Témoignage
La Syrie dans
l'œil de l'OTAN
Gilles Munier
Gilles
Munier
Mardi 30 août 2011
(carnet de route Damas - Hama)
Damas, 20-21 août 2011 - La Syrie ayant
enfin décidé de communiquer sur les
graves événements qui l’ensanglantent
depuis les premières manifestations
anti-gouvernementales à Deraa, près de
la frontière jordanienne, j’ai répondu
favorablement à l’invitation d’une
association de la société civile formée
par un groupe de chefs d’entreprise -
comprenant Anas al-Jazaïri,
arrière-arrière petit-fils de l’Emir
Abdelkader – proposant de se rendre
compte sur place de la situation. Une
centaine de journalistes et de
personnalités, parmi lesquelles un
ambassadeur des Etats-Unis à la retraite
et un ancien ministre de la Justice
turc, participaient au voyage. Autant le
dire tout de suite, ceux qui connaissent
Damas n’y ont pas vu de changement ou
ressenti de tensions liées à
l’actualité. Les déploiements militaires
et policiers dont fait état Al-Jazeera,
n’existent que dans les communiqués
d’opposants résidant à l’étranger.
Sarkozy, un des pires ennemis de la
Syrie
Bien sûr, les troubles qui secouent le
pays sont au centre de beaucoup de
conversations. Les Syriens veulent
savoir ce qu’en pensent les Français et
pourquoi Nicolas Sarkozy, qui invitait
il n’y pas si longtemps Bachar al-Assad
à Paris, est devenu un des pires ennemis
de la Syrie. Le retard pris par leur
président à réformer le pays est porté
au compte des « vieilles barbes »
du parti Baas. Il n’entame pas trop son
capital de confiance. Tout va se jouer
avec la mise en application des lois de
démocratisation annoncées. Seront-elles
suffisantes pour neutraliser les
jusqu’au-boutistes appelant au
renversement du régime ? Jusqu’où iront
les Etats-Unis, l’Arabie saoudite, la
France, Israël, la Turquie et le Qatar,
dans leurs menées déstabilisatrices ? La
Russie - remerciée pour sa fidélité
sur des calicots accrochés dans Damas
- ne sera pas de trop pour
court-circuiter la panoplie des embargos
occidentaux dont la Syrie est menacée.
Hama, 22 août – Départ en autocar pour
Hama, située à environ 200 km au nord de
Damas, ville conservatrice et rétive au
pouvoir central comme l’est aux éléments
le Nahr al-Assi (le Fleuve rebelle)
qui la traverse, nom arabe de l’Oronte.
Dès les premières manifestations à
Deraa, le souvenir du soulèvement de
Hama en février 1982, écrasé par Rifaat
al-Assad - frère du président Hafez
al-Assad - est revenu dans les
mémoires. La répression y aurait fait,
selon les estimations, entre 10 000 et
20 000 morts. Pour certains observateurs
du « Printemps arabe », la
question n’était pas tant de savoir ce
qui allait se passer à Deraa, mais ce
qui adviendrait si Hama se révoltait à
nouveau.
« Que le pouvoir s’en aille,
que l’ONU intervienne
et que l’OTAN vienne… »
Depuis, Hama a eu son compte d’émeutes,
de pillages, de meurtres. Le gouverneur
de la ville a tenté de résoudre la crise
par la négociation. Faute de résultats
probants, il a été remplacé. Son
successeur a repris le contrôle de la
ville manu militari. Il nous
reçoit à la préfecture et nous projette
une vidéo des rues et bâtiments de Hama,
tournée à la fin de la révolte. Vision
d’apocalypse !
La suite de notre programme comprend :
la visite du palais de Justice incendié
et d’un commissariat attaqué par des
« terroristes ». Les cars nous
attendent. Dehors, surprise : des
opposants aussi. Une quarantaine de
jeunes, prévenus on ne sait comment,
crient des slogans anti-régime. Au
carrefour, les militaires en faction
derrière des sacs de sable ne bougent
pas. Ceux postés sur les toits, non
plus. Un policier en civil tente
d’arrêter un manifestant qui a été
interviewé par une télévision. Ses
camarades lui viennent aussitôt en aide…
l’agent s’enfuit, poursuivi par quelques
irréductibles. Près de moi, une
journaliste de télévision indienne
demande à une jeune fille en hijab,
d’environ 17 ans, quelles sont ses
revendications. Elle récite dans un
anglais approximatif : « Que le
pouvoir s’en aille, que l’ONU
intervienne et que l’OTAN vienne ! ».
