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Jerusalem Post
Vengeance
et compassion
Gershon Baskin
[Dans le climat du Proche-Orient, fait de
violences, de vengeances ou de représailles, quand des deux côtés,
des citoyens ordinaires font preuve de compassion pour l'autre,
cela paraît inhabituel. Ode à la compassion et aux "belles
âmes", avec l'histoire personnelle de Gershon Baskin en sus]
http://www.jpost.com/servlet/Satellite?cid=1162378452995&pagename=JPost%2FJP
Article%2FShowFull
Jerusalem Post, 22 novembre 2006
Trad. : Gérard pour La Paix Maintenant
Les familles et les survivants de la tuerie tragique de Beit
Hanoun ont déclaré ne pas rechercher la vengeance. Noam Shalit,
le père du soldat kidnappé Gilad Shalit, a rendu visite aux
familles de Beit Hanoun hospitalisées à Tel-Aviv pour leur faire
part de sa sympathie dans leurs souffrances et leurs deuils.
Que cette preuve de compassion est inhabituelle ! Que cette émotion
est puissante, dans nos sociétés qui en manquent tant ! Quand
sommes-nous devenus si insensibles à la souffrance de l'autre?
Notre propre souffrance a-t-elle tant submergé notre cœur que
nous ne puissions faire de preuve de compassion pour les autres?
Dans la société israélienne, lorsqu'on évoque la compassion,
on parle de "yefeh nefesh" (mot à mot : une belle âme).
Cette expression, devenue péjorative, est jetée à la figure de
gens divers et variés, de gauche ou pas, pour mettre en doute
leurs capacités à raisonner, par ceux qui pensent avoir un
meilleure compréhension de la nature humaine et du monde.
Le comportement de Noam Shalit et des habitants de Beit Hanoun est
si inhabituel dans le paysage politique que nous connaissons, et
si inattendu, qu'ils ont été accusés de mollesse ou d'avoir
capitulé devant l'ennemi.
Cette semaine, je voudrais leur dédier ces mots, pour célébrer
la compassion.
Hassan al-Qassem a perdu son frère à Beit Hanoun. Sa mère est
toujours hospitalisée, dans un état très grave. Je connais
Hassan depuis plus de 10 ans. Il dirige toujours la coopérative
agricole de Beit Hanoun, l'un des plus gros producteurs de fraises
et de fleurs de la bande de Gaza. C'est un agriculteur, un homme
d'action, et non de mots. Il a la poignée de main ferme, et sa
chaleur se dégage par son regard, car il n'évite pas le votre.
Partout où il va, il prend des amis dans sa voiture : il a une
bonne nature, il sourit et il travaille dur. Hassan est un homme
d'affaires qui travaille pour sa famille et pour sa communauté.
Il y a longtemps, il a compris que cela impliquait de travailler
avec les Israéliens qui partagent les mêmes intérêts que lui,
par la coopération.
Ces six dernières années, il a vu ces intérêts piétinés par
les tanks israéliens et par les lanceurs islamistes de Qassam.
L'année dernière, après le désengagement de Gaza, le passage
frontalier de Karni a été fermé pendant plusieurs mois, et les
agriculteurs de Beit Hanoun ont perdu une saison entière de dur
labeur.
Des amis de Hassan, dont moi-même, ont demandé aux autorités
israéliennes de réouvrir Karni pour permettre l'exportation de
fleurs, en vain. Les Qassam pleuvaient sur Israël depuis Beit
Hanoun. Les habitants de Sderot souffraient, et il n'y avait pas
de compassion pour ceux de Beit Hanoun. Les paysans de Beit Hanoun
ont déraciné leurs champs, pleuré sur leurs pertes, et se sont
mis à replanter pour la saison à venir. A leur place, je pense
que j'aurais été rempli de haine. Mais les habitants de Beit
Hanoun n'ont pas demandé de vengeance (pas plus qu'aujourd'hui),
ils ont voulu simplement continuer à vivre, en espérant que leur
prochaine récolte parviendrait au bout.
J'ai rencontré Noam Shalit peu de temps après l'enlèvement de
son fils Gilad.
Je ne le connaissais pas alors, et je me suis profondément
impliqué dans les tentatives de libération de Gilad, après
qu'un Palestinien de Gaza, du Hamas, m'a demandé mon aide,
convaincu qu'il était que les habitants de Gaza allaient souffrir
après l'enlèvement. Bien qu'ayant parlé depuis plus de 100 fois
avec Noam, je ne lui ai jamais dit pourquoi je m'étais si profondément
impliqué.
Sasson Nouriel, kidnappé et tué par le Hamas dans la région de
Ramallah en septembre de l'année dernière, était le cousin de
ma femme. Ils avaient le même âge, et ils ont grandi ensemble.
Je connaissais même le ravisseur, ou plus exactement, je
connaissais son père. Muhammad Salah, le père du jeune homme qui
a assassiné le cousin de ma femme, commandait la police de
Ramallah.
En 1996, j'avais emmené en voyage d'étude en Allemