|
PeacePalestine
Le
droit à l'autodétermination - Une parodie d'universalisme
Gilad Atzmon
20 mars 2008
http://peacepalestine.blogspot.com/2008/03/gilad-atzmon-right-to-self.html
Voici, en images, une illustration de ce qu'est
l'autodétermination juive; parlant, non ?
(en blanc : les territoires de la Palestine volés par les juifs,
de 1946 à 2000)
Le droit à
l'autodétermination est une approche luxueuse de la conservation
du pouvoir réservée aux riches, aux puissants et aux
privilégiés. Dès lors que ce sont les sionistes qui tiennent les
rênes du pouvoir politique international, en raison de leur
influence dans des positions de pouvoir importantes, ainsi que
la puissance militaire leur permettant de défendre leur droit à
l'autodétermination, tout débat politique, actuellement, sur la
légitimité de ce concept, ne pourrait qu'inévitablement conduire
à un déni de ce que nous avons fini par reconnaître comme étant
le droit palestinien à l'autodétermination. Pourtant, au lieu
d'exiger ce droit, actuellement impraticable, nous devrions
lutter pour défendre le droit des Palestiniens et des Arabes à
se rebeller contre l'Etat juif et contre l’impérialisme sioniste
mondial. Au lieu de perdre notre temps dans des fantasmagories
rhétoriques, nous ferions bien mieux de dénoncer la politique et
la praxis tribales juives pour ce qu'elles sont. Soutenir la
Palestine, cela signifie avoir suffisamment de courage pour dire
ce que nous pensons, et croire ce que nos yeux voient.
« Citoyen du monde, cosmopolite et athée », qu’il disait…
L’année dernière, dans une petite église de
quartier à Aspen, dans l’Etat américain du Colorado, lors d’un
débat faisant suite à ma conférence, une personne de
l’assistance, d’âge moyen, se leva au fond de l’église, et se
présenta ainsi :
« Je suis un citoyens du monde, je suis
cosmopolite, et athée. J’aimerais vous demander quelque chose,
M. Atzmon… ? »
« Une petite minute – ne soyez pas froissé
par ma question, mais, par hasard : ne seriez-vous pas juif ?? »
L’homme se figea, une seconde ; il ne put
s’empêcher de rougir, tout le monde, dans l’assistance, s’étant
tourné vers lui. Peut-être étaient-ils curieux de voir à quoi
ressemblait un cosmopolite fier de l’être au vingt-et-unième
siècle ? Personnellement, je me sentais un peu coupable, dans
toute cette histoire ; je n’avais pas la moindre intention de
mettre cet homme dans l’embarras. Toutefois, il lui fallut un
temps certain pour retrouver une contenance…
« Oui, c’est vrai, Gilad ; je suis juif.
Mais comment l’avez-vous deviné ?? »
Je lui ai répondu que je n’en savais rien,
en fait, et que je ne faisais que suivre mon intuition. « Vous
voyez, quand je me trouve face à des gens qui se proclament
cosmopolites, athées, et citoyens du monde, il s’avère qu’ils
sont tous, peu ou prou, des juifs de la catégorie soi-disant
assimilée. Je ne puis que supposer que les non-juifs ont
tendance à vivre en paix avec ce qu’ils se trouvent être, de
naissance. S’ils sont nés catholiques et qu’ils décident, à un
certain stade de leur vie, de changer, ils se contentent de
laisser tomber leur église. S’ils n’aiment plus leur pays autant
que les autres, sans doute font-ils leur baluchon et
choisissent-ils un autre pays pour aller y vivre… D’une certaine
manière, les non-juifs – et nous sommes loin, en la matière,
d’une règle scientifique – n’ont nul besoin de se dissimuler
derrière quelque vagues bannières universelles ni quelque
système de valeurs bien-pensant. Mais, quelle était votre
question, au juste ? »
Un ange passa – nulle question. Notre
citoyen-du-monde-cosmopolite-et-athée ne se souvenait plus de sa
question ! Je suppose que, suivant la tradition des juifs
post-émancipés, il n’était venu à ma conf’ qu’à la seule fin de
célébrer en public son droit à l’autodétermination… L’homme se
servait de la phase débats pour dire à ses voisins et à ses amis
habitant Aspen à quel point il était un être humain grandiose.
