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Ha'aretz
La
crise est grave et le silence assourdissant
Gideon Samet
[l'ascension
d'Avigdor Lieberman concrétise plus qu'elle n'annonce une crise
grave. Et personne ou presque n'élève la voix...]
http://www.haaretz.com/hasen/spages/783385.html
Ha'aretz, 3 novembre 2006
Trad. : Gérard pour La Paix Maintenant
Un étrange silence s'est abattu sur la scène politique israélienne.
Cette semaine, nous sommes tombés très bas. C'est difficile à
croire, mais ces jours-ci, les pires que nous connaissons depuis
la création de l'Etat, seul un pépiement a salué la marche
accablante d'Avigdor Lieberman vers les plus hautes marches du
gouvernement.
Les ex-stars du Parti travailliste ont chuchoté leur opposition,
laissant ainsi la place à un seul homme de bien, Ofir Pines-Paz,
qui a démissionné [de son poste de ministre] suite à l'entrée
au gouvernement du Raspoutine d'Ehoud Olmert. Mais rien de la part
de personnalités clés comme Avishaï Braverman ou Ami Ayalon, ni
de Matan Vilnaï, sur le sens politique de l'ascension météorique
de ce politicien quasi fasciste. Leur silence est dû, en grande
partie, à ce qu'Amir Peretz a exigé qu'en cas de désaccord
public, ils renoncent à leur siège à la Knesset.
(...) Les organisations qui en temps normal se battent pour des
normes de gouvernement honnêtes, qui se ruent à la Cour suprême
pour tout soupçon de corruption, ont délaissé l'espace public
alors que la corruption politique des plus hauts rangs de l'Etat
faisaient une place douillette à Lieberman. Les seules voix de
protestation, à quelques exceptions près, sont venues des médias
(responsables de tout, comme chacun sait) et de députés arabes
dont Lieberman souhaiterait voir exécuter certains.
Des nouvelles d'Ehoud Barak, de l'autre côté de l'océan.
L'homme qui se décrivait comme un coureur de fond voit
s'approcher l'occasion d'entrer au gouvernement. Olmert le veut à
ses côtés. Pour survivre, Olmert est aujourd'hui obligé
d'acheter tout ce qui bouge. Peretz, le rival méprisé de Barak,
pèse le pour et le contre. Barak, lui non plus, n'a pas dit un
mot sur Lieberman. Pour quoi faire, après tout, alors qu'il
touche son but du
doigt?
Entre temps, alors que Lieberman a été nommé stratège en chef
du gouvernement, nos dirigeants ont reçu le soutien du
vice-ministre (travailliste) de la défense, Ephraïm Sneh. Lui
qui aime tant discourir sur les valeurs n'a rien trouvé à dire
sur Lieberman. J'imagine le ministre des menaces stratégiques,
qui a rarement tenu un fusil dans les mains, convoquant l'ancien général
Sneh pour discuter de la manière d'introduire les méthodes
russes en Tchétchénie contre la menace venue de Gaza.
L'autre jour, Lieberman n'a pas dit la vérité quand il a tenté
d'expliquer ce qu'il avait voulu dire exactement avec cette
comparaison. Il a hurlé sur les journalistes qu'il a accusés de
déformer ses véritables intentions : établir un gouvernement
différent dans les Territoires palestiniens, tout comme Vladimir
Poutine l'a fait dans la province rebelle en tuant des dizaines de
milliers de personnes et en détruisant des villes entières. Le
président Mahmoud Abbas et le Fatah ne sont pas assez bons pour
lui, ni bien sûr le gouvernement élu du Hamas. Alors, qui donc
souhaite-t-il y amener? Qui d'autre Lieberman pense-t-il pouvoir
tromper, maintenant qu'il a aveuglé le premier ministre et un
Parti travailliste claudiquant?
La vérité est, évidemment, que cette crise extrêmement grave
montre qu'il faut secouer la direction politique du pays, devenue
depuis longtemps une sombre farce. Mais tout ce qui reste de ce
système branlant et criblé de trous, ce sont quelques has been
et quelques-uns qui, comme chez Kafka, se sont réveillés un
matin libermanesque pour découvrir qu'ils s'étaient transformés
en cafards.
Israël est peut-être pauvre en ressources naturelles, mais on
nous a toujours dit qu'il était riche en ressources humaines.
Avec une arrogance colonialiste, Lieberman a dit cette semaine que
les Palestiniens devaient trouver un de Gaulle pour que nous
puissions leur parler. Ce type a le sens de l'humour. Que
dirait-il si leur de Gaulle voulait faire d'Israël une autre Tchétchénie?
Même Yossi Beilin n'a pas parlé trop fort. Le somptueux petit déjeuner
auquel il avait invité il y a 9 mois son rival idéologique,
pendant lequel il avait généreusement chanté ses louanges (dans
l'esprit de la gauche chic, mais dans un moment d'égarement), n'a
pas été seulement l'une de ses pires erreurs politiques : ce fut
aussi une approbation.
Et où est l'ancien premier juge de la Cour suprême Aharon Barak,
le gardien de la démocratie? Et où sont les professeurs? Et sur
quoi porte la grande manifestation? De la Gay Pride à Jérusalem.
Pas de l'anniversaire de
l'assassinat d'Itzhak Rabin, tué, dans l'esprit au moins, par la
droite renaissante. La seule preuve de courage de la part des députés
a été de s'absenter d'une cérémonie à la mémoire de Rabin
organisée par un Président accusé de viol.
/...
L'échec du recrutement à la direction du pays est grave et
profond. Ce ne sont pas les dirigeants actuels qu'il faut blâmer,
mais plutôt les électeurs et l'absence de critique au sein des
élites. Tout comme le de Gaulle de Lieberman n'est pas près
d'apparaître à Gaza, il n'y a aucun signe d'un grand dirigeant
sur le point d'apparaître chez nous. D'où ce morne sentiment qui
se répand qu'il n'y a rien à faire, parce que certaines crises
n'ont pas de solution, au moins pour les décennies à venir.
Quelle perspective pour un public qui perd espoir! |