Le
pays est également en train de perdre ses meilleurs amis, et il
est même des Juifs, en Israël et en dehors, qui commencent à
prendre leurs distances pour cause d’occupation durable. Sur les
campus américains, de nombreux étudiants m’ont dit se sentir
gênés par l’attitude d’Israël. La maison brûle, réveillons-nous
avant d’avoir détruit par nos propres agissements tout ce que
nous avons construit [1].
Les
observateurs les plus impartiaux, même quand ils soutiennent
Israël, estiment que la solution à deux États n’est plus viable.
Ils remarquent : comment un État palestinien pourrait-il être
créé alors que tant de colonies et de routes de contournement se
trouvent précisément là où il est censé être ? Et ils ajoutent
que la situation va empirant : le refus de geler toutes les
constructions, surtout à Jérusalem, signifie qu’aucun État
palestinien ne sera plus possible.
Chacun sait que les Palestiniens n’accepteront aucun accord
n’incluant pas Jérusalem-Est comme leur capitale. Faire quitter
leurs maisons à des Palestiniens de Sheikh Jarrah, de Silwan et
du quartier musulman de la Vieille Ville et les remplacer par
des Juifs éradique les chances d’une solution à deux États pour
deux peuples.
Chacun sait que jamais les Palestiniens n’accepteront d’État sur
moins de 22% des terres situées entre le Jourdain et la
Méditerranée. En acceptant les standards d’Oslo et de Madrid,
ils ont consenti à renoncer à 78% du pays. Nous sommes sur le
point de célébrer le 29 novembre 1947, le jour de la partition
du pays en deux États par les Nations Unies. Les Palestiniens
refusèrent alors d’accepter un État couvrant 45% des terres ;
ils sont aujourd’hui prêts à en accepter un n’en couvrant plus
que 22%, mais pas moins.
Danny
Danon [2],
Tzipi Hotovely [3],
Reuven Rivlin [4],
Nir Barkat [5]
et Benjamin Netanyahu n’agissent pas pour le bien du mouvement
sioniste en poursuivant leur rapide croissance des implantations
au nom du peuple juif. Ils vont réussir à détruire le rêve
sioniste de leurs propres mains. Corrigeons : l’État restera
juif, mais plus personne ne pourra le dire démocratique.
Une
très large minorité, qui va sous peu se muer en majorité,
n’acceptera plus de vivre au sein d’un État juif. La solution à
deux États cessera d’être viable dès lors qu’elle ne sera plus
soutenue par une majorité de Palestiniens – tant citoyens
d’Israël qu’habitants des territoires occupés. À ce moment-là
une campagne internationale sera lancée, contraignant Israël à
devenir un État démocratique, et nous ne serons plus en mesure
de parler d’État juif démocratique.
L’appel à l’égalité de tous les citoyens et à la formule
“une personne, une voix” s’imposera
face à l’absence de logique qui préside à l’idée d’un État
national juif sans majorité juive.
Personne, en dehors de l’extrême droite et des religieux,
n’acceptera l’idée d’une citoyenneté à deux vitesses entre
Juifs et non Juifs. Personne, pas même les États-Unis, ne
pourra soutenir un État si ouvertement antidémocratique.
Les valeurs communes évoquées par les dirigeants américains
à propos d’Israël auront disparu. Ce dernier cessera d’être
démocratique, et ainsi l’occupation aura-t-elle finalement
délégitimé son droit à l’existence.
La
construction d’implantations m’inquiète moins en termes de
moindre viabilité de la solution à deux États qu’en ce qui
concerne la déperdition de légitimité de Mah’moud Abbas et Salam
Fayyad. Celle-ci se dissipera très vite complètement pour peu
qu’il n’y ait aucun processus de paix crédible. L’année
prochaine est celle de la mise en place d’un État palestinien.
L’année prochaine est celle de la mise en place d’un État
palestinien. Il n’y aura ensuite plus aucune direction
palestinienne capable de soutenir très longtemps cette solution
face à l’opinion.