Contrairement à eux, des croyants patriotes un peu cul-terreux,
Américains et fiers de l’être, lui, c’était un humaniste avancé,
un homme au-delà de la nationalité, un sujet non-patriote et
sans dieu. Il incarnait le summum du produit rationnel
autodéterminé de l’ère des Lumières. Il était rien moins que
l’enfant de Voltaire et de la Révolution française !...
L’autodétermination est une pathologie
épidémique moderne, juive, politique et sociale. La disparition
du ghetto (et, avec lui, celle de ses qualités poupounantes) a
conduit à une crise d’identité au sein d’une société juive
largement assimilée. Apparemment, toutes les écoles de pensée
juives post-émancipées, qu’elles soient politiques, spirituelles
ou sociales, de gauche, de droite ou du centre, étaient
concernées de manière inhérentes par des considérations ayant
trait au droit à l’autodétermination. Les sionistes allaient
revendiquer le droit à l’autodétermination nationale sur la
terre de Sion. Le Bund, quant à lui, allait exiger
l’autodétermination nationale et culturelle, mais au sein du
discours prolétarien est-européen. Le Matzpen et les
ultragauchistes israéliens allaient exiger le droit à
l’autodétermination de la nation juive israélienne dans un
Orient arabe libéré, et les juifs antisionistes allaient
insister sur le droit à s’adonner à un discours juif ésotérique
au sein du mouvement de solidarité avec la Palestine. Mais
qu’est-ce donc que ce droit à l’autodétermination, au fait ?
Comment se fait-il que toute pensée politique juive moderne soit
ainsi fondée sur ce droit ? Pour quelle raison certains juifs
progressistes assimilés ressentent-ils le besoin de devenir des
citoyens du monde, plutôt que de simples citoyens britanniques,
français ou russes ?
La
prétention à l’authenticité
Il faut dire que, bien que la recherche
d’identité et d’autodétermination ne servent en réalité qu’à
véhiculer l’allégation d’une marche finale vers une authentique
rédemption, le résultat direct des politiques de l’Identité et
des actions auto-déterminatives est à l’exact opposé. Ceux qui
doivent autodéterminer qui ils sont sont ceux-là mêmes qui sont,
pour commencer, extrêmement éloignés de toute réalisation
authentique. Ceux qui sont déterminés à être perçus comme des
humanistes cosmopolites et laïcs sont précisément ceux qui ne
comprennent pas que la fraternité humaine n’a besoin ni de
prolégomènes, ni de déclarations grandiloquentes. Non, tout ce
que la fraternité humaine réclame, c’est un amour sincère du
prochain. Ceux qui lancent, et signent, des manifestes
humanistes sont les mêmes qui insistent à être perçus comme des
humanistes, tout en répandant autour d’eux quelque calamité
tribale sioniste ! Manifestement, les cosmopolites vrais, les
cosmopolites authentiques, n’ont pas besoin de déclarer leur
engagement abstrait envers l’humanisme. Les véritables citoyens
du monde, de la même manière, vivent, tout simplement, dans un
monde ouvert, dépourvu de limites et de frontières.
Ainsi, par exemple, je prends mon cas : je
suis entouré de jazzmen de toutes les couleurs de peau, de
toutes les origines ethniques. Des gens qui vivent sur les
routes, qui dorment chaque nuit dans un continent différent, des
gens qui gagnent leur croûte grâce à leur amour du beau.
Pourtant, je n’ai jamais rencontré d’artiste de jazz qui se
qualifiât lui-même de citoyen du monde, de cosmopolite, ni même
de « marchand de beauté. Je n’ai jamais rencontré d’artiste de
jazz qui aurait adopté un air d’importance égalitaire. Je n’ai
jamais rencontré un musicien de jazz qui célébrât son droit à
l’auto-détermination. La raison en est simple : les être
authentiques n’ont nul besoin d’autodéterminer qui ils sont ;
ils laissent simplement eux-mêmes et les autres être, et vivre
comme ils l’entendent.
Le
droit à l’autodétermination
Le droit à l’autodétermination est souvent
cité comme la reconnaissance du fait que « tous les peuples ont
le droit de déterminer librement leur statut politique et de
poursuivre librement leur développement économique, social et
culturel. Ce principe-même est souvent perçu comme un droit
moral et légal. Il est aussi très implicite dans la philosophie
des Nations Unies. Le terme d’autodétermination a été utilisé
dans la Charte des Nations Unies et il a été défini dans
diverses déclarations et conventions.
