot qui fait « savant »,
qui fleure bon les techniques modernes de communication. Mais en
fait, la désinformation n’est rien d’autre que la mise en œuvre,
sur un plan collectif des procédés éternels de la mauvaise foi
inhérente à la nature humaine. L’homme sait d’autant mieux
mentir à ses semblables qu’il est avant tout doué d’une
extraordinaire capacité à se mentir à lui-même, à confondre
la réalité avec ce qu’il voudrait qu’elle soit.
Dans la vie de tous les jours et dans une relation
entre deux ou trois individus, cela fonctionne déjà à
merveille. Dans la pièce de Molière, Tartuffe réussi à
phagocyter toute une famille parce qu’il a deviné chez le chef
de cette famille - Orgon - une vision préconçue et rigide du
monde qui ne demande qu’à être flattée. Orgon est dupé, il
devient la marionnette de Tartuffe, c’est une victime, mais il
se transforme en même temps en redoutable tyran familial, sans même
s’en rendre compte.
Il est sincèrement persuadé d’être un
« axe du bien » à lui tout seul. La désinformation
repose sur le même principe, appliqué non plus aux relations
individuelles mais aux masses. Lénine la résumait en une seule
phrase : « Dites-leur ce qu’ils ont envie
d’entendre ». Volkoff avait justement noté que la désinformation
utilise, en fait, les mêmes techniques que celles du marketing
moderne : que représente pour vous ce paquet de nouilles ?
À quelle image l’associez-vous ? Quel discours dois-je
vous tenir pour vous donner envie de l’acheter ? etc.
Il avait analysé avec la même perspicacité ce mécanisme
de « vampirisation » qui permet à la désinformation
de prospérer : chaque victime de la désinformation se fait
à son tour désinformateur. C’est ce qu’on appelle la
« caisse de résonance », la chaîne des « idiots
utiles » qui relayent la désinformation sans toujours en
avoir conscience, parfois de bonne foi, mais le plus souvent
aveuglés par leur vanité. La désinformation exploite des vieux
clichés qui correspondent généralement à des désirs plus ou
moins conscients, enfouis en chacun mais universellement partagés.
Vous affirmez qu’une opération
concertée de désinformation pourrait être à l’origine des
conflits qui agitent la France ? Et pourquoi la France
particulièrement ?
Je suis parti d’une réflexion sur cette
concurrence mémorielle des souffrances identitaires qui, depuis
quelques années, empoisonne notre vie intellectuelle.
Aujourd’hui, le débat en France semble comme brouillé par ces
querelles stériles autour du nouvel antisémitisme, de la
souffrance noire, du racisme anti-blanc, de la mémoire coloniale
etc. qui ont pour premier effet de dresser les gens et les
communautés les uns contre les autres. Semer la discorde dans le
camp adverse, c’est depuis la nuit des temps - de Sun Tzu à
Goscinny et Uderzo, voyez Astérix et La Zizanie - un classique
indémodable de la guerre psychologique.
Or, ces querelles apparaissent comme la conséquence
et la suite logique de l’instrumentalisation et du dévoiement
de la lutte contre l’antisémitisme que j’avais analysés et
critiqués dans Une haine imaginaire. Cette instrumentalisation, déjà,
apparaissait comme un efficace outil de désinformation destiné
à empêcher tout débat rationnel sur le conflit du
Proche-Orient. Ces querelles qui viennent à sa suite laissent
penser qu’il ne s’agissait que d’une partie d’un ensemble
plus vaste.
Toutes ces polémiques mêlent des thèmes qui peu
ou prou renvoient à la question du choc des civilisations. La
France constitue à cet égard une cible de choix. En tant que
chef de file des pays qui se sont opposés à l’aventure américaine
en Irak. Et aussi parce que c’est dans le monde occidental le
pays qui voit cohabiter sur son sol les communautés juive et
musulmane les plus importantes.
Dans l’affaire Charles
Enderlin, journaliste à France 2, quel était l’objectif
recherché par ceux qui ont tenté de faire croire que l’origine
du tir qui a tué le petit Mohammed Al Dura en 2000 était
d’origine palestinienne ?
Ils ont tenté bien plus ! Ils ont même réussi
à faire croire à un large public que le film de France 2 était
une falsification, une mise en scène. Que l’enfant serait
encore en vie aujourd’hui. Cette affaire est un véritable cas
d’école de désinformation. Car en combattant l’émotion
ressentie devant les images de la mort d’un enfant par un
sentiment artificiel de haine contre le journaliste qui avait
diffusé ces images, on a réussi à faire passer à la trappe
toute analyse rationnelle du conflit israélo-palestinien.
C’est cette polémique qui a permis aux médias
de la communauté juive de passer totalement sous silence les
livres de Charles Enderlin, publiés chez Fayard, qui se sont
pourtant vendus à plusieurs dizaines de milliers d’exemplaires
et qui constitueront à l’avenir des références
incontournables pour les historiens. Je suis abonné à la
newsletter du CRIF.
Ils n’ont pas omis de faire un article sur les mémoires
de Rika Zarai ni sur un article du Point consacré à un
viticulteur français installé en Israël. Pas un mot, pas une
ligne sur Le rêve brisé, ni sur Les années perdues qui décrivent
à partir de témoignages de première main, (notamment ceux des
chefs des services secrets israéliens !) l’histoire précise
et complète des douze dernières années du conflit israélo-palestinien…
C’est un peu triste pour la communauté juive
qui se renferme sur elle-même et qui au bout du compte se
retrouve plus ignorante que le grand public sur un sujet qui la
concerne et sur lequel elle ne cesse de se mobiliser avec passion.