Nous
ne devrions pas vivre dans l’illusion que les Palestiniens
accepteront moins que ce qui leur a déjà été offert. Les données
de la paix reposent sur les bases des frontières du 4 juin 1967,
avec des échanges de territoires sur la base de 1 pour 1 à
concurrence de 3% environ de la Cisjordanie, avec Jérusalem pour
capitale partagée des deux États, une sorte de régime
international en Vieille Ville ou la division de ses quartiers
sur des critères démographiques, et une solution mutuellement
agréée de la question des réfugiés selon l’initiative de paix
arabe.
Pour
que ce type d’accord soit viable, il lui faut également inclure
la paix avec la Syrie (laquelle implique la pleine restitution
du plateau du Golan en échange de la totalité des garanties de
sécurité réclamées par Israël), permettant ainsi la
normalisation des relations avec l’ensemble du monde arabe.
Si la
paix n’est pas conclue courant 2011, l’actuelle direction
palestinienne, modérée, réaliste et constructive se verra
remplacée. Les luttes de pouvoir consacreront ceux qui proposent
un programme plus radical ; la solution à deux États ne fera
plus partie de leurs conceptions politiques. Les chefs rivaux en
compétition pour les postes clef diront : “J’ai soutenu la
solution à deux États, j’ai travaillé à la mettre en place et
même pris part aux négociations, mais Israël a refusé, c’est
pourquoi aujourd’hui nous disons que ça suffit. Nous voulons la
citoyenneté dans un État démocratique unique – un homme, un
vote, un État du Jourdain à la Méditerranée.”
Ce n’est ni un fantasme, ni une menace.
D’ici
là, Netanyahu cherche à reporter les décisions difficiles. Oui,
bien sûr, il soutient les négociations. Il n’y a rien de mieux
de son point de vue. Mais quant à prendre des décisions ? C’est
une tout autre histoire.
Des
frontières d’ici trois mois ? Absurde. Netanyahu va-t-il
annoncer à quelque 80 000 colons qu’il leur faut quitter leurs
maisons, ou demeurer sous souveraineté palestinienne dans l’État
palestinien ? Ce sont des électeurs potentiels du Likoud ;
comment le Premier ministre pourrait-il leur dire cela ? Il est
bien plus facile de reprocher aux Palestiniens leur refus de
négocier aussi longtemps que la construction des implantations
se poursuit.
Mais,
Monsieur le Premier ministre Netanyahu, quand l’horloge sonnera
les douze coups de minuit, quand n’y aura plus de président
Abbas avec qui négocier et que la direction palestinienne vous
dira “Nous ne sommes plus prêts à négocier”, le processus de
paix tel que vous le connaissez sera officiellement révolu. Ils
vous diront : “Nous voulons la paix, mais nous ne voulons plus
du petit bout de terrain que vous êtes prêts à nous donner. Vous
pouvez garder votre État, vous pouvez garder le territoire tout
entier, nous sommes d’accord. Maintenant, accordez-nous la
citoyenneté, le droit de vote et le droit de jouir de la
démocratie israélienne.“
Il
vous faudra alors décider si l’État du peuple juif restera un
État juif ou un État démocratique. Il ne sera plus possible de
le revendiquer comme juif et démocratique. Les cloches de la
liberté et de la démocratie sonneront, et vous savez très bien
que le monde choisira la démocratie.
Cela
fait plus de trente ans que je milite pour la paix. Durant tout
ce temps, j’ai entendu beaucoup de gens prédire que nous avons
atteint le bout de la route sur la solution à deux États. Je ne
me suis jamais joint au chœur. Mais aujourd’hui je le dirige et,
moi qui crois en l’idée d’un État pour le peuple juif (et tous
ses citoyens), en patriote israélien et amoureux de Sion, je
vois la possible fin de notre rêve commun se profiler au
tournant. Cinq minutes avant minuit, il n’est plus temps
d’attendre pour négocier ; le moment est venu de mettre sur la
table les véritables propositions de paix, celles que vous savez
être acceptables pour les Palestiniens et les Syriens. Ce
faisant, vous ne gagnerez pas seulement le prix Nobel, vous
sauverez l’État d’Israël.
Notes