Bien que nous ayons tous tendance à croire
que tout être humain est fondé à célébrer ses symptômes, le
droit à l’autodétermination n’est, de fait, véritablement
approprié que dans le cadre du discours progressiste occidental
qui admet un tel droit en le fondant sur la notion de
l’individualisme éclairé. De plus, le droit à
l’autodétermination peut être célébré uniquement par les
privilégiés à même de mobiliser suffisamment de pouvoir
politique ou de force militaire pour faire de ce droit une
réalité concrète.
Toutefois, il convient de mentionner qu’y
compris au sein du discours libéral (progressiste) occidental,
les juifs sont les seuls à fonder leur puissance politique sur
leur revendication du droit à être comme les autres. La raison
en est simple : même si les juifs libérés insistent tellement à
être comme les autres (= les non-juifs), il est tout-à-fait
clair que les autres préfèrent, de fait, être comme eux-mêmes.
Cela signifie, à l’évidence, que l’exigence formulée par les
juifs – d’être comme les autres – est futile, et condamnée à
l’échec.
Il doit être mentionné également qu’au sein
de sociétés oppressives, le droit à l’autodétermination est
souvent remplacé par le droit à la rébellion. Pour un
Palestinien des territoires occupés, le droit à
l’autodétermination ne veut vraiment pas dire grand-chose. Il
n’a nul besoin de s’autodéterminer en tant que Palestinien, pour
la raison évidente qu’il sait parfaitement bien qui il est. Et,
juste au cas où il l’oublierait, un militaire israélien, au
prochain carrefour, se ferait un plaisir de le lui rappeler.
Pour les Palestiniens, l’autodétermination est un sous-produit
d’une négation. Il s’agit, en réalité, de la confrontation
quotidienne avec le déni sioniste du droit des Palestiniens à
l’autodétermination. Pour un Palestinien, c’est le droit de
lutter contre l’oppression, contre ceux qui le réduisent à la
famine et l’expulsent de sa terre au nom de l’exigence
bien-trop-concrète, par les juifs, d’être un peuple comme les
autres peuples.
Ainsi, alors que le droit à
l’autodétermination veut se faire passer pour une valeur
universelle de libération politique, elle est utilisée, dans
nombre de cas, comme un mécanisme de division, qui aboutit à des
exactions directes à l’encontre d’autrui. Comme nous sommes bien
obligés de le savoir, la revendication juive contemporaine du
droit à l’autodétermination est bien trop souvent célébrée aux
dépens d’autres que les juifs, qu’il s’agisse des Palestiniens,
de leaders arabes, du prolétariat russe ou de soldats
britanniques et américains combattant la dernière poche des
ennemis d’Israël au Moyen-Orient. Autant le droit à
l’autodétermination est présenté de manière expédiente comme une
valeur universelle, autant l’examen de l’utilisation
sinistrement pragmatique de ce même droit dans le cadre du
discours politique juif met en évidence qu’en termes concrets,
ce droit à l’autodétermination n’a d’autre fonction que de
servir les intérêts tribaux juifs, tout en déniant, voire même
carrément en niant, les droits élémentaires d’autres peuples.
Le
Bund et la critique qu’en faisait Lénine
Il serait correct de dire que le Bund et
les sionistes furent les premiers à insister, avec éloquence,
sur le droit des juifs à l’autodétermination. Le Bund était
l’Union Générale des Travailleurs Juifs d’Europe orientale.
Comme le mouvement sioniste, il fut officiellement fondé en
1897. Il affirmait que les juifs vivant en Russie méritaient le
droit à une autodétermination culturelle et nationale, à
l’intérieur de la future révolution soviétique.
Le premier, probablement, à avoir développé
un argumentaire sur l’absurdité de l’exigence juive
d’autodétermination fut Lénine, dans sa célèbre diatribe contre
le Bund, lors du Deuxième Congrès du Parti Social-Démocratique
Russe des Travailleurs (en 1903).
