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Ha'aretz

Qui a dit qu’Israël n’évacuait pas d’avant-postes illégaux ?
Gideon Lévy

Haaretz, 31 août 2007

www.haaretz.co.il/hasite/pages/ShArtPE.jhtml?itemNo=899287

Un enclos, trois tentes et un abri ouvert. A deux reprises, des employés de l’Administration civile se sont rendus sur ce campement de bergers dans le nord de la vallée du Jourdain et l’ont détruit. Alors ? Etat de droit ou pas ?

Un nuage de sable s’est soulevé au loin, couvrant le paysage désertique. Une jeep blanche et un camion blanc descendaient des collines : le convoi d’assistance de la Croix-Rouge internationale approchait. Un air de Darfour avec des plaques d’immatriculation genevoises. Il s’agit d’apporter des tentes, des couvertures, des conserves alimentaires et des ustensiles ménagers. Exactement comme ce que des convois semblables apportent au Darfour.

« Au Darfour, c’est mieux. Le monde entier s’intéresse au Darfour alors que personne ne se soucie de nous », soupire le vieux berger, Abed El-Rahim Bisharat (Abou Saqer). C’est la deuxième fois que la Croix-Rouge vient chez lui ces derniers temps. La deuxième fois que l’Administration civile, gardienne de la Loi, intervient ici, fait irruption dans ces pauvres campements de bergers et les détruit, les réduit en poussière, au milieu de nulle part.

Qui a dit qu’Israël n’évacuait pas d’avant-postes illégaux ? Qui a dit que la loi n’était pas appliquée en Cisjordanie ? Regardez les débris de ce misérable campement où courent des dizaines d’enfants pieds nus et des poules, des « intrus » comme dit le porte-parole de l’Administration civile, qui cherchent en vain à s’abriter du soleil accablant du milieu du désert, du milieu de l’été.

Oui, bien sûr, la Cour suprême a depuis longtemps confirmé qu’il s’agissait de « constructions illégales » ; oui, tout ici est mené conformément à la loi. Mais qu’en est-il de la justice ? Où iront ces bergers qui ont ici leurs pâturages depuis des décennies ? Quel genre de décret est-ce là qui décide que ceux-là sont des intrus et que les colons des alentours sont légalement les gens du lieu ? Et quelle est cette bravoure qui s’exerce sur les faibles et les expulse eux qui sont impuissants, mais pas sur les brutes violentes des avant-postes illégaux qui fleurissent sur toutes les collines ? Questions qui flottent sans réponse, parfaitement irritantes, dans le désert de la vallée, à Houmsa et Hadidiyah, deux coins perdus où ces bergers ont planté leurs tentes, essayant de trouver des pâturages pour leur bétail, leur unique source de revenus, pendant les jours brûlants de l’été. Comme elle est efficace la machine de l’occupation : aucune tente n’échappe à son regard, même pas ici, au bout de cette terre blessée et ensanglantée.

« De Gilad vers la vallée / l’agneau noir et doux est descendu / une brebis pleure dans l’enclos / c’est son petit qui s’est perdu », écrivait Leah Goldberg. Oh ! Comme nous aimons les bergers ! Des dizaines de poèmes ont été écrits sur le berger et son troupeau, attendrissement de notre vie, aucun autre métier ne possède une aura aussi romantique ici, dans notre courte mythologie. Depuis « Buvez, buvez, troupeaux » jusqu’à « Une flûte de berger chantera ». Mais sur ces bergers-ci et leurs moutons, on n’écrira pas de poème. La « brebis qui bêle et pleure » de Leah Goldberg n’a même plus d’enclos.

Nous avons quitté la route d’Elon, déserte, et avons emprunté un chemin de terre, soulevant derrière nous une traîne de poussière et de sable, en suivant la voiture d’un enquêteur de B’Tselem, Ataf Abou-Rov. De jeunes antilopes bondissaient aux alentours, près des vignes verdoyantes de Bekaot, une colonie baignant dans l’herbe au milieu du désert. La colonie de Ro’i verdoie au loin elle aussi. Là-bas il n’y a pas de problème d’eau.

