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Ha'aretz
Un
homme a mordu un chien
Gideon
Lévy
Haaretz, 4
octobre 2006
www.haaretz.co.il/hasite/spages/770262.html
Couverture des violences à Gaza. Toutes les chaînes
de télévision.
Dans
toute leçon inaugurale de journalisme, on apprend ceci : un
chien a mordu un homme, on n’a pas une histoire ; un homme
a mordu un chien, on a une histoire. Aux yeux des Israéliens, un
homme a mordu un chien à Gaza : ce sont des Palestiniens qui
tuent des Palestiniens et pas, comme d’habitude, des Israéliens
qui tuent des Palestiniens. Dès lors Gaza devient notre centre
d’intérêt médiatique.
Subitement,
une douzaine de tués à Gaza constitue une histoire en ouverture
d’éditions et des images terrifiantes et sanglantes en
provenance de la Bande de Gaza deviennent une marchandise
journalistique âprement recherchée. Jamais une douzaine de
Palestiniens tués n’avaient eu droit à une couverture
pareille. Cela fait belle lurette qu’on n’a plus montré, chez
nous, d’ambulances palestiniennes déchargeant cadavres et blessés.
On parle maintenant chez nous d’ « escadrons
de la mort » et de « cellules
d’assassinats », mais, Dieu nous garde, pas des nôtres :
celles-là, ce sont celles du Fatah, qui menacent d’assassiner
les dirigeants du Hamas.
Le
fait qu’Israël assassine quasi quotidiennement des militants du
Hamas et du Jihad est comme oublié. On nous a même parlé
d’une école qui a fermé à cause des incidents violents mais
quand avez-vous entendu parlé des écoles qu’Israël a bombardées ?
Plus
de 300 Palestiniens ont été tués dans la Bande de Gaza par
l’armée israélienne depuis l’enlèvement du soldat Gilad
Shalit, et pour la plupart d’entre eux, c’est à peine si on
nous en a parlé à la télévision. Pendant des mois, l’armée
israélienne se déchaîne dans la Bande de Gaza, assassine,
bombarde en faisant appel à la force aérienne et à
l’artillerie, et c’est à peine si les images et les sons nous
en parviennent sur les écrans. La plupart des habitants de Gaza
n’ont pas d’électricité depuis qu’Israël a bombardé la
seule centrale électrique de la Bande de Gaza, mais ce n’est
pas considéré comme une histoire, ça. Pas plus que les enfants
innocents tués ou blessés, dont certains resteront à tout
jamais paralysés et sous assistance respiratoire ; ni la
terrible misère économique ; ni les monceaux d’ordures
qui traînent à cause des grèves des travailleurs qui n’ont
pas reçu leur salaire du fait du boycott imposé par Israël et
le reste du monde. Gaza ne nous intéressait pas, en dépit du
fait que la mort et la destruction étaient semées par l’Armée
de Défense d’Israël, au nom de tous ceux qui regardent cette télévision
qui est la nôtre.
Hier,
le blocus médiatique a été levé. Tout à coup est apparu que
Gaza avait une voix, une voix qui parle même un hébreu pas
mauvais, et un déluge de comptes-rendus faits par des
journalistes et des hommes politiques palestiniens a submergé
l’écran. Chaque programme d’actualités se trouvait son
Mohamed chéri pour raconter ce qui se passe. Pourquoi ne les
a-t-on pas interviewés auparavant, quand Israël tuait des
Gazaouis ? Si j’avais été un journaliste palestinien,
j’aurais, avec tout le respect, raccroché le téléphone au nez
de ceux qui téléphonaient de la part de la télévision : où
étiez-vous avant ça ? Même Shlomi Eldar, après un silence
prolongé, a été retiré de la naphtaline où l’avait placé
sa rédaction et il est retourné faire rapport depuis Gaza.
Derrière
ce comportement honteux, les messages médiatiques sont
transparents : regardez ces êtres bestiaux, comment ils
tuent leurs frères ; regardez ce peuple, à la veille
d’une guerre civile, ou peut-être en pleine guerre civile,
alors pensez : est-ce avec lui que nous ferons la paix ?
Avec la conclusion habituelle : il n’y a pas de partenaire.
Mais même dans l’assaut médiatique d’hier, les vraies
questions n’ont pas été posées : qu’est-ce qui a entraîné
ces heurts sanglants et quelle part y a Israël ? Un million
et demi d’habitants sont enfermés dans une énorme prison, la
plupart sans revenus, au bord de la famine, désemparés devant
les brutaux assauts israéliens venant de la mer, du ciel et de la
terre ferme, avec un gouvernement impuissant, essentiellement à
cause du boycott dont il fait l’objet depuis qu’il a été élu
lors d’élections démocratiques. Les comptes-rendus d’hier étaient
marqués d’une feinte candeur parfaitement scandaleuse.
Les
Ministres Amir Peretz et Benjamin Ben Eliezer ainsi que le chœur
des commentateurs ont insisté sur le fait qu’il s’agissait
d’une affaire interne palestinienne. Vraiment ? Personne
n’a posé de questions sur la responsabilité d’Israël dans
cette affaire interne-là.
Que pensions-nous qu’il se passerait à Gaza, bouclé et
ensanglanté ? Israël a réalisé une expérience sur des êtres
humains sans l’accord du « Comité
supérieur d’Helsinki » [comité
instauré par la Déclaration d’Helsinki concernant l’expérimentation
portant sur l’être humain - NdT]. Israël a emprisonné des
centaines de milliers de personnes dans une cage, il les a affamés,
bombardés, et maintenant venez voir ce qui leur est arrivé.
Cet effrayant reality show a réussi exactement comme prévu et la
chose la plus attendue s’est produite : les prisonniers ont
commencé à s’entretuer. Sauf qu’à la télévision, on ne
nous a pas parlé de l’expérience mais uniquement de ses résultats.
(Traduction
de l'hébreu : Michel Ghys)
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