Dommage que la journaliste ne lui ait
pas demandé si elle ne trouvait pas
risqué de parler à visage découvert, et
de dire ce que l’OTAN signifiait pour
elle. Une organisation humanitaire,
probablement…
Des têtes plantées sur des pics
Les murs du commissariat attaqué par des
opposants sont noircis par l’incendie
provoqué par une bouteille de gaz
transformée en explosif. Sa façade est
criblée d’impacts de tirs de gros
calibres. Des véhicules calcinés
encombrent la cour. Selon les
témoignages de jeunes du quartier, les
dix-sept policiers pris au piège des
flammes, se sont rendus. Des assaillants
« venus d’ailleurs » les ont
aussitôt égorgés et décapités. Leur tête
a été plantée sur des pics et leurs
corps jetés dans l’Oronte. La scène,
horrible, filmée par des acolytes, a été
placée sur You Tube, sans doute
pour avertir les fonctionnaires des
services de sécurité de ce qui leur
arrivera s’ils ne démissionnent pas.
Sur le chemin du retour, le directeur de
L’Index, un quotidien de
Constantine, reçoit un appel d’Algérie.
Un de ses collègues a entendu sur
Al-Jazeera que des opposants
syriens venaient de tirer sur les cars
des journalistes quittant Hama. Il le
rassure. L’ex-grande chaîne arabe n’est
pas à un coup d’intox prêt depuis
qu’elle est devenue la voix de l’OTAN.
D’où viennent les armes ?
Damas, 20h30 – Dans quelques instants,
le président Bachar al-Assad
s’entretiendra avec des journalistes
d’une chaîne de télévision satellitaire
syrienne. Répondra-t-il aux questions
que tout le monde se pose : qui sont les
extrémistes infiltrés dans les
manifestations ? Qui les a entraînés ?
Certes, détenir une kalachnikov n’est
pas rare dans les familles syriennes,
mais les armes et les explosifs utilisés
ou découverts dans des caches sont
récents, modernes et en grand nombre.
Les soupçons se portent naturellement en
direction de la frontière libanaise,
traditionnellement poreuse. Mais, on en
est réduit à des supputations : si c’est
le cas, les armes proviennent-elles
d’Arabie saoudite via les réseaux dits
islamistes contrôlés financièrement par
Hariri, ou d’Israël via des extrémistes
libanais chrétiens liés au Mossad ? Ou
encore, font-elles partie de stocks de
l’OTAN livrés aux services secrets
turcs ? Un peu des trois à la fois,
peut-être. Ce qui est certain, c’est que
le régime baasiste affronte des
organisations lourdement armées qui
n’ont que faire des revendications
légitimes du peuple syrien.
Damas, 23 août – Avant notre retour dans
nos pays respectifs, on nous distribue
la traduction de larges extraits de
l’interview de Bachar al-Assad, diffusée
la veille par la télévision syrienne.
Pour le président, la Syrie a été
victime d’un complot dont l’objectif est
« l’effondrement du pays ». La
situation sécuritaire s’étant améliorée,
il estime que « l’aggravation des
événements ne constitue plus un
problème ». Les attaques de postes
de police, les assassinats, les
embuscades tendues à des bus civils ou
militaires ne l’inquiètent pas outre
mesure. « Nous sommes capables de
traiter ces problèmes comme il se doit ».
Il s’agit pour lui d’améliorer la
sécurité, étant entendu que la solution
des problèmes rencontrés n’est pas
d’ordre sécuritaire, mais politique.
Bachar al-Assad évoque la réunion du
comité central du parti Baas du 17 août
dernier, au cours de laquelle a été
discutée la mise en place de mécanismes
permettant au parti de « conserver
sa position durant les prochaines
décennies ». La question de
l’article 8 de la constitution syrienne
qui fait du Baas le parti dirigeant a
été débattue. Son abrogation
nécessiterait une révision de la
constitution, plusieurs articles lui
étant liés.
Des législatives en février prochain ?
Le président syrien énumère les réformes
promulguées - fin de l’état
d’urgence, lois sur la création de
partis politiques, élections pluralistes
– et annonce celles à venir : loi sur
l’information, création d’une commission
qui aura trois à six mois pour réviser
la constitution, élections à l’assemblée
du peuple en février prochain afin de
permettre aux partis nouvellement créés
de faire campagne. Il s’inquiète de la
marginalisation des jeunes. C’est un
phénomène « fort dangereux »
dit-il, convenant et qu’ils doivent
jouer un rôle grandissant dans la
société. Concernant la loi sur
l’information, Bachar al-Assad critique
les carences de la presse officielle. Il
se déclare pour la liberté d’expression,
mais opposé à la diffusion de tabloïd
people.
