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Ha'aretz

Cause du décès : tir délibéré
Gideon Lévy 

Haaretz, 19 octobre 2006

www.haaretz.co.il/hasite/pages/ShArtPE.jhtml?itemNo=776413

Version anglaise : Loss upon loss
www.haaretz.com/hasen/spages/777005.html

La maison de la famille Abou Odeh, à Beit Hanoun, avait été bombardée en mai dernier et plusieurs membres de cette famille avaient été blessés. Quatre mois plus tard, environ, en sortant de leur maison, le père, Mohamed, son fils Ismaïl et sa fille Hanan ont été tués par les tirs des soldats les visant directement. Le titre de cet article est tiré du certificat de décès rédigé par un médecin israélien.

Nous avions bu du thé avec le maître de maison. C’était au mois de mai. ([i]) Mohamed Abou Odeh nous avait montré les ruines de sa maison qui avait été bombardée. Boum après boum, obus après obus, le canon tonnait alors, faisant trembler les murs de la maison. La petite Mayssa errait pieds nus parmi les décombres, marchant sur un tapis d’éclats de verre, avec à la main un paquet de vêtements qu’elle ne lâchait pas. Petite fille de cinq ans, dont le visage gris disait le traumatisme. Abed, son cousin, avait été blessé alors qu’il était monté sur le toit de la maison pour remplir d’eau un réservoir. Mohamed, un homme de petite taille, barbu, nous avait silencieusement accompagnés dans un tour de sa maison en ruines, dont le toit s’était effondré sur la terrasse.

Cette semaine, nous sommes retournés dans cette maison située à la limite de la bourgade de Beit Hanoun, face aux vergers que l’armée israélienne a arrachés et la rangée de palmiers Washingtonia restée debout. Mohamed n’est plus, ni son fils Ismaïl, ni sa fille Hanan. Tous les trois tués par les tirs de l’armée israélienne. La maison qui avait été bombardée en mai est devenue, en septembre, une maison marquée par le deuil de trois personnes : Mohamed, 53 ans, Ismaïl, 27 ans et Hanan, 15 ans. Leur seul tort, selon les témoignages, aura été de se ruer hors de la maison au milieu de la nuit, terrifiés par le tonnerre d’un obus ou d’un missile atterri sur leur maison. Et c’est alors que les soldats postés dans la rue leur ont tiré dessus, les tuant l’un après l’autre.

Azhar, âgée de 16 ans, se déplace maintenant avec des béquilles : elle aussi a été blessée. Elle et sa sœur Hanan sont restées toutes deux étendues sur le sable, à l’entrée de la maison, les soldats leur refusant pendant toute une heure de recevoir des soins médicaux ou d’être évacuées, disent les membres de la famille, révoltés. Hanan perdait du sang. Elle est morte trois semaines plus tard à l’hôpital Barzilai d’Ashkelon vers lequel elle avait finalement été évacuée. Azhar a survécu. Sur le certificat de décès de Hanan Abou Odeh, signé par le docteur Daniel Strich, on peut lire : « Cause du décès : tir délibéré ».

Aux alentours de deux heures du matin, ils se sont réveillés dans la panique. Quelque chose avait atterri et explosé sur la cabane en tôle qui se trouve dans la cour et où plusieurs des enfants dormaient du sommeil du juste, sous le plafond en asbeste. C’était dans la nuit du deux septembre. La mère, Intissar, et Mohamed dormaient dans deux coins différents du salon de la maison, dont les fenêtres sont maintenant fermées de briques grises, pour protéger des bombardements.

Intissar était persuadée que tous ses enfants avaient été tués. Mohamed s’est précipité vers la porte et est sorti dans la cour, pour examiner ce qui était arrivé aux enfants. Les filles, Hanan et Azhar se sont empressées de sortir à sa suite. Lorsqu’Intissar est sortie dans l’obscurité, elle a aperçu les deux filles étendues par terre, blessées. Azhar gémissait. Hanan était silencieuse. Plusieurs soldats, dit-elle, se tenaient dans la rue, le visage noirci, pointant leurs torches sur les blessées. Azhar était consciente et a dit à sa mère que les soldats avaient tiré sur elle. Intissar a commencé à appeler à l’aide les membres de la famille restés à l’intérieur, pour qu’ils viennent secourir les filles. Ils sont parvenus à traîner les deux filles à l’intérieur de la maison et ont immédiatement essayé d’appeler une ambulance.

