Opinion
La paranoïa
d'Israël à propos des activistes
propalestiniens
Gideon
Levy
Samedi 14 avril
2012
Israël ne reste pas les bras
ballants alors que des milliers
d’activistes se préparent à débarquer
dimanche ; et il ne loupera pas
l’occasion de se rendre une fois de plus
ridicule à la face du monde.
Et avec quoi allons-nous effrayer le
public israélien, en prévision du
septième et dernier jour de la fête des
Azymes (septième jour
après Pâques) ? Comment allons-nous nous
y prendre pour distiller la dose de peur
à laquelle il est accro depuis longtemps
? Après une semaine de vacances sans
remous et sans danger, il nous faut
quand même trouver quelque chose, non ?
Les négociations à propos de la menace
iranienne sont entrées dans une longue
impasse, le terrorisme reste silencieux
et même les missiles Grad
ont diminué en nombre ; il n’y
a pas d’épidémie de peste en vue et même
les circonstances de l’agression contre
les Juifs, à
Kiev, n’ont pas été
suffisamment tirées au clair.
Mais Israël n’a pas
été laissé de côté pour autant et,
finalement, l’esprit israélien a quand
même tiqué sur quelque chose : la
provocation des vols propalestiniens,
comme on l’a déjà appelée. Le ministère
de la Sécurité publique
convoque des consultations délirantes,
les compagnies aériennes ont reçu la «
liste noire » préparée à
l’avance par les omniscients réseaux de
sécurité, le journaliste spécialisé dans
le crime – car il s’agit bien d’un
crime, qu’alliez-vous penser ? – a déjà
été dépêché à l’aéroport international
Ben Gourion pour
accueillir le danger qui se précise.
Israël est prêt pour
le jour J de dimanche prochain. On a dit
que 2.500 activistes allaient débarquer
en Israël et y semer la
peur. Bien que le journaliste du crime
ait expliqué à la nation que les
activistes n’avaient pas l’intention de
porter des armes ni de recourir à la
violence, quand même, une fois qu’il
s’agit de parler de danger, de terreur,
de semer l’épouvante, toutes les forces
ont déjà été mises sur pied de guerre
pour le grand jour. La dernière fois,
voici près d’un an, l’affaire se termina
par l’expulsion immédiate de 127
personnes préalablement incarcérées,
comme elles le méritaient, et le danger
fut étouffé dans l’œuf.
Les intentions des organisateurs –
une visite de solidarité avec le peuple
palestinien, un voyage d’une traite de
Ben Gourion à
Bethléem dans la moindre
intention violente – ont été
immédiatement escamotées et remplacées
par l’accusation habituellement utilisée
par Israël : terrorisme et
délégitimation. Tels sont les
termes par lesquels nous accusons tous
les amoureux de la paix et autres
militants des droits de l’homme.
Si Israël n’avait
pas gonflé l’histoire dans de telles
proportions, peu de gens auraient
accordé la moindre attention à ces
protestations innocentes. Si
Israël avait accueilli ces
activistes avec chaleur et les avait
envoyés tout simplement à
Bethléem, cela les aurait
embarrassés et auraient même sapé
quelque peu leur objectif. Mais l’État
d’Israël n’entend pas rester là à ne
rien faire. Quoi qu’il en soit, il ne
loupera pas une occasion de se rendre
ridicule et plus méprisable encore à la
face du monde. Il va décréter
immédiatement tous ces activistes
personae non gratae, comme ce fut le cas
avec Günter Grass, et
en faire des menaces venues par avion.
Israël ne tolère sur
son territoire que l’entrée de ses amis
avérés. Mais pas la présence d’un clown
espagnol [en mai 2010, Ivan
Prado, célèbre clown
espagnol, voulait se rendre à
Ramallah pour y
organiser un festival du rire ; ayant
refusé de répondre aux questions du Shin
Bet à propos d’éventuels liens avec des
organisations terroristes, il avait été
refoulé séance tenante, ni celle d’un écrivain allemand, et
encore moins celle de militants
des droits de l’homme. Un
Américain de droite, ignorant,
extrémiste, chrétien sera le bienvenu ;
un intellectuel européen de gauche et
conscient y sera placé en cellule
d’expulsion. Nous sommes en
Israël et en 2012.
Dans le cas des flottilles
aussi bien que des vols, il s’agit
d’activistes dont la plupart sont bien
intentionnés. L’écrivain suédois
Henning Mankell s’est adressé à
nous avant le départ de la dernière
flottille pour Gaza.
« Pour une fois, dites la vérité
! Ne voyez-vous pas qu’il n’y a nulle
déclaration de guerre, ici, mais
simplement une déclaration de paix ? »
ET, évidemment, ses propos sont tombés
dans l’oreille d’un sourd.
Mankell a participé à deux
flottilles pour Gaza,
il a été expulsé deux fois d’Israël,
en disgrâce complète, et il a publié ses
impressions les plus virulentes dans les
journaux les plus lus de la planète.
Si Israël n’avait
pas confisqué son ordinateur et ses
affaires personnelles, s’il ne l’avait
pas traité comme un terroriste, ses
impressions auraient été tout autres. Si
Israël l’avait invité à
présenter son point de vue, peut-être
ses critiques auraient-elles été moins
virulentes. Mankell et
ses amis n’en resteront pas là.
Aujourd’hui, une nouvelle
flottille se prépare en
Suède, cette fois avec un
voilier transportant des fleurs et nous
la traiterons probablement aussi comme
s’il s’agissait d’un porte-avions se
préparant à attaquer Israël.
Les racines de cette paranoïa sont
profondes et donnent à réfléchir. Si
Israël était convaincu
de la justice de sa voie, il ne se
conduirait pas de la sorte. Si
Israël pensait vraiment que son
occupation est bien fondée et licite, il
ne s’effraierait pas de tous les
activistes conscients qui s’y opposent.
S’il n’avait rien à cacher, il les
inviterait avec respect à venir voir ce
qui se passe.
Mais lorsque le sol brûle sous nos
pieds et que le feu du doute et de
l’insécurité ronge tout ce qu’il touche,
la seule réponse consiste à attaquer
avec violence et sans la moindre
retenue. Dimanche, lorsque la farce des
arrestations et des expulsions
grotesques se produira une fois de plus,
les activistes engrangeront une nouvelle
victoire : Une fois encore, ils
prouveront qu’Israël a
quelque chose à cacher, qu’en dépit de
toute sa propagande, Israël
est bien conscient qu’il y a
des cadavres dans le placard et que tous
ceux qui ont le culot de s’en approcher
subiront le même sort – l’expulsion.
Haaretz – 13 avril 2012. Traduction
: JM Flémal.
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