(voir :
http://marxists.org/archive/lenin/works/1903/2ndcong/index.htm#13
en anglais)
(voir aussi :
http://www.alterinfo.net/La-politique-de-l-antisemitisme-le-sionisme,-le-Bund-et-la-politique-identitaire-juive_a14568.html/a>
, version française d’un autre article de Gilad A. sur cette
question. Ndt)
Marchez avec nous !, avait rétorqué au Bund
Lénine, rejetant l’exigence, par les bundistes, d’un statut
ethnique autonome spécial parmi les travailleurs russes. Lénine,
à l’évidence, avait repéré l’agenda tribal atomisant inhérent à
la philosophie bundiste. Nous rejetons, avait alors affirmé
Lénine, tous compartimentages forcés qui ne servent qu’à nous
diviser. Autant Lénine soutenait le droit des nations à
l’autodétermination, autant il rejetait clairement un droit juif
de cette nature, qu’il avait qualifié à juste titre de diviseur
et de réactionnaire. Lénine défendait le droit des nations
opprimées à édifier leurs propres entités nationales, toutefois,
il combattait toute mentalité extrémiste et étroitement
nationaliste.
Lénine opposa trois objections
fondamentales au Bund et à sa revendication d’autodétermination
culturelle :
1°/ Lancer le slogan de l’autonomie
nationale et culturelle, cela amène à diviser les nations, et
par conséquent à détruire l’unité du prolétariat au sein
desdites nations ;
2°/ Lénine pensait que l’inter-mélange
entre nations et leur amalgamation étaient des phases
progressives, tandis qu’aller dans le sens opposé à cette
tendance revenait à régresser. Il critiquait ceux qui « élève
leurs cris vers le ciel contre l’assimilation » ;
3°/ Lénine ne considérait ni avantageuse,
ni pragmatique, ni faisable, l’indépendance culturelle
déterritorialisée que prônait le Bund ainsi que d’autres partis
politiques juifs.
L’approche que Lénine avait du Bund est
très significative, et elle est à méditer. Usant de son bon sens
politique acéré, Lénine doutait des fondements éthiques et
politiques d’un droit des juifs à l’autodétermination, d’autant
que le Bund revendiquait que les juifs fussent traités comme une
nation dotée de son identité propre, comme tous les autres
nationaux. La réponse de Lénine fut extrêmement simple :
« Désolé, les mecs, mais vous êtes à côté de la plaque : vous ne
constituez pas une minorité nationale, pour la simple raison que
vous n’êtes rattachés à aucun habitus géographique !... »
Le
Matzpen et Wolfowitz
« La solution des problèmes nationaux et
sociaux de cette région (du Moyen-Orient, ndt) ne peut provenir
que d’une révolution socialiste dans ladite région, qui
renversera tous les régimes en place, et y substituera une union
politique régionale, gouvernée par les classes laborieuses. Dans
cet Orient arabe uni et libéré, la reconnaissance sera assurée
aux droits à l’autodétermination (y compris au droit à un Etat
séparé) de chacune des nationalités non-arabes vivant dans la
région, y compris la nation israélienne-juive » (Principes du
parti Matzpen, voir
http://www.matzpen.org/index.asp?p=principles )
Apparemment, la critique formulée par
Lénine n’a jamais été correctement internalisée par les
idéologues juifs soi-disant progressistes. L’abus des autres, et
le rejet de leurs droits élémentaires sont devenus partie
inhérente de la pensée politique progressiste juive. La lecture
du document fondateur du Matzpen, ce légendaire groupe gauchiste
israélien, ne peut que vous laisser confondu.
En 1962 – déjà – les matzpénistes juifs
avaient un plan pour libérer le monde arabe (une vieille manie…,
ndt) ! D’après les principes du Matzpen, ça n’est pas
difficile : il suffit de renverser tous les régimes arabes
existants (excusez du peu…), afin que soit garanti le droit à
l’autodétermination de chacune des nationalités non-arabes
vivant dans la région, y compris (ben voyons ; tant qu’à
faire !) la nation juive israélienne…
Nul besoin de sortir de Saint-Cyr pour
piger qu’au moins au niveau des catégories, les principes du
Matzpen ne diffèrent en rien du mantra néocon de Wolfowitz et
consorts. Le Matzpen avait un plan pour renverser
tous les régimes
arabes, au nom du socialisme, afin que les juifs pussent
autodéterminer qui ils étaient, au juste. Wolfowitz voudrait
faire exactement la même chose, mais (nuance) au nom de la
démocratie. Si vous prenez le texte fondateur judéo-centrique
progressiste du Matzpen et que vous y remplacez le mot
socialiste par le mot démocratique, vous vous retrouverez avec
un texte néocon dévastateur entre les mains, disant ceci :
« La solution des problèmes nationaux et
sociaux de cette région (du Moyen-Orient, ndt) ne peut provenir
que d’une révolution démocratique dans ladite région, qui
renversera tous les régimes en place, et y substituera une union
politique régionale (point barre). Reconnaissance y sera assurée
aux droits à l’autodétermination de chacune des nationalités
non-arabes vivant dans la région, y compris la nation
israélienne-juive » [Signé : Popaul].
