Site d'information sur la Palestine et le Moyen-Orient

 

Palestine - Solidarité

 

Retour :  Accueil  -  Sommaire Lévy  -  Originaux  -  Analyses  -  Ressources  -  Mises à jour



Ha'aretz

Des enfants de l’âge de Taïr
Gideon Lévy 

Haaretz, 11 février 2007

www.haaretz.co.il/hasite/spages/824276.html
Version anglaise : Tair's Palestinian peers
www.haaretz.com/hasen/spages/824137.html

Un enfant par semaine, quasiment chaque semaine. Au cours de ces dernières semaines, j’ai à nouveau rapporté ici les circonstances dans lesquelles plusieurs enfants et adolescents étaient morts sous les balles de soldats de l’armée israélienne. A nouveau un vent mauvais souffle sur l’armée et personne n’en parle. Une armée qui tue des enfants n’est pas un sujet de préoccupation pour le public. Et aucune commission d’enquête n’a été ni ne sera instaurée à ce propos-là. Mais l’armée israélienne, qui tue des enfants avec tant de légèreté, et qui, en la matière, apporte à ses soldats un soutien plein et entier, ne devrait pas nous troubler moins que la situation des réserves de fournitures de guerre dans le nord du pays. Les répercutions d’une telle conduite ne sont pas seulement d’ordre moral. Elles portent aussi, en fin de compte, sur la capacité opérationnelle d’une armée pour laquelle ce sont des enfants qui se retrouvent comme cibles dans la ligne de mire de ses soldats.

Jamil Jabaji, l’enfant du camp d’Askar, qui aimait les chevaux ([i]), a été abattu d’une balle dans la tête par les soldats d’une jeep blindée alors qu’il était parmi un groupe d’enfants qui leur lançaient des pierres. Il avait 14 ans. Il est le quatrième enfant abattu dans le secteur, dans des circonstances semblables. Abir, la fille d’un membre de l’organisation « Combattants pour la Paix », Bassam Aramin ([ii]), est sortie de son école à Anata au moment où, à bord d’une jeep, des garde-frontières israéliens rôdaient aux abords de l’école – personne ne sait dans quel but – lançant des grenades lacrymogènes sur les enfants qui leur lançaient des pierres. C’est apparemment une de ces grenades qui a atteint Abir à la tête. Elle avait 11 ans. Taha Aljawi a été touché près de la clôture du champ d’aviation abandonné d’Atarot : les soldats lui ont tiré une balle dans la jambe et il semble bien qu’ils l’aient laisser perdre son sang jusqu’à sa mort. C’était le huitième enfant à se faire tuer là dans des circonstances comparables. Il n’avait pas 17 ans. ([iii])

Tous ces enfants ont été abattus de sang froid, alors qu’ils ne mettaient en danger la vie de personne. En dehors du cas de Jamil, l’armée israélienne n’a pas pris la peine d’ouvrir une enquête sur les circonstances de leur mort, pas plus que pour la majorité écrasante des autres enfants tués. Le fait qu’on n’enquête même pas montre à l’évidence qu’il n’est pas dans l’intention de l’armée de mettre fin aux assassinats d’enfants. Cela ne trouble même pas les commandants de l’armée.

Le dernier cas, celui de Taha, est peut-être le plus grave de tous : le porte-parole de l’armée israélienne couvre la décision d’ouvrir le feu à balles réelles en direction d’un groupe d’enfants qui étaient peut-être occupés à saboter la clôture en fil de fer, comme l’affirme l’armée israélienne, ou qui jouaient peut-être au football près de la clôture, comme l’assurent les enfants – le tout en plein jour. Pas un mot de regret, pas un mot de condamnation, seulement la justification totale d’un tir à balles réelles, opéré de loin, en direction d’enfants non armés, sans sommations.

Taha est mort d’une balle dans la jambe et, d’après le témoignage de ses amis, il aurait perdu son sang pendant une bonne heure, dans le fossé boueux où il s’était effondré. L’affirmation du porte-parole de l’armée israélienne selon laquelle il aurait immédiatement reçu des soins médicaux ne s’accorde pas avec le fait que Taha était blessé à la jambe, blessure dont on ne peut mourir que par une hémorragie relativement prolongée.

Mais même si on lui a porté immédiatement assistance, comme l’affirme l’armée israélienne, sommes-nous prêts à accepter des procédures d’ouverture de feu qui autorisent d’ouvrir le feu à balles réelles, de loin, sur des adolescents non armés ? N’y a-t-il pas d’autres moyens pour disperser des adolescents « suspects », comme dit le porte-parole de l’armée israélienne ? Qu’est-ce qui passe par la tête d’un soldat qui pointe son arme en direction d’un groupe comme celui-là et qui tire à balles réelles, meurtrières, fauchant d’aussi jeunes vies ? Quel message terrifiant l’armée israélienne fait-elle passer à ses soldats lorsqu’elle appuie un tel acte inhumain ?

