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Ha'aretz
Le
mémorial Rabin propose pop stars et clichés
Gideon Lévy
"Salut l’ami,
salut la paix, à l’année prochaine, avec le même laïus
creux, le même Gaza emprisonné et affamé, et les mêmes
chanteurs, avec en outre ceux qui auront décroché eux aussi,
l’an prochain, des disques d’or et qui se joindront à la
chorale."(NdT)
Haaretz, le 4 novembre 2007
www.haaretz.co.il/hasite/spages/920066.html
Version
anglaise : Rabin memorial offers pop stars and empty cliches
www.haaretz.com/hasen/spages/920078.html
Un an après le discours de Grossman, rien n’a
changé
Le
groupe de chanteuses « HaBanot Nechama » n’en était
pas, l’an dernier. La découverte de l’année, maintenant récompensée
d’un disque d’or, a rejoint hier soir Aharon Barnéa, Shimon
Peres, Aviv Gefen, Achinoam Nini et Sarit Haddad – la bande
attitrée de ces rassemblements du souvenir. L’an passé, l’écrivain
David Grossman, qui venait de perdre son fils [lors de la guerre au Liban - ndt] était venu à la tribune et avait
tonné contre nos dirigeants creux et, un court instant, les cœurs
avaient été en émoi ; hier soir, place Rabin, il n’y a
pas eu le moindre orateur, pas d’écrivain ni d’intellectuel,
pour dire quelque chose de significatif dans le vide de ce
rassemblement à la mémoire d’Yitzhak Rabin qui ressemblait par
dessus tout à un concert-rassemblement du groupe « Kaveret »
à la fin de l’été à Césarée. Le public ? Toujours le
même : ashkenaze, laïc, de gauche et pour la paix – tel
qu’il se voit lui-même. Qu’il est doux et agréable d’être
là une fois par an, sur la place Rabin, et de sentir que l’on
fait partie de cette famille chaleureuse, avec dans le fond
d’excellentes chansons en hébreu et un casting mis à jour par
l’adjonction de l’un des humoristes de « HaGashash
HaHiver », Shaike Lévy, tout juste orphelin [par
le décès d’un des trois humoristes quelques jours plus tôt -
ndt], et venu chanter « L’amitié ».
Tous
se sont réveillés hier soir, revenant un instant à la vie après
un an de léthargie : la Paix Maintenant, le parti
Travailliste, le Meretz, « Hashomer Hatzaïr » et
« HaNoar Haoved vehaLomed » (la
jeunesse laborieuse et studieuse - ndt) dont les chemises
bleues ont reparu un moment, hier soir. Aharon Barnea a de nouveau
revêtu l’habit du prophète de la colère qu’il endosse une
fois l’an, début novembre : « Nous n’oublierons
pas et nous ne pardonnerons pas », a-t-il tonné en notre
nom à tous, en un slogan qui accompagnait autrefois les
rassemblements de commémoration du génocide. « Soyez
tranquilles, il y aura la paix », a promis le présentateur
de la principale édition du journal télévisé, et s’il le
promet, c’est sûr qu’il y aura la paix. Hier soir, les clichés
ont inondé la place Rabin : « l’espoir »,
« l’héritage », « la victoire » et
« la paix », nul ne sait ce que ces mots signifient au
juste.
La
place était couverte aussi de ballons blancs. Le blanc, c’est
la paix. De temps en temps, un ballon éclatait ; de temps en
temps, un ballon s’échappait et s’élevait dans le ciel noir
de Tel Aviv. Un hélicoptère aussi et un ballon de surveillance
survolaient les lieux, exactement comme ils le font en permanence
dans le ciel de Gaza, qui n’avait jamais été aussi éloigné
qu’hier soir de ces rassemblements pour la paix. Lorsqu’Ehoud
Barak a dit que « l’héritage d’Yitzhak Rabin vit et
s’agite en nous », songeait-il au black-out de Gaza et à
l’affamement qu’il a lui-même orchestrés ? Personne
n’a parlé de cela, hier. Personne n’ont plus n’a fait
mention du nom ineffable – Yigal Amir – Satan parmi le peuple,
en dépit du fait que son esprit, et surtout sa progéniture [l’épouse
d’Yigal Amir vient de donner naissance à un fils - ndt],
flottaient en permanence dans l’air. Les seuls applaudissements
soutenus ont été gagnés par le Ministre de la Défense [Ehoud
Barak] lorsqu’il a promis, on ne sait trop par quelle
autorité, que « sa peine ne sera pas raccourcie, il ne sera
pas amnistié et les portes de la prison resteront fermées sur
lui jusqu’à son dernier jour ».
Le
fils de Rabin, Youval, revenu d’un long séjour aux Etats-Unis,
a lui aussi parlé abondamment de l’assassin sans pour autant
(le ciel nous préserve !) l’appeler par son nom : il
nous a invités à être un Etat de droit, tout en faisant une
sortie contre la décision légale d’un tribunal israélien
d’autoriser la tenue en prison de la cérémonie de la
circoncision [du fils d’Yigal
Amir - ndt]. Comme il est facile de s’unir contre Yigal Amir,
le plus petit dénominateur commun du camp de la Gauche.
« Nous
te le promettons : ta voie sera victorieuse », a dit
Barak, sorti hier soir de l’armoire : pour la première
fois, il a clairement prononcé le mot Annapolis, le disant même
porteur d’une « promesse » et non d’une « menace »,
espérant que ce sera « une réussite », contrairement
aux mauvaises rumeurs : cela aussi, c’est quelque chose,
dans un rassemblement pour le souvenir et pour la paix !
Un
an a passé depuis le discours de Grossman sur les dirigeants
creux, et rien n’a changé. Les dirigeants sont les mêmes,
aussi creux qu’ils l’étaient et que l’est tout ce battage,
ce verbiage sur « l’héritage de Rabin » et sur la
paix. La jeunesse aux bougies qui était venue gémir amèrement
sur cette même place [il y
a 12 ans - ndt], est devenue adulte et a disparu, emportée
par le vent et la haute technologie. A sa place, sont apparus de
nouveaux jeunes gens en chemises bleues, qui n’étaient que de
petits enfants le soir de l’assassinat. Shimon Peres leur a
raconté qu’Yitzhak avait pensé à eux, seulement à eux, et
eux aussi bien sûr pensent maintenant que la seule chose terrible
qui soit jamais arrivée ici, c’est cet assassinat odieux.
Salut
l’ami, salut la paix, à l’année prochaine, avec le même laïus
creux, le même Gaza emprisonné et affamé, et les mêmes
chanteurs, avec en outre ceux qui auront décroché eux aussi,
l’an prochain, des disques d’or et qui se joindront à la
chorale.
(Traduction de l'hébreu : Michel Ghys)
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