On dirait bien que tant le légendaire
Matzpen progressiste que les lamentables néocons réactionnaires
aient recours à un même concept abstrait, non sans prétendre à
l’universalité, pour justifier rationnellement le droit juif à
l’autodétermination et la destruction de tout pouvoir régional
édifié par les Arabes. Apparemment, tant les néocons que le
Matzpen savent pertinemment ce que peut bien signifier la
libération, pour les Arabes. Pour les matzpénistes, libérer les
Arabes, c’est en faire des bolcheviques. Le néocon, de fait, est
légèrement plus modeste : tout ce qu’il veut, c’est que les
Arabes boivent du Coca-Cola dans une société démocratique
occidentalisée. L’une comme l’autre, ces deux philosophies
judéo-centriques sont condamnées à l’échec, car la notion
d’autodétermination est à 150 % euro-centrique. L’une comme
l’autre, ces deux philosophies sont fondées sur une notion de
rationalité propre à la philosophie de l’Aufklärung. L’une comme
l’autre n’ont pratiquement rien à offrir aux opprimés ; bien au
contraire, elles ne servent qu’à rationaliser et à fournir au
colonialisme sa légitimité universaliste frelatée.
Clairement, le Matzpen n’a jamais eu un
quelconque pouvoir politique ; il n’a jamais eu la moindre
importance politique, étant donné qu’il n’a jamais eu la moindre
proximité avec des Arabes, pour ne pas parler, par charité, des
masses arabes.
Par conséquent, le Matzpen n’a jamais pu en
quoi que ce soit affecter la vie des peuples arabes, ni en
détruire les régimes politiques. Toutefois, le Matzpen est
considéré, par les gauchistes juifs du monde entier, comme un
chapitre significatif dans l’histoire de la gauche israélienne.
Ce mouvement est considéré comme un moment singulier dans le
réveil éthique israélien. Aussi est-il, en vérité, embarrassant,
pour ne pas dire dévastateur, de découvrir que le moment le plus
éclairant et le plus raffiné du réveil moral de la gauche
israélienne a produit une vision politique qui ne diffère en
rien, catégoriquement, de l’infâme tentative de libération du
peuple irakien par un George Deubeuliou Bush ! Il devrait être
éclatant que les ultragauchistes juifs (à la Matzpen) et
l’interventionnisme anglo-américain sionisé (à la Néocon) sont,
de fait, les deux faces de la même médaille, ou, si vous me
permettez l’image, que les deux faces du seul et même shekel.
Ils sont extrêmement proches sur les plans théorique,
idéologique et pragmatique. La pensée politique des uns et des
autres est judéo-centrique jusqu’à la moelle, mais cela ne les
empêche nullement de prétendre se fonder sur l’universalisme et
tendre vers la libération et la liberté. Mais, en définitive,
leur raison d’être n’est rien d’autre que l’autodétermination
juive, aux dépens de non-juifs.
Le
droit à être comme les Autres – la logique sioniste
Je cite ci-après une recension d’extraits
d’un document soumis à la Commission des Droits de l’Homme de
l’Onu, en 2005
(voir
http://domino.un.org/unispal.nsf/db942872b9eae454852560f6005a76fb/3e95fed32deb0ff185256fcb00590f86!OpenDocument
)
Ce document avait été rédigé par le Bureau
Coordonnateur des Organisations Juives [Coordinating Board of
Jewish Organizations – CBJO] et le B’nai B’rith [il s’agit de
l’organisation franc-maçonne juive mondiale, ndt]. Il aide à
comprendre de quelle manière les organisations juives instaurent
un pouvoir politique autour de la revendication à
l’autodétermination.
