Opinion
Israël: l'année où les masques sont tombés
Gideon Levy
Gideon Levy
Samedi 1er janvier 2011
Le journaliste israélien se félicite dans le journal Haaretz de
ce que l’année écoulée soit au moins celle où plus personne ne
peut avoir d’illusions sur l’Etat d’Israël.
"L’année de la vérité
L’année qui s’achèvera ce soir par un
baiser a été l’année où a pris fin la mascarade israélienne,
l’année où les déguisements ont été arrachés et où la vérité
s’est fait jour. Où le vrai visage s’est révélé. Ça été
l’année où nous sommes finalement sortis du placard – finis
les propos sirupeux et les discours creux sur la justice et
l’égalité, finis les enjolivements et les paroles
superficielles à propos de la paix et de deux états. Cette
année, la vérité a été entendue en public, avec un
retentissement fort et clair d’un bout du pays à l’autre,
inquiétante et déprimante.
Personne ne parle plus de paix ; cette
année, nous avons même mis entre guillemets le « processus
de paix », pour nous en gausser comme il le mérite. Tout ce
qu’il reste de la paix cette année, c’est l’envoyé spécial
des U.S.A., George Mitchell. Et dans les enquêtes d’opinion
rien ne subsiste de la vision de deux états chez le premier
ministre ou dans la majorité. Cette année, le gouvernement
israélien a dit NON, même à un gel temporaire de la
construction de colonies, et les Israéliens se sont tus.
Après cette année de vérité, nul ne pourra
sérieusement prétendre qu’Israël recherche la paix avec les
Palestiniens, ou avec les Syriens, qui ont parlé de paix
mais qu’on a laissés sans réponse. Toutes les excuses ont
perdu leur valeur – le terrorisme palestinien s’est arrêté
et il reste au moins un demi-partenaire, qui est plus modéré
qu’aucun autre. Néanmoins, nous campons sur nos positions.
Et la vérité est criante : les Israéliens ne veulent pas
vraiment la paix, ils lui préfèrent la terre. Les
fonctionnements internes de la société israélienne ont aussi
été démasqués. L’apparence d’une société démocratique et
égalitaire s’est trouvée soudainement remplacée par un
portrait authentique, terriblement nationaliste et raciste.
Des rabbins et leurs femmes, des maires et des
parlementaires ont tous chanté ensemble dans un chœur
discordant : non aux Arabes et non aux étrangers. Au cours
des années qui ont précédé cette année de vérité, il était
encore d’usage d’excommunier les racistes.
En cette année de vérité, nous avons
déclaré sans vergogne que Meir Kahane avait raison.
Quasiment la moitié des Israéliens s’opposent à la location
d’appartements à des Arabes ; plus que la moitié d’entre eux
sont favorables à un serment d’allégeance à l’Etat ; des
femmes de rabbins s’associent à leurs maris pour conjurer
les chastes filles d’Israël de ne pas fréquenter d’Arabes ;
un membre de la Knesset déclare qu’à ceux qui font
clandestinement entrer des « infiltrateurs » - ainsi qu’on a
appelé cette année les travailleurs migrants et les réfugiés
de guerre – on devrait faire sauter la cervelle ; et l’un de
ses collègues fait porter sur les Russes le blâme des
habitudes israéliennes d’ivrognerie.
Dans le même temps, nous avons proposé une loi
appelant à l’expulsion d’étrangers critiques à l’égard d’Israël
s’ils y viennent en visite ; un directeur d’école de Jaffa
n’autorise pas ses élèves à parler arabe ; un militant contre
l’occupation a été incarcéré pour avoir pris part à une
manifestation protestataire à vélo ; et un défenseur des droits
des Bédouins s’est vu jeter en prison pour une durée encore plus
longue, pour le délit d’avoir un garage illégal.
Telle est jour après jour la pléthore de
comptes-rendus sur la vie du pays au cours de la dernière
partie de cette année maudite. De tels rapports nous ont été
presque quotidiennement jetés à la figure. L’étranger répand
les maladies et la criminalité, et les étudiants arabes
veulent nous déshériter pour le prix de location d’un deux
pièces. Nous avons également lancé des campagnes
d’intimidation et semé la peur de celui qui est autre et
différent, qui n’auraient pas fait honte aux régimes les
plus douteux du passé. Nous avons tenu des manifestations
scandaleuses contre les réfugies et les Arabes, avec les
encouragements d’une partie de l’institution et le silence
des autres, desquels une tonalité peut être entendue – une
tonalité d’arrogance et de nationalisme.
Cela aura aussi été l’année d’Avigdor
Liebermann d’Yisrael Beiteinu, qui n’est plus un loup
habillé en agneau mais une brute du voisinage qui n’a cure
des conséquences. Une tentative pour dénouer la crise avec
la Turquie, et Boum ! un bon coup sur la tête. Au lieu des
sempiternels discours du président Shimon Peres sur la paix,
le ministre des affaires étrangères, cette année, a de
manière répétitive giflé le monde entier de notre part. Ce
n’est pas seulement Kahane qui avait raison, mais Lieberman
aussi. Il dit la vérité, la vérité sur Israël.
Il n’y a rien de tel que le soleil pour
désinfecter, de sorte que ç’aura été une plutôt bonne année. Il
se peut précisément que ce déluge de douteux sentiments
nationalistes émergeant des profondeurs de l’âme, latent depuis
des années, va au bout du compte faire bouger cette nation
engourdie. Peut-être que, après cette année, la minorité qui
pense autrement va enfin ouvrir les yeux. Peut-être que, tandis
que les flammes nous encerclent tous, nous allons comprendre que
telle n’est pas la société dans laquelle nous avons envie de
vivre. Et peut-être que le monde va comprendre ce qui est en
jeu.
Ce soir à minuit, quand le champagne français
va couler comme de l’eau et que nous embrasserons à pleine
bouche nos êtres chers, peut-être allons-nous comprendre que
l’année prochaine sera décisive. Ce sera la dernière année où
nous pourrons encore sauver quelque chose. Si un miracle se
produit et que cela arrive en effet, nous serons reconnaissants
à l’année écoulée, l’année de vérité pour Israël."
Par Gideon Levy
Source :
http://www.haaretz.com/print-edition/opinion/the-year-of-truth-1.334416#send-friend-popup
(Traduit de l’anglais par Anne-Marie PERRIN, que nous
remercions pour ses excellentes traductions tout au long de
l’année)
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