Opinion
Yasmina Khadra et
le «Printemps arabe» au Bahreïn
Gilles
Munier
Gilles
Munier
Mardi 4 octobre 2011
(AFI-Flash
n°120 - octobre 2011)
Depuis juin dernier, l’écrivain Yasmina
Khadra – nom de plume de l’Algérien
Mohammed Moulessehoul – s’est fait,
en Algérie, le chantre de Hamad Ben Issa
Al Khalifa, roi absolu de Bahreïn, issu
d’une dynastie au pouvoir depuis deux
siècles.
Cet ancien officier de l’armée
algérienne a participé à la sale guerre
contre l’Armée Islamique du Salut
(AIS) et le Groupe Islamique
Armé (GIA) dans la région d’Oran
dans les années 90, puis a démissionné
pour se consacrer à l’écriture. Ecrivain
à succès, provocateur, il croit qu’une
sorte de complot empêche qu’on
reconnaisse son talent à sa juste
valeur. Nommé directeur du Centre
culturel algérien à Paris, il est
une des coqueluches du petit monde
intellectuel de Saint-Germain-des-Près.
Au Bahreïn en août 2011, il a parcouru
le pays de bout en bout -
environ 27 km sur 27 ! - et n’a pas
constaté de violation des droits de
l’homme, alors qu’on évalue à plus de
10 000 le nombre des prisonniers
politiques et qu’il n’y aurait pas de
nuit sans manifestations durement
réprimées. Les témoignages de la
répression ne manquent pourtant pas. En
mars, les policiers anti-émeute auraient
tiré au fusil de chasse sur les
contestataires, faisant cinq morts et
des centaines de blessés. En mai, des
femmes médecins ont emprisonnées pour
avoir soigné des manifestants blessés.
Elles ont raconté les humiliations et
les tortures subies en prison. L’une
d’elle a été menacée d’être suspendue
par les seins avant d’être violée, si
elle ne signait pas des aveux. En juin
Hassan Mouchaimaa, chef du parti Hak,
Abdel Wahab Hussain, chef du parti
Wafa, Abdelhadi al-Khawaja, membre
d’une ONG des droits de l’homme, ont été
condamnés à la perpétuité. Radhi al-Moussaoui
porte-parole du Waed, parti de
gauche, a écopé de cinq ans de prison.
En juillet, 30 000 manifestants
défilaient à Manama criant « Hamad,
dégage ! ». Comme à chaque fois,
ils réclamaient des réformes
démocratiques, voir l’instauration d’une
république. Le 28 septembre 2011, sept
dirigeants de l’opposition qui
appelaient au renversement de la
monarchie ont été condamnés à perpétuité
par un tribunal d’exception.
L’ex-commandant Khadra-Moulessehoul, n’a
rien vu rien entendu. Il ne s’est pas
aperçu que les contestataires, accusés
systématiquement par le régime d’être
des « pro-iraniens », ne sont
pas tous chiites, que les sunnites sont
nombreux parmi eux, et que certains ne
se réclament pas de leur appartenance
confessionnelle pour combattre la
monarchie.
La solidarité n’a pas étouffé Khadra
lorsqu’il a rencontré la jeune poétesse
Ayat
al-Qarmezi, 20 ans, incarcérée en juin
et juillet pour avoir déclamé une de ses
œuvres en public. Elle
interpellait simplement le roi en
disant: «Nous sommes le peuple qui
tuera l’humiliation et assassinera la
misère… N’entendez-vous pas leurs
pleurs, n’entendez-vous pas leurs cris
?».
Lors
de la perquisition de son domicile
familial, Ayat al-Qarmezi a dû se livrer
aux policiers, car ils menaçaient de
tuer ses deux frères si elle ne se
rendait pas. Détenue 15 jours au secret,
elle affirme avoir été torturée avec des
décharges électriques
(1).
Pour les rois et émirs arabes,
l’instauration d’une véritable monarchie
parlementaire au Bahreïn, ou dans
n’importe quel pays membre du
Conseil de Coopération du Golfe (CCG),
serait un dangereux précédent. Ils n’en
veulent pas et sont prêts à noyer dans
le sang la moindre révolte populaire.
Des troupes saoudiennes, émiraties, et
même jordaniennes – qui participent
par ailleurs à la coalition formée par
l’OTAN contre la Libye – ont donc
aidé le roi de Bahreïn à rétablir
l’ordre, comme elles le feront peut-être
en Jordanie et Maroc, autres maillons
faibles des monarchies arabes.
En recevant le Prix de la création
littéraire des mains de Sheikha May
bint Mohamed Al-Khalifa, ministre le la
Culture bahreïnie, Yasmina Khadra-Moulessehoul
s’est engagé à «transmettre au monde
occidental l’image réelle (du royaume),
ternie par les médias» (2). Quelle
honte ! Heureusement qu’on ne l’a pas
beaucoup entendu depuis…
(1)
Bahreïn : Une poétesse bahreïnite
libérée –
Amnesty
International
– 19/7/11
http://amnistie.ca/site/index.php?option=com_content&view=article&id=16257:bahrein--une-poetesse-bahreinite-liberee&catid=24:bonnes-nouvelles-&Itemid=46
(2)
Yasmina Kadra chez les al-Khalifa, rois
de Dilmun
http://www.elwatan.com/contributions/idees-debats/yasmina-khadra-chez-les-al-khalifa-rois-de-dilmun-20-07-2011-133332_240.php
© G. Munier/X.Jardez
Publié le 4 octobre 2011 avec
l'aimable autorisation de Gilles Munier
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