La désinformation est un piège en miroir ou le désinformé se
croit mieux informé que les autres. « La vérité est
ailleurs ». L’affaire Enderlin est une théorie du complot
qui ne dit pas son nom. Surtout, elle a été le point de départ
d’une fantastique opération de désinformation.
Car ceux qui comme le journaliste Daniel Leconte
ont monté de toutes pièces l’affaire Enderlin ont également
monté en épingle une autre affaire où la théorie du complot
apparaît, mais cette fois, de manière absurde et grotesque :
L’effroyable imposture de Thierry Meyssan. Seulement, ils
l’ont fait en sens inverse.
Ils se sont servi de Meyssan comme d’un épouvantail
et de sa théorie du complot comme d’une caricature d’esprit
critique pour ridiculiser et disqualifier tout esprit réellement
critique. Bien entendu, ils ont amalgamé tout cela à l’antisémitisme
en rattachant la théorie du complot aux Protocoles des Sages de
Sion.
Ils ont amalgamé ensuite l’antisémitisme à
l’antiaméricanisme, puisque Meyssan attente à la mémoire des
victimes du 11 septembre ! Dans la foulée on attaque les
altermondialistes, les intellectuels de gauche, les opposants à
la guerre en Irak, les partisans d’une paix équitable au
Proche-Orient qu’on traite d’antisémites, de Munichois, de
complices des « nazislamistes », d’islamo-gauchistes
etc.
C’est à la fois grossier et subtil. Tous ces thèmes
s’agencent entre eux de manière parfaitement cohérente. Et
tout cela s’est fait à partir d’un véritable réseau de sociétés
de créations audio-visuelles et de maisons d’éditions où
l’on croise toujours les mêmes personnes. Notamment Daniel
Leconte.
Ajoutez pour finir que la théorie du complot que
ces gens nous présentent comme un symptôme d’antiaméricanisme
est en réalité un thème récurrent de la culture américaine,
un pur produit d’importation ! Autre effet miroir : la
désinformation participe de ce vieux vice humain qui consiste à
projeter sur autrui ses propres tares…
Selon vous l’enjeu de l’affaire Redeker était
celui d’une validation morale de propos susceptibles de
poursuites pour incitation à la haine raciale et religieuse et
simultanément d’une criminalisation de toute réponse aux idées
soutenues par Redeker
L’affaire Redeker est exemplaire de l’effet de
dégradation que la désinformation produit dans le débat. Tout
le monde se réclame de la liberté d’expression, mais chacun
cherche à faire taire le voisin. On a le droit de critiquer
l’islamisme sous un angle politique et même l’islam sous
l’angle de la philosophie athée.
On peut railler les curés, les rabbins et les
imams au nom de l’anticléricalisme. On a le droit d’être
impertinent, outrancier, et même de tourner le sacré en dérision.
Mais Redeker est allé plus loin en affirmant que « tout
musulman » est « élevé dans les valeurs de haine et
de violence » qui sont « celles du Coran ».
Il faut être aveugle pour refuser de voir dans
cette phrase une incitation flagrante à la haine ethnique ou
religieuse. Un délit qui tombe sous le coup de la loi. Il fallait
condamner les menaces dont Redeker a été victime car nul ne doit
être menacé dans son intégrité physique pour quelque raison
que ce soit et même pour des propos illicites.
Le seul « châtiment », c’est de
s’en expliquer éventuellement devant un tribunal. Mais là où
on inverse les rôles, c’est que ceux qui ont timidement assorti
leur solidarité à l’égard du sort fait au « philosophe »
d’une condamnation sur le fond des propos qu’il avait tenus
ont été attaqués avec une violence inouïe comme des ennemis de
la liberté d’expression.
Il était interdit de répondre. Comme si la
liberté d’expression était à sens unique ! Je garde en mémoire
un débat télévisé où Romain Goupil a littéralement empêché
l’historien Jean Baubérot d’exprimer son point de vue, avec
une incroyable agressivité. BHL a écrit dans Le Point que
Redeker méritait un soutien « indiscuté, total et sans bémol »
et que ceux qui le critiquaient lui donnaient « la nausée ».
Quant à Finkielkraut, il a écrit dans Le Figaro
cette phrase que je trouve abominable : « Il
est plus que temps de libérer le oui à Redeker du mais qui
l’entrave ». Relisez attentivement cette phrase, elle
fait froid dans le dos. De quelle libération nous parle-t-il,
sinon de celle des instincts les plus bas, légitimée par une rhétorique
de supérette. Et Finkielkraut enseigne la philosophie à nos
polytechniciens…
La désinformation a-t-elle
des effets à long terme ?
Oui. Il s’agit d’un véritable « désaprentissage »
de la pensée. On ne raisonne plus. On ne réagit qu’émotionnellement,
à partir d’associations d’images. Volkoff avait bien noté
que la désinformation utilise les techniques du marketing.
L’opinion publique devient aussi naïve et malléable face aux
questions de société que la ménagère de moins de cinquante ans
face au paquet de lessive. Le plus grave est de voir des « intellectuels »
ayant pignon sur rue participer à ce mouvement. C’est l’éternelle
trahison des clercs.
Peut-on lutter contre la désinformation ?
Il faut inlassablement en revenir au réel. Nul
n’est besoin d’être expert pour juger honnêtement d’un
problème dès lors qu’on accepte d’examiner les faits sans préjugés.
Il faut savoir cultiver le doute, se méfier de soi-même et du désir
enfoui en nous tous que la réalité soit autre qu’elle est.
Pour cela, le meilleur outil rhétorique dont nous disposons reste
la logique, qui est à la base de toute philosophie. Une notion
que Finkielkraut semble avoir un peu perdu de vue.
Propos recueillis par la rédaction
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