Opinion
Israël : Apartheid
et Démocratie
Gidéon Levy
Mercredi 14
novembre 2012
(revue de presse : Mail & Guardian, 2/8
novembre 2012) Petit à petit, le
mot apartheid fait son entrée dans le
discours israélien. Tout d’abord, il est
venu de l’extérieur, dans les
comparaisons faites par les militants
entre le régime militaire israélien dans
les territoires occupés et le régime de
l’apartheid en Afrique du sud. Mais,
récemment, ces similarités commencent à
faire l’objet de débats en Israël même.
Ce qui est une bonne nouvelle.
Un sondage conduit
par un institut israélien,
Dialog and the Ysraela Goldbum Fund,
et publié la semaine dernière dans
Haaretz, révèle des tendances
troublantes de la société juive d’Israël
: elle est devenue plus nationaliste et
manifeste des attitudes racistes à
l’égard des citoyens arabes et des
Palestiniens des territoires occupés.
Un tiers des juifs
interrogés veut qu’une loi interdise aux
citoyens arabes de participer aux
élections des membres du parlement, la
Knesset ; 59% veulent que la préférence
soit donnée aux juifs pour l’attribution
de postes dans les ministères ; 49%, que
l’Etat traite mieux les citoyens juifs
que les Arabes ; 42% refusent d’avoir un
voisin arabe dans leur immeuble ou un
enfant arabe dans l’école de leur
progéniture ; 58% pensent qu’Israël
pratique déjà une discrimination
(même si la Cisjordanie n’a pas encore été annexée) ; 39% pensent
qu’elle existe déjà dans « certains
secteurs » et 19%, dans de
«
nombreux domaines ». Seulement 31%
sont d’avis qu’aucune discrimination
n’est en place.
36% pensent que le
boycott de l’Afrique du sud a mis le
régime à terre contre 34% qui pensent
qu’il n’a eu aucune influence. 38%
seulement désirent que la Cisjordanie
soit annexée mais 69% objectent sur la
faculté donnée aux 2,5 millions d’Arabes
d’avoir le droit de vote en cas
d’annexion.
19% seulement sont
en faveur d’une égalité de droit de vote
en cas d’annexion. Finalement, 74%
d’Israéliens sont d’accord avec le fait
que des routes séparées existent pour
eux-mêmes et les Palestiniens en
Cisjordanie, un tiers pensant que c’est
« une bonne chose » et 50%, que « c’est
une chose nécessaire ». 17% voudraient
la fin de la séparation.
Déshumanisation des Palestiniens
Les résultats du
sondage n’ont été en rien une surprise.
Des sondages précédents avaient déjà
dévoilé des sentiments similaires,
anti-arabes, ultra-nationalistes au sein
de la majorité des juifs israéliens.
L’occupation de la Cisjordanie qui dure
depuis plus de 45 ans, privant les
Palestiniens de leurs droits civils, est
bien enracinée en Israël et n’est ni
mise en doute, ni contestée. Ni
d’ailleurs la discrimination à l’égard
du million et demi d’Arabes Israéliens.
La plupart des
Israéliens sont indifférents ou aveugles
à ce qui se passe dans leur cour, à une
heure et demie de chez eux, au-delà de
la ligne verte, la ligne d’avant
l’occupation. Les médias ne
s’intéressent pas à l’occupation et
systématiquement déshumanisent et
diabolisent les Palestiniens.
Etant donné la
réalité, faire la paix avec les
Palestiniens serait un acte totalement
antidémocratique et les Israéliens dans
leur ensemble n’en veulent pas. Une
société égalitaire et juste irait à
l’encontre de leurs vœux. Ils sont
satisfaits de leur racisme, rassurés par
l’occupation et contents de l’apartheid.
Tout va bien pour eux dans ce pays et
c’est ce message qu’ils ont fait passer
lors des sondages.
Il est difficile de
leur en tenir rigueur. Des années de
lavages de cerveau et de terreur ont
laissé leurs marques. Cependant,
l’endoctrinement ne leur enlève pas leur
part de responsabilité. Le système
éducatif et, pis encore, les médias
incitent et enflamment les esprits,
semant la haine et la peur, mais ils le
font pour cadrer avec le goût de leurs
lecteurs et leur être agréables C’est un
cercle vicieux dramatique qui ne permet
pas de démêler ce qui vient en premier.
Israël est-il un
Etat d’apartheid ? L’occupation
peut-elle se comparer au système de
l’apartheid ? Il y a quelques années,
j’ai accompagné une délégation
sud-africaine de militants des droits de
l’homme et de parlementaires en visite
en Israël et dans les territoires
occupés. Nous avons passé une journée en
Cisjordanie, principalement dans le camp
de réfugiés de Balata et dans la ville
de Naplouse où nous avons rencontré des
résidents et des militants. A la fin de
la visite, j’ai posé ladite question aux
membres de la délégation. Je me souviens
jusqu’à présent d’une réponse :
«
L’occupation israélienne est pire ».
Comparer la
tyrannie militaire en Cisjordanie avec
le régime d’apartheid de l’Afrique du
sud laisse la place à de nombreuses
différences, la plus importante étant
qu’elle ne repose pas sur une idéologie
ou une législation officielle raciste.
Mais, personne ne peut ignorer la
répression, la discrimination, la
séparation, l’absence de droits de
l’homme, de droits civiques et libertés
fondamentales dans les territoires
occupés, que cela s’appelle apartheid ou
occupation brutale.
Le dernier sondage
y ajoute une nouvelle dimension, pas
obligatoirement négative : les
Israéliens reconnaissent qu’ils sont ce
qu’ils sont et ils le reconnaissent
toute honte bue.
* Gidéon Lévy est
éditorialiste au quotidien israélien
Haaretz
Traduction :
Xavière Jardez – Titre et intertitre :
AFI-Flash
Titre original : Practising apartheid --
and proud of it
http://mg.co.za/article/2012-11-02-00-practising-apartheid-and-proud-of-it
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