Ces récits, comme tous ceux qui leur ressemblent, c’est à peine s’ils sont accueillis chez nous avec un mince murmure. Certains n’ont même pas droit à un compte-rendu dans les informations. Qu’un enfant palestinien, garçon ou fille, soit tué ne trouble pas la quiétude de la population israélienne. La Cisjordanie est tranquille, il n’y a quasiment pas d’attentats, l’attention se porte sur d’autres sujets, et sous le couvert de ce calme illusoire et temporaire, nos soldats, les meilleurs de nos fils, tuent des dizaines d’enfants et d’adolescents, une routine, loin des regards.

C’est à juste titre que le pays s’est ému du meurtre de Taïr Rada, cette innocente fillette de 13 ans, tuée brutalement dans son école, à Katzrin. Quelle différence y a-t-il entre le meurtre de Taïr et celui d’Abir, tuée elle aussi au seuil de son école ? Entre Abir et Taïr, il y a le fait qu’Abir était palestinienne et Taïr israélienne. Israélienne ? Taha était lui aussi détenteur d’une carte d’identité bleue, israélienne. Mais il était palestinien. Quelqu'un est-il prêt à soutenir sérieusement que le soldat qui a visé la tête de Jamil n’avait pas l’intention de le tuer ? Le deuil est le même, l’horreur est la même. Tout comme Taïr faisait la joie de la vie de ses parents, Abir faisait la joie des siens : une petite fille qui voulait devenir ingénieure quand elle serait grande. Mais alors que des doutes subsistent quant à l’identité du meurtrier de Taïr, il est très facile d’identifier ceux qui ont tué Taha, Jamil et Abir. Ils ne sont, chez nous, même pas stigmatisés ; ils ont droit à une immunité automatique, sans enquête. « La marque de Caïn ne paraîtra pas / chez le soldat qui tire / visant la tête d’un enfant / sur un repli du terrain / près de la clôture du camp de réfugiés… », écrivait Aharon Shabtai dans son poème « Culture ».

Des soldats ont ainsi tué 815 enfants et adolescents au cours des sept dernières années. Tout le système de justifications à la mort, terrifiante, de plus de 3000 personnes adultes au cours de la même période, s’effondre dès lors qu’il s’agit d’enfants. Quelqu'un devrait entendre l’appel émouvant du père endeuillé d’Anata, qui disait qu’il ne perdrait pas la tête pour avoir perdu son cœur : « Je ne veux pas me venger. Ma vengeance, c’est que ce héros, que ma fille avait mis en danger et qui a tiré sur elle, comparaisse en justice. Ils envoient un gamin de 18 ans avec un M-16, ils lui disent que nos enfants sont ses ennemis et il sait que personne ne passera devant un tribunal ; alors il tire de sang froid et devient un meurtrier » ([iv]). Le tout exprimé dans un hébreu courant qu’il a amélioré au fil de conférences qu’il a données dans tout Israël – pour dire combien la paix est nécessaire.

 

(Traduction de l'hébreu : Michel Ghys)


[i] Gideon Lévy, « Peine de mort » (Haaretz, 14 décembre 2006)

[ii] Gideon Lévy, « La fille d’un combattant » (Haaretz, 25 janvier 2007)

[iii] Gideon Lévy, « Etendu au pied de la clôture » (Haaretz, 8 février 2007)

[iv] id. note 2

 


Source : Michel Ghys


Avertissement
Palestine - Solidarité a pour vocation la diffusion d'informations relatives aux événements du Moyen Orient.
L' auteur du site travaille à la plus grande objectivité et au respect des opinions de chacun, soucieux de corriger les erreurs qui lui seraient signalées.
Les opinions exprimées dans les articles n'engagent que la responsabilité de leur auteur et/ou de leur traducteur. En aucun cas Palestine - Solidarité ne saurait être tenue responsable des propos tenus dans les analyses, témoignages et messages postés par des tierces personnes.
D'autre part, beaucoup d'informations émanant de sources externes, ou faisant lien vers des sites dont elle n'a pas la gestion, Palestine - Solidarité n'assume aucunement la responsabilité quant à l'information contenue dans ces sites.  
Pour contacter le webmaster, cliquez < ici >

Retour  -  Accueil Ressources  -  Analyses  -  Communiques  -  Originaux