Pour point de départ historique de sa
déclaration, le CBJO choisit la fin de l’Holocauste et la
création de l’Onu. Ce choix ne doit rien au hasard : le lien est
tout-à-fait clair et intentionnel. Le rôle de l’Onu est présenté
comme celui d’une institution qui sauvera les juifs de toute
nouvelle tentative de les exterminer.
Le monde marquant, cette année, les
soixantièmes anniversaires de la fin de l’Holocauste et de la
création de l’Onu, nous avons l’opportunité, à nous qui militons
dans la communauté des droits de l’homme, de réaffirmer notre
engagement vis-à-vis des principes contenus dans la Charte des
Nations Unies, dans la Déclaration Universelle des Droits de
l’Homme et dans d’autres documents fondateurs du droit
international humanitaire. Un des plus fondamentaux de ces
droits, c’est le droit à l’autodétermination. Ce droit garantit
d’autres droits humains, comme le droit à la vie, la liberté et
la sécurité de la personne, la préservation de son honneur, et
l’égalité devant la loi.
On peut constater qu’à ce stade, le droit à
l’autodétermination est exprimé en termes universels. Mais ne
vous laissez pas embobiner dès maintenant… Vous ne mettrez pas
longtemps à voir se révéler le gauchissement siono-centrique.
Les événements révélés, voici soixante ans,
par l’entrée des armées alliées dans les camps de concentration
nazis et leur libération, auraient pu être évités, pour peu que
le droit du peuple juif à l’autodétermination eût été protégé et
soutenu. Comme le démontre l’histoire du Vingtième siècle, en
l’absence d’un Etat qui leur appartînt en propre, permettant
d’assouvir son droit à l’autodétermination, le peuple juif était
à la merci de la discrimination, de l’ostracisme et, en
définitive, de l’extermination.
Lentement, mais sûrement, nous pouvons
observer, maintenant, le glissement de l’approche éthique
universaliste vers une argumentation judéo-centrique
nombriliste. Toutefois, il est crucial de mentionner qu’avant la
Grande guerre, les juifs occidentaux et américains étaient
émancipés, et qu’ils jouissaient de droits à
l’autodétermination, même si très rares étaient les juifs à
penser qu’un tel droit dût être célébré en Palestine, sur le dos
du peuple palestinien. De plus, penser en termes rétrospectifs
rend plus clair le fait que le droit des juifs à
l’autodétermination a entraîné un Holocauste pour le peuple
palestinien. Autrement dit, l’impact positif pour l’humanité et
la réalité humaine du droit juif à l’autodétermination est
extrêmement limité. C’est là quelque chose dont la Commission
des Droits de l’Homme de l’Onu devrait tenir le plus grand des
comptes.
Tandis que nous réfléchissons à ce passé,
nous devons noter la résurgence (actuelle) de l’antisémitisme,
et sa nouvelle manifestation : l’antisionisme. Dans divers
milieux intellectuels, sur les campus universitaires et dans les
media, le droit fondamental à l’autodétermination du peuple juif
est érodé, quotidiennement, par des déformations et des fausses
équations. Ces antisionistes présentent l’autodétermination des
peuples juifs comme exclusive de l’autodétermination des
Palestiniens. D’aucuns voudraient faire tourner à l’envers les
aiguilles de l’horloge de l’Histoire en prônant une « solution à
un seul Etat du conflit israélo-palestinien », une proposition
qui fut rejetée par l’Assemblée Générale en 1947, précisément
parce qu’elle aurait équivalu au déni du droit du peuple juif à
l’autodétermination. L’antisionisme est une impasse dangereuse,
car il prône la destruction de l’Etat juif. En tant que tel, il
contrevient à la Convention sur les Droits économiques, sociaux
et culturels de la Charte des Nations Unies.
De manière très intéressante, les gens
doués du CBJO ont bien conscience que, tôt ou tard, quelqu’un va
remettre en question la validité morale du droit juif à
l’autodétermination. De fait, c’est exactement ce que j’ai
l’intention de faire, d’ici une ou deux pages… Les sionistes
sont assez intelligents pour piger que la validité de la carte
blanche dont ils disposent pour détruire des millions
d’existences au Moyen-Orient, au nom d’un concept universel
frelaté, risque éventuellement de venir, un jour, à expiration.
