Opinion
Benghazi :
Qui a assassiné le général Younès, chef
de l'armée rebelle
Gilles
Munier
Gilles Munier
Lundi 8 août
2011
Depuis l’assassinat du général Abdel
Fatah Younès et deux de ses aides
(deux colonels), le 28 juillet
dernier, la suspicion règne au sein du
Conseil national de transition (CNT)
et entres les différents groupes
rebelles. Les premiers visés sont les
proches du général, soupçonnés par
certains de faire partie d’une
« cinquième colonne kadhafiste ».
Les rumeurs les plus folles circulent à
ce sujet dans Benghazi. «Younès
était un agent double », entend-on,
« il sabotait les efforts des
rebelles ». D'autres affirment, au
contraire, que le général a été
assassiné par des agents kadhafistes
infiltrés. D’autres encore disent que le
meurtre est l’oeuvre d’« islamistes »
se vengeant de tortures infligées
lorsqu’il était ministre de l’Intérieur
à Tripoli (1).
Des instructeurs de l’OTAN enlevés ?
Les circonstances de la mort de Younès
demeurent mystérieuses. Il aurait été
arrêté dans son quartier général à Brega
pour « interrogatoire », puis
abattu et peut-être torturé au cours de
son transfert à Benghazi. Son corps et
ceux de ses assistants ont été trouvés,
en partie brûlés, dans la banlieue de
Benghazi. Les déclarations
contradictoires de Mustapha Abdeljelil
ont accentué le malaise, d’autant qu’une
méchante rumeur accuse ce dernier d’être
le véritable commanditaire du meurtre.
Le charisme du général lui faisait de
l’ombre… dans la perspective de
négociations avec le gouvernement
libyen, le président du CNT se verrait
diriger la Libye avec… Seif al-Islam
Kadhafi (2) ! Pour calmer le
jeu et de peur d’être la prochaine
victime des tueurs, Abdeljalil a promis
une enquête, mais la lenteur et le
manque d'informations sur ses progrès
exaspèrent la puissante tribu Al-Obeidi
(400 000 personnes, majoritairement
en Cyrénaïque) dont faisait partie
le général. Ses membres demandent que
justice soit faite – à Benghazi ou
devant une cour internationale - ou
jurent de venger sa mort eux-même. A
titre d’avertissement, ils ont mitraillé
l’immeuble où Abdeljalil avait tenu sa
conférence de presse et auraient enlevé
15
instructeurs de l’OTAN, parmi lesquels
des Français. Lors des
obsèques d’Abdel Fateh Younès, un de ses
fils, a crié à l’assistance médusée :
« Nous voulons le retour de
Mouammar. Nous voulons le retour du
drapeau vert », en référence au
drapeau de la Jamahiriya (3).
Des djihadistes dissidents
La Coalition du 17 février,
regroupement de courants ayant participé
au soulèvement de Benghazi, exige la
démission ou le limogeage de trois
membres du Conseil national de
transition (CNT). Il s’agit de Ali
al-Essaoui, responsable des relations
internationales - reçu à plusieurs
reprises à l’Elysée par Nicolas Sarkozy
avec BHL - qui a paraphé une
demande d’arrestation du général Younès,
de Jalal al-Digheily, chargé de la
Défense, et de Faouzi Aboukatif, son
adjoint. Ils seraient, tous les deux, en
fuite. En conséquence, des membres de la
Coalition du 17 février
réclament des explications sur les
charges pesant sur le général Younès et
la démission d’Al-Digheily.
L’annonce qu’Abdel Fatah Younès aurait
été assassiné par la Katiba Youcef
Shaker - ou al- Nida'a -
une unité spéciale de la Brigade
Obeida Ibn Jarrah (4), formée de
djihadistes du Groupe islamique
libyen de combat ou de la branche
locale d’Al-Qaïda, confirme ce
que radio Tripoli avait révélé dès la
fin juillet, mais ne lève pas le voile
sur les véritables commanditaires du
meurtre. Selon le Financial Times
(31/7/11), parallèlement à
l’opération visant le général, deux
prisons de Benghazi ont été attaquées et
plusieurs djihadistes dissidents
libérés. La principale force de sécurité
rebelle, la Brigade des martyrs du 17
février, composée elle aussi de
djihadistes du Groupe islamique libyen
de combat, mène l’enquête…
Climat de méfiance et paranoïa
Abdel Fatah Younès a été remplacé par un
membre de sa tribu : le général Mahmoud
Sulayman al-Obeidi, ancien commandant de
la garnison de Tobrouk de l'armée
libyenne. Mais, le « général »
Khalifa Hifter, présenté en mars dernier
par le quotidien britannique Daily
Mail comme une des « deux
étoiles militaires de la révolution »
(4), attend son heure.
Ce militaire manipulé par la CIA, qui a
dirigé une organisation du type
«contra» appelée « Armée
Nationale Libyenne» (5), estime que
le poste lui revenait de droit. Ennemi
déclaré de Younès, il n’est peut-être
pas totalement étranger à son meurtre.
Pour la Fondation Jamestown, le
climat de méfiance qui s’est instauré à
Benghazi, la paranoïa, les querelles
intestines et les purges à venir,
pourraient conduire à l’effondrement du
mouvement rebelle. L’interview accordée
par Seif al-Islam Kadhafi au New
York Times (3/8/11) va accentuer
les divisions à Benghazi. Il a déclaré
s’être entendu avec Ali al-Salabi qu’il
présente comme le « vrai chef »
des rebelles et le « guide spirituel »
des djihadistes libyens pour former une
alliance qui débarrasserait la Libye des
libéraux et des pro-occidentaux ! Tout
un programme…
(1)
Hunt for the "Fifth Column" Could be the
Beginning of the End for Libya's Rebels
(Jamestown
Foundation – 4/8/11)
http://www.unhcr.org/refworld/docid/4e3b9d8d2.html
(2)
Rumeur reprise par
Debka,
site d’information et de désinformation
israélien proche du Mossad
(3)
Abdel Fatah Younis Assassinated By
Rebels: Rebel Officer
http://www.huffingtonpost.com/2011/07/29/abdel-fatah-younis-assass_0_n_913634.html
(4)
Daily Mail
– 19/3/11
(5)
Washington Post
- 26/3/96
© G. Munier/X.Jardez
Publié le 8 août 2011 avec l'aimable
autorisation de Gilles Munier
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