Gideon Levy
Jeudi 28 janvier 2010
Source :
Haaretz-Holocaust
remembrance is a boon for Israeli propaganda
Les
grosses légumes d’Israël ont attaqué à l’aube sur un vaste
front. Le Président en Allemagne, le Premier ministre, à la tête
d’une énorme délégation, en Pologne, le ministre des Affaires
étrangères en Hongrie et son adjoint en Slovaquie, le ministre
de la Culture en France, le ministre de l’Information aux
Nations unies, et même le député druze du Likoud à la Knesset,
Ayoub Kara, en Italie. Ils sont tous partis faire des discours
affligeants sur l’Holocauste.
Mercredi [27 janvier] était la
Journée internationale de commémoration en
mémoire des victimes de l'Holocauste
, et on n’avait pas vu une telle campagne de relations publiques
israéliennes depuis belle lurette. Le moment choisi pour ce rush
inhabituel - jamais autant de ministres n’avaient été déployés
simultanément à travers le monde - n’est pas fortuit : quand le
monde parle de Goldstone, nous parlons d’Holocauste, comme pour
brouiller les cartes. Quand le monde parle d’occupation, nous
parlons de l’Iran, comme si nous voulions la lui faire oublier.
Ça ne sera pas d’un grand
secours. La Journée internationale de commémoration de
l’Holocauste est passée, les discours seront vite oubliés, et la
déprimante réalité quotidienne restera. Israël n’en sortira pas
avec une bonne mine, même après sa campagne de relations
publiques.
La veille de son départ, le
Premier ministre Benjamin Netanyahu a parlé à Yad Vashem. « Il y
a du mal dans le monde», a-t-il dit. « Le mal doit être étouffé
dans l’œuf. » Certains « tentent de nier la vérité ». De grands
mots, prononcés par la même personne qui, la veille seulement,
pas vraiment dans le même souffle, avait prononcé de tout autres
paroles, des paroles du mal, du mal véritable, du mal qui
devrait être étouffé dans l’œuf, celui qu’Israël essaie de
cacher.
Netanyahou parlait d’une
nouvelle « politique d’immigration », une politique qui incarne
le mal. Il a amalgamé avec malveillance, les travailleurs
immigrés et les malheureux réfugiés – mettant en garde contre le
danger qu’ils représentent pour Israël, en faisant baisser nos
salaires, en nuisant à notre sécurité, en faisant de nous un
pays du tiers-monde et nous apportant de la drogue. Il soutenait
avec ardeur notre ministre raciste de l’Intérieur, Eli Yishai,
qui, a parlé des immigrés comme propagateurs de maladies telles
que l’hépatite, la tuberculose, le Sida et Dieu sait quoi
encore.
Aucun discours sur
l’Holocauste n’effacera ces mots d’incitation à la haine et de
diffamation à l’encontre des immigrés. Aucun discours de
commémoration ne masquera la xénophobie qui a redressé la tête
en Israël, et pas seulement à l’extrême-droite comme en Europe,
mais à travers tout le gouvernement.
Nous avons un Premier
ministre qui parle du mal mais qui érige une barrière pour
empêcher les réfugiés de guerre de frapper à la porte d’Israël.
Un Premier ministre qui parle du mal mais qui prend part au
crime du blocus de Gaza, aujourd’hui dans sa quatrième année,
laissant un million et demi de personnes dans des conditions
honteuses. Le Premier ministre d’un pays dont les colons
perpètrent des pogroms contre des Palestiniens innocents avec la
devise « price tag » (« étiquette de prix »=le prix à payer),
qui a aussi aussi une connotation historique horrible, mais
contre lesquels l’Etat ne fait pratiquement rien.
C’est le Premier ministre
d’un État qui arrête des centaines de manifestants de gauche qui
se battent contre les injustices de l’occupation et la guerre à
Gaza, alors qu’il pardonne en masse aux gens de droite qui ont
manifesté contre le désengagement. Son discours d’hier, dans
lequel Netanyahu a assimilé l’Iran fondamentaliste à l’Allemagne
nazie, n’était que de la propagande de bas étage. Une vraie
« banalisation de l’Holocauste ». L’Iran n’est pas l’Allemagne,
Ahmadinejad n’est pas Hitler, et les mettre sur le même pied
n’est pas moins faux que d’assimiler les soldats israéliens aux
nazis.
L’Holocauste ne doit pas être
oublié et il n’est pas nécessaire de le comparer avec quoi que
ce soit d’autre. Israël doit participer aux efforts pour garder
son souvenir vivant, mais pour cela, Israël doit présenter des
mains propres, lavées du mal de leurs propres actes. Et il ne
doit pas éveiller le soupçon qu’il utiliserait cyniquement la
mémoire de l’Holocauste pour occulter et brouiller d’autres
choses. Malheureusement, ce n’est pas le cas.
Comme cela aurait été
magnifique si, à l’occasion de cette Journée internationale du
souvenir, Israël avait pris le temps de faire son examen de
conscience et de se demander, par exemple, comment il se fait
que l’antisémitisme ait pu redresser la tête dans le monde,
juste l’année écoulée, celle qui a suivi nos bombardements au
phosphore blanc sur Gaza. Comme cela aurait été magnifique si,
pour cette Journée internationale de commémoration de
l’Holocauste, Netanyahou avait annoncé une nouvelle politique,
une politique pour intégrer les réfugiés au lieu de les
expulser, ou s’il avait levé le blocus de Gaza.
Mille discours contre
l’antisémitisme n’éteindront pas les flammes allumées par
l’opération Plomb durci,
qui menacent non seulement Israël mais l’ensemble du monde juif.
Aussi longtemps que Gaza restera sous blocus et qu’Israël
s’enfoncera dans sa xénophobie institutionnalisée, le discours
sur l’Holocauste restera creux. Aussi longtemps que le mal sera
rampant, ici, chez nous, ni le monde ni nous-mêmes ne serons en
mesure d’accepter les prêchi-prêcha que nous assénons aux
autres, même s’ils les méritent.
Traduit
par Fausto Giudice
Cette traduction est libre de
reproduction, à condition d'en respecter l’intégrité et d’en
mentionner l’auteur, le traducteur et la source.