Toutefois, les gens du CBJO aspirent à une
résolution optimiste du conflit israélo-palestinien. C’est, tout
du moins, ce qu’ils veulent nous donner à accroire :
« Aujourd’hui, nous assistons à des progrès
remarquables, au Moyen-Orient, entre Israël et les Palestiniens.
Le peuple palestinien a élu un gouvernement qui a juré de
rejeter le terrorisme en tant qu’arme politique, au profit de la
démocratie et de la paix. Cette phase de coexistence prometteuse
avec le peuple juif marque un tournant important dans une
politique palestinienne faite de violence. Toutes les
résolutions adoptées par cette institution à ce sujet devraient
chercher à affirmer le droit à l’autodétermination du peuple
juif, parallèlement à celui d’autres peuples. Ce n’est qu’une
fois cela fait que le Comité des Droits de l’Homme pourra être
fidèle à ses principes fondateurs. Ce n’est qu’alors qu’il
pourra être partie à la solution, au lieu d’exacerber le
problème. Ce n’est qu’alors que cette instance démontrera
qu’elle a retenu les leçons qui auraient dû l’être voici, de
cela, soixante ans, en soutenant et en défendant le droit
fondamental, pour le peuple juif, de s’autodéterminer aux côtés
d’un Etat palestinien démocratique.
Nous le constatons, le CBJO n’est là
qu’afin de dire aux Palestiniens qui ils sont et ce qu’ils
devraient être, c’est-à-dire : démocratiques et laïcs. De
manière extrêmement regrettable, l’organisation de droite CBJO
ne diffère en rien du légendaire progressiste Matzpen, et les
implications de cette similitude doivent être d’ores et déjà
claires. Il n’y a pas de droite, ni de gauche, dans le cadre de
la politique juive laïque, mais bien plutôt une orientation
tribale auto-centrique qui génère de fausses images de diversité
politique et ce, pour des raisons évidentes.
Un
Etat, deux Etats, ou tout simplement Un Etat de Tous Ses
Citoyens ?
Rares sont les intellectuels palestinien
(et arabes, de manière générale), à prendre part au débat
‘solution à un / deux Etat(s)’. La raison est tout-à-fait
évidente : les Palestiniens et les Arabes ont parfaitement
conscience du fait que les problématiques relatives à l’avenir
du Moyen-Orient n’ont pas à être déterminées par des
institutions académiques ou des conférences de solidarité avec
les Palestiniens, mais bien plutôt sur le terrain. L’impact
d’une seule roquette Qassâm frappant une cible dans le Néguev
occidental est bien plus important que n’importe quelle forme de
discussion intellectuelle péremptoire relative à la résolution
des conflits. Apparemment, la demande d’un unique Etat, qu’il
soit laïc, démocratique ou islamique est théorique et
rhétorique, et elle n’a aucun impact d’aucune sorte que ce soit
sur les Israéliens, qui continuent à détenir le pouvoir
politique et la puissance militaire suffisants pour pérenniser
l’Etat juif de chez Juif.
De même que la notion d’autodétermination
n’a absolument aucun sens pour le peuple palestinien, il en va
de même de l’exigence d’un Etat unique en paroles verbales. En
des temps où l’on affame Gaza et où le gouvernement israélien
annonce des plans génocidaires, les débats sur l’avenir du
Moyen-Orient semblent relever d’un sport de luxe, auxquels seuls
des privilégiés songent encore à s’adonner.
S’il est encore une chose à laquelle le
discours autour de la solution à un seul Etat puisse servir,
c’est bien à la pérennisation de l’hégémonie israélienne et
juive à l’intérieur du discours de solidarité avec les
Palestiniens. La raison est très simple : tout débat visant à
une solution politique prend de manière « naturelle » en compte
le « droit des juifs à l’autodétermination ». Il en serait ainsi
pour l’éternité si nous n’osions introduire un glissement
radical, politique et intellectuel, dans ce discours. Comme
Lénine en 1903, nous devons remettre en cause la validité de la
notion du droit à l’autodétermination. Mettant nos pas dans ceux
de Lénine, en la matière, nous devons oser reconnaître la
possibilité que le droit des juifs à l’autodétermination est en
réalité un facteur de zizanie, et qu’il risque même fort de
s’agir d’une cause fallacieuse. Cette pseudo-cause (romantique)
n’a d’autre raison d’être que le fait qu’elle donne un motif de
célébration aux riches, aux colonialistes et aux privilégiés, au
détriment des faibles et des opprimés.