Répondant aux cris de sa mère, Younes est arrivé, depuis la cabane de la cour, après avoir réussi à entrer par une fenêtre à l’intérieur de la maison. Intissar a vu que le corps de Younes était couvert de sang. « Qu’est-ce qui s’est passé ? Tu es blessé ? », a-t-elle demandé, bouleversée. Non, il n’était pas blessé. C’était le sang de son frère Ismaïl, tué à ses côtés dans la cabane. Intissar savait maintenant qu’elle avait perdu un fils et que deux de ses filles étaient étendues dans la maison, blessées.

Younes a jeté un coup d’œil dans la rue, depuis la fenêtre. A travers l’obscurité, il a aperçu son père, Mohamed, lui aussi étendu dans la rue, tué. Lui aussi, on lui avait tiré dessus. Intissar comprenait maintenant qu’elle avait aussi perdu son mari. Dans le salon, Hanan vomissait du sang. « Quand j’ai su que mon mari avait aussi été tué, j’ai décidé d’essayer au moins de sauver les filles », dit-elle maintenant, furieuse, assise par terre dans sa maison.

Younes a décidé de ramener les deux filles blessées dehors, dans la rue, pensant qu’à l’arrivée de l’ambulance, leur évacuation serait ainsi plus rapide. Il les a traînées toutes les deux sur le sol. Dehors, les soldats se tenaient autour des deux blessées et, aux dires des membres de la famille, ils ne levaient pas le petit doigt. Les gens de la famille les ont suppliés de les évacuer mais les soldats, disent-ils, se contentaient de leur imposer silence. Aucune ambulance ne parvenait à approcher. Désespérée, Intissar s’est mise à agiter le foulard blanc qu’elle portait sur la tête, et à crier à l’aide.

Les soldats ont ordonné à tous les membres de la famille d’évacuer la maison dans les cinq minutes. Ils ont menottés les hommes et les ont rassemblés dans un bâtiment proche. Intissar dit être devenue hystérique et avoir commencé à se frapper le corps. Les soldats lui ont ordonné de se calmer. Elle dit leur avoir crié : « Vous n’avez pas de mère ? Vous n’avez pas de sœurs ? Vous n’avez pas d’enfants ? Vous n’avez pas de sentiments ? »

Une autre de ses filles, Myada, a elle aussi sollicité la compassion des soldats pour le sort de ses sœurs. Elle dit que c’était « comme parler à un mur ». Hanan respirait difficilement, agonisait. Azhar n’arrêtait pas de gémir. « J’ai senti que c’était fini pour Hanan », raconte Myada, « j’ai éclaté intérieurement ». Après un moment, un engin blindé de l’armée israélienne est arrivé de l’Est et les deux sœurs y ont été introduites. Azhar raconte qu’à l’intérieur du véhicule blindé, on n’a pas pris soin d’elles et qu’elles y sont restées une heure et demie. Peut-être chaque minute lui a-t-elle semblé une éternité.

Une ambulance palestinienne a finalement été autorisée à les évacuer du véhicule blindé, vers l’hôpital Kamal Adouan, proche, où elles sont arrivées alors que le matin se levait déjà. Dix jours plus tard, Hanan était transférée à l’hôpital Barzilai. Elle y décédait de ses blessures le 20 septembre.

Le porte-parole de l’armée israélienne : « Au cours de la nuit du 2 septembre, des forces spéciales de l’armée israélienne, en collaboration avec les forces du service de sécurité, ont lancé un raid et ont arrêté deux militants du Hamas dans la Bande de Gaza. Les militants, Mohamed Tarabin et Younes Abdel Fitah, étaient impliqués dans des tirs à trajectoire courbe et la pose d’engins explosifs. Durant l’opération, on a ouvert le feu, y compris avec des missiles anti-char, contre nos forces, depuis la maison où se cachaient les hommes recherchés. Les forces ont répliqué en direction de la source des tirs et ont repéré un coup au but. Au cours de l’échange de tirs, un certain nombre de Palestiniens résidant dans la zone des combats ont été blessés. Une ambulance militaire blindée a dégagé les Palestiniens qui avaient été blessés et les a menés à deux ambulances palestiniennes pour la suite des soins. L’armée israélienne fait tout son possible pour éviter de toucher à des personnes non impliquées et en aucun cas, elle ne les vise délibérément. L’activité des organisations terroristes s’opère souvent sous le couvert de personnes non impliquées qui sont utilisées comme bouclier humain ».