Répondant à une question sur le décret
accordant la nationalité syrienne aux
Kurdes qui ne l’avaient pas, Bachar al-Assad
a indiqué que le texte était prêt depuis
2004, mais que son application avait été
reportée en raison de troubles survenus
à cette époque dans les régions d’Al-Hassaké
et de Qamichli. Les Kurdes,
rappelle-t-il, sont une des composantes
de la Syrie, ils ont lutté contre
l’occupant français aux plus hauts
niveaux.
Bachar al-Assad est bien conscient que
ce premier train de réformes ne
satisfera pas les Occidentaux.
« Insuffisant » diront aussitôt en
coeur les opposants jusqu’au-boutistes
ou armés qu’ils soutiennent.
Le peuple syrien
ne reçoit pas d’ordres de l’étranger
Chaque fois que l’Occident parle de
« droits de l’homme », c’est pour
atteindre des objectifs qui n’ont rien à
voir avec ces derniers. Les pays
occidentaux, dit Bachar al-Assad, « sont
responsables des massacres perpétrés
aujourd’hui de l’Afghanistan à l’Irak en
passant par la Libye… des millions de
martyrs, de victimes, d’handicapés, de
blessés, de veuves et d’orphelins, sans
parler de leur appui à Israël dans ses
crimes contre les Palestiniens et les
Arabes ». Leur but, affirme-t-il,
n’est pas de permettre à la Syrie de se
développer, mais de lui retirer ses
droits. Il ne démissionnera pas, comme
le demandent, entre autres, Barack Obama
et Nicolas Sarkozy. Il n’est pas un
président fabriqué aux Etats-Unis et le
peuple syrien ne reçoit pas d’ordres de
l’étranger.
Bachar al-Assad qualifie la relation de
la Syrie avec les pays occidentaux de
« relation de conflit continuel ».
En temps normal, ils interviennent
gentiment pour nous habituer à cette
pratique. Aujourd’hui, ils menacent :
seule la forme change, remarque-t-il. Il
ne faut avoir peur ni du Conseil de
sécurité, ni de la guerre psychologique,
assène-t-il, révélant qu’après la chute
de Bagdad, un responsable américain
était venu lui dire ce qu’il devait
faire et qu’ayant refusé, les Etats-Unis
lui ont adressé des cartes militaires
signalant les cibles qui seraient
bombardées en Syrie !
« Nous ne plierons pas »,
dit
Bachar al-Assad
En 2005, après l’assassinat de Rafic
Hariri, les Occidentaux ont de nouveau
utilisé le Conseil de sécurité pour s’en
prendre à la souveraineté de la Syrie,
« sous prétexte d’enquêtes ».
Les pays occidentaux étaient alors à
leur apogée, dit-il, mais nous n’avons
pas plié. Aujourd’hui, ils sont plus
faibles qu’il y a six ans. Ils sont
traversés par des crises militaire,
économique, politique, sociale. Pourquoi
plierions nous ?... « Nous ne
plierons pas !».
Face aux embargos, Bachar al-Assad
affirme qu’existent des alternatives
dans presque tous les domaines avec des
pays voisins ou amis. La Syrie a
l’expérience des mesures coercitives.
Dès 2005, elle s’est tournée vers les
pays de l’Est. « L’essentiel est de
ne pas paniquer », dit-il, la Syrie
est autosuffisante au plan alimentaire.
Elle « a surmonté dans le passé
beaucoup de crises semblables »,
conclut Bachar al-Assad, et elle en est
sortie plus forte.
Paris, 25 août - Appuyés par les
hélicoptères de l’OTAN, les combattants
du Conseil national de transition
libyen (CNT) sont entrés dans
Tripoli, précédés par les forces
spéciales françaises et les djihadistes
du Groupe islamique de combat libyen
et d’Al-Qaïda. Selon Natalie
Nougayrède du quotidien Le Monde
(daté du 26/8/11), Nicolas Sarkozy
décrit « sa campagne de Libye
comme le point d’orgue d’une nouvelle
diplomatie ». Le « régime
syrien » est dans sa ligne de mire,
un dossier sur lequel l’affaire libyenne
« aura des conséquences »
prévient-il, avant de préciser
« qu’il ne s’agit pas de faire des
interventions militaires à chaque fois ».
Il faut agir, dit Sarkozy, dans « la
légalité internationale » que seule
l’ONU peut dispenser. Autant
dire que l’escalade verbale, les
embargos sectoriels et les interventions
clandestines des ennemis de la Syrie
n’en sont qu’à leur début.
© G. Munier/X.Jardez
Publié le 30 août 2011 avec l'aimable
autorisation de Gilles Munier
Le sommaire de Gilles Munier
Le
dossier Syrie
Les dernières mises à jour
|