Nous devons nous lever, et demander
ouvertement pour quelle raison, exactement, les juifs ou
quiconque d’autre mériterait de disposer d’un droit à
l’autodétermination. N’est-il pas vrai que le droit à
l’autodétermination s’exerce toujours au détriment de quelqu’un
d’autre ? Nous devons nous lever, et demander quel droit moral
autorise un juif de Brooklyn [un quartier de Jew York, ndt] à
s’autodéterminer lui-même en tant que sioniste et futur occupant
de la Palestine ? Nous devons demander ouvertement ce qui, au
juste, donnerait à un juif né Israélien le droit de vaticiner
sur une terre palestinienne au détriment du Palestinien
autochtone ? Suis-je fondé à revendiquer pour moi-même le droit
à m’autodéterminer en tant qu’astronaute de la Nasa, ou bien,
pourquoi pas, en chirurgien cardiaque ? Etes-vous prêt à
m’autoriser à bricoler vos valvules sur le seul fondement de ma
fallacieuse auto-intronisation en émule du Dr Barnard ?
Certes, ce sont là des questions qui ne
trouveront pas leur réponse après-demain… Pourtant, nous ne
devons pas cesser de les poser. Comme Lénine, j’ai tendance à
rejeter la légitimité du droit des juifs à l’autodétermination,
car j’y vois une cause fallacieuse et semeuse de division. En
revanche, je suggèrerais une approche éthique alternative, que
j’emprunte à l’ex-parlementaire à la Knesset Azmi Bishara, cet
intellectuel palestinien qui a dû tout quitter, de sa vie en
Israël, en dépit de son appartenance au parlement de ce pays.
Bishara a dépassé le débat ‘un Etat / deux Etats’, autrement
dit, il a dépassé le (pseudo) droit judéo-centrique à
l’autodétermination. Il a formulé une brillante notion
politique, l’Etat de tous ses Citoyens. Plutôt qu’un Etat des
Juifs, Bishara a suggéré de faire d’Israël le pays de tous ceux
qui y vivent.
Azmi Bishara est un intellectuel solide, et
un contempteur célèbre d’Israël. Dans de nombreux écrits, et au
cours de moult conférences, il a maintenu l’idée que
l’autodéfinition de l’Etat israélien en tant que ‘juif et
démocratique’ est discriminatoire. Bishara prône un Israël qui
soit l’Etat de tous ses citoyens. Il a ouvertement mis en
évidence un conflit direct entre la majorité juive et la
minorité palestinienne sur la question de la définition de la
nationalité israélienne. Il formule une tendance, dans la
minorité arabe palestinienne (israélienne), qui exprime
l’exigence d’une égalité socio-économique et politique non
seulement dans la loi formelle, mais dans la citoyenneté civique
et dans la nationalité. On pourrait dire que l’approche de
Bishara est un exercice politique du droit des Palestiniens à
l’autodétermination. Par conséquent, toutefois, il n’a pas fallu
très longtemps avant que Bishara ait dû prendre la fuite afin de
sauver sa vie ; il a dû aller se réfugier et se protéger à
l’extérieur d’Israël.
Comme nous l’avons vu, le droit à
l’autodétermination est une approche (de luxe) de la
conservation du pouvoir. Aucun groupe ne le célèbrera jamais,
mis à part celui de ceux qui sont d’ores et déjà riches,
puissants et privilégiés. Les sionistes peuvent se rengorger de
toutes ces qualifications, et même de celle de posséder le
pouvoir et la puissance militaire nécessaires pour pérenniser
leur ‘droit à l’autodétermination’. Toutefois, étant donné la
réalité sur le terrain, au lieu de revendiquer je ne sais quels
droits purement rhétoriques, nous devons lutter pour défendre le
droit des Palestiniens et des Arabes à se rebeller contre l’Etat
juif et contre l’impérialisme sioniste mondial.
Au lieu de perdre notre temps en
billevesées académiques et en interminables débats académiques,
nous ferions bien mieux de dénoncer la politique et la praxis
tribale juive.
EtreEtre solidaires de la Palestine, c’est avoir suffisamment de
courage pour dire ce que nous pensons, et pour reconnaître ce
que voient nos propres yeux.Traduit de l’anglais par
Marcel Charbonnier
|