Maintenant, assises par terre, les femmes de la famille – les deux grands-mères, la mère et les sœurs – se lamentent. Aux murs sont accrochés les portraits de ceux qui ont été tués ainsi qu’un gigantesque poster montrant Ismaïl, le fils, avec Arafat à l’arrière-plan. Le poster, carré, occupe presque tout un mur. Au-delà des embrasures de fenêtres obturées par des briques : Ashkelon au nord, Sderot à l’est. Le toit qui s’était effondré n’a pas encore été réparé.

Autre événement familial, cette fois dans le quartier Sajiya à Gaza. Une rangée d’hommes endeuillés, assis, le visage sombre et fermé, dans la tente de deuil dressée dans la rue principale du quartier, la rue Mansoura, pleurant Ossama et Iman Al-Harazin, le père et sa petite fille, tués ici la semaine dernière. Une profusion de drapeaux du Jihad Islamique, noirs avec des lettres dorées, nous empêche d’approcher de la tente.

Ce n’est pas que le deuil manque à Gaza. Il y règne au contraire. Voici Jamal Abou Nasser qui porte le deuil de son enfant. La famille a passé 25 ans à Abou Dhabi où Jamal travaillait comme enseignant. Il y a deux ans, la famille est revenue dans l’enfer de Gaza. Jamal dit l’avoir fait pour permettre à ses trois enfants devenus adultes d’aller à l’université à Gaza. Actuellement, un fils étudie la pharmacie à l’Université Islamique, un autre fils étudie l’informatique à l’Université ouverte Al-Quds, la fille étudie l’art à Al-Azhar et le cadet, Mahmoud, un jeune garçon de 15 ans, a été tué. Né à Abou Dhabi, mort à Beit Hanoun.

Le lundi de la semaine passée, la famille Abou Nasser s’est rendue, comme chaque jour, sur son lopin de terre, en bordure de Beit Hanoun. La famille y possède un dounam et demi, quelques arbres fruitiers, un enclos avec des poules, un pigeonnier et une construction pour passer la nuit, le tout ceint d’un mur de béton avec une porte métallique. Propriété du riche beau-frère qui vit au Caire. Ils ont donc quitté la maison aux alentours de midi et demi, Jamal et deux de ses fils, Mohamed 16 ans et Mahmoud 15 ans, avec leur vieux voisin de 70 ans et son petit-fils de sept ans, à bord de la Subaru. Jamal dit qu’ils ont roulé pour prendre l’air.

Jamal a fait descendre tout le monde de voiture, puis est allé faire le plein d’essence à la station située en face. En revenant, il a tout à coup entendu le bruit d’une explosion. Un missile ou un obus avait atteint Mahmoud. Il a compris que, pendant le court laps de temps pendant lequel il avait fait le plein d’essence, Mahmoud avait aperçu un dispositif de lancement de roquettes Qassam posé par terre à une centaine de mètres du lopin familial. Le jeune garçon s’est approché du lanceur, soit par curiosité, soit qu’on l’ait envoyé pour l’enlever. La réponse de l’armée israélienne a été immédiate et meurtrière.

Jamal est convaincu que son fils n’était pas impliqué dans le moindre tir de Qassam. « Même si vous lui aviez donné un révolver, il n’aurait pas pu s’en servir », dit-il. « Il y a seulement deux ans que nous sommes arrivés ici. » Au bruit de la détonation, Jamal s’est couché par terre. Quand il s’est relevé, il a aperçu son fils tué, étendu à quelques dizaines de mètres de lui. La tête déchiquetée. « J’ai compris que le gamin était mort », dit-il et il raconte avoir ensuite entendu à la radio qu’Israël prétendait que la voiture familiale était chargée de roquettes. Pas précisément. Quand les forces de sécurité palestiniennes l’ont examinée, elles n’ont trouvé que quelques sacs de restes de nourriture destinés aux poules.

La mère en deuil, Marwat, offre à ses hôtes d’Israël des dattes et du thé, en dépit du Ramadan. « Pourquoi ont-ils tué mon fils ? C’était seulement un gamin de 15 ans », dit-elle. Mahmoud voulait devenir acteur de télévision. L’été dernier, il avait participé à un atelier de théâtre au centre culturel local et avait joué dans des représentations pour enfants. Sur la dernière photo de lui, on le voit se photographiant : portrait redoublé d’un enfant, sur fond noir.

(Photo : Miki Kratsman)

(Traduction de l'hébreu : Michel Ghys)


[i] Gideon Lévy : « Une vie en éclats », Haaretz, 4 mai 2006

 

 


Source : Michel Ghys


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