Après quelques kilomètres de sable et de sable, nous sommes arrivés au campement de la famille Bisharat : quelques ondulations de décombres. Jeudi passé, le fléau de l’Administration civile s’est abattu sur eux, confisquant un tracteur et une remorque avec une citerne à eau, à peu près unique moyen de subsistance, et abattant les tentes sur le maigre bien qui s’y trouvait. Maintenant, les ustensiles ménagers, les matelas et les enfants s’éparpillent à ciel ouvert. Chien et coq cohabitent : la bande de chiens et la basse-cour se serrent à l’ombre du nouveau réservoir à eau qui a été amené ici pour abreuver les gens et le bétail. Cinq moutons déjà sont morts de la chaleur et plusieurs brebis ont mis bas avant terme.

Le campement détruit de la famille Bisharat.

Aucune tente n'a échappé à la machine de l'occupation.

Photo Miki Kratsman

Une trentaine de personnes vivent dans ce campement. La plupart sont de petits enfants, morveux, terriblement négligés. Ces gens sont de la petite ville de Tamoun, mais c’est ici leur lieu de vie et la source de leurs revenus : la famille élargie élève quelques 700 têtes de bétail. L’été, la famille tout entière s’installe ici mais l’hiver, les enfants et les femmes sont à Tamoun et seuls les hommes, les bergers, restent avec le bétail.

Nous nous asseyons à l’ombre de sacs de farine usagés, tendus entre des piquets de bois en remplacement des tentes détruites. Les femmes se serrent par terre, derrière l’écran d’un autre sac de farine. Pas d’électricité, pas d’eau, pas d’égouts, pas d’école. Rien. Malgré leur mode de vie, ce ne sont pas des bédouins mais des bergers palestiniens, même si dans les documents de l’omnisciente Administration civile, c’est parfois indiqué autrement. Abou-Saqer dit que son père est lui aussi né ici.

Cela fait des dizaines d’années qu’ils font paître leurs troupeaux dans ces espaces déserts. Qui diable peuvent-ils bien déranger ? Abou-Saqer : « Ils veulent un territoire vide. Ils veulent nous faire endurer une souffrance telle que nous partions. Ça fait partie du combat mené contre les Palestiniens ». Cela fait depuis 1997 que l’Administration les persécute ici. On a commencé par essayer de les rassembler sur des sites fermés, de restreindre leurs déplacements, et maintenant on parle de les chasser tous. Au début, ils pouvaient se rendre à Tamoun avec leurs tracteurs, en passant par les montagnes ; maintenant, l’armée israélienne a creusé des tranchées anti-tracteurs et la route jusque Tamoun est quatre fois plus longue, sans compter les barrages qui parsèment le chemin et qui n’autorisent à descendre dans la vallée bouclée que ceux dont l’adresse indiquée sur leur carte d’identité est bien ici.

Le jeudi matin de la semaine passée, le convoi des démolisseurs est arrivé vers huit heures et demie. Un bulldozer, des jeeps, des camions, l’Administration, l’Armée, toute la communauté des gardiens de la Loi. Sans un mot, ils ont entrepris leur vile besogne : en moins d’une heure, il ne restait rien debout. Les tentes, l’abri ouvert, l’enclos, tout était foulé aux pieds. Le soir, les démolisseurs sont rentrés chez eux : qu’ont-ils bien pu raconter de leur dur labeur quotidien ? Qu’ils ont démoli des tentes ? Qu’ils s’en sont pris à de simples bergers ? Qu’ils ont observé la Loi ? L’opération s’est déroulée sans heurts.

Le berger Moustafa Bisharat, père de six enfants : « Quoi, résister ? Comment résister ? Nous avons les moyens de résister ? » Ils se sont assis et ils se sont tus et ils ont regardé comment on détruisait leur vie. Les démolisseurs étaient ici aussi dix jours plus tôt, un mardi. Ils reviendront sûrement ici dans dix jours. Ce travail-là doit être fait. Le tracteur et la remorque ont été mis sur un camion pour que surtout – le ciel nous préserve ! – il ne reste pas d’eau pour les gens de l’endroit. Détruire, déraciner, effacer de la surface de la terre et assoiffer – aussi assoiffer. L’occupation pousse le diabolique jusque là. Seules deux petites ruches sont restées entières, à côté des ondulations de décombres. Ont-elles échappé au regard des démolisseurs ou ceux-ci ont-ils simplement été négligents dans l’accomplissement de leur tâche ?

Les bergers ont le visage fatigué, ridé par le soleil. En février dernier, ils ont été chassés de Hadidiya tout proche et sont venus ici après avoir échoué à l’épreuve de la Cour suprême. Eran Ettinger, haut responsable du cabinet du procureur général, a écrit en son temps à la Cour suprême : « Les décisions du service de la planification habilité pour les questions de ce genre de bâtiments ont été acceptées sur base d’un point de vue professionnel de l’aménagement du territoire et il n’y a pas place pour une intervention de cette Honorable Cour dans ces décisions ». Abou-Saqer prend à côté de lui une plaque de fer rouillée qui traînait dans le sable : « C’est un bâtiment, ça ? ». Point de vue d’un professionnel de l’aménagement du territoire.

Des poulets courent entre vos jambes, cherchant à se cacher du soleil. Un âne blanc est attaché en plein soleil, pleurant pour avoir de l’eau. « Où dormez-vous ? » « Ici ». « Où ça ici ? » « Ici, par terre ». Abou-Saqer : « Il n’y a pas d’autre moyen. Où aller ? Un demi kilomètre plus bas, un demi kilomètre plus haut. Où emmener 700 moutons ? » Vous avez envisagé de vendre le troupeau et de partir ? « Evidemment. Si les ministères s’ouvraient à nous et nous proposaient du travail, évidemment que nous partirions. Mais qui nous prendrait ? Nous n’avons jamais rien appris, nous sommes bergers. Si nous vivons ici, dans ces conditions-là, c’est seulement parce que nous n’avons pas le choix. »

« Qui accepterait de vivre dans de telles conditions ? Quelqu'un vit-il comme cela en Israël ? Mais même comme ça on ne nous permet pas de vivre. La politique ne nous intéresse pas. Qui mettons-nous en danger ici ? Qui dérangeons-nous ici ? Donnez-nous de quoi nourrir nos enfants et nous donnerons le troupeau. Mais nous n’avons pas d’autre moyen : ou être bergers ou être voleurs. Si nous devions vendre le troupeau, c’est parce que ce serait notre seule option. Et nous ne le voulons pas. Nous ne voulons pas être des voleurs. »

Dans le campement voisin, à quelques dizaines de mètres de là, Abdallah Beni Odi est assis, appuyé sur sa canne, chaussures défaites. La soixantaine, partiellement paralysé au niveau des jambes, il ne parvient à se mettre debout qu’avec difficulté. Son état s’est aggravé ces dernières années. Il est assis sur ce qu’il reste d’une chaise en plastique sauvée des décombres, et sous une toile tendue entre deux piquets. Son campement a lui aussi été démoli, mêmes images de désastre que chez ses voisins.

« Armée de défense d’Israël. Décret en matière de sécurité (Judée et Samarie) n° 378, 1970. Administration civile, unité centrale de surveillance. Avertissement d’obligation d’évacuation d’un territoire fermé. Enclos + trois tentes et abri ouvert. Tracteur, remorque et citerne. »

Le porte-parole de l’Administration civile a communiqué ceci, en réponse à une interpellation de « Haaretz » : « Les bâtiments qui font l’objet de votre interpellation ont été construits de manière illégale. C’est pourquoi l’unité de surveillance de l’Administration civile a exécuté les derniers ordres de destruction qui s’y rapportaient. L’exécution de l’ordre de démolition à l’encontre d’un bâtiment non autorisé à Hadidiya a même été examinée à deux reprises par la Cour suprême à la demande des habitants du lieu et pour ces deux requêtes, c’est le point de vue de l’Administration civile qui a été reçu ».

Le vert des colonies des alentours agace, narguant la misère de leur existence. Du camion de la Croix-Rouge est déchargée l’aide offerte par le monde aux réfugiés de Houmsa. Le petit groupe de bergers observe ce qui se passe avec indifférence. La suissesse contrôle les listes, le chauffeur palestinien décharge un matelas après l’autre, une tente après l’autre, un service à café après l’autre. D’ici quelques jours, tout le monde le sait ici, tout cela sera foulé aux pieds.

(Traduction de l'hébreu : Michel Ghys)



Source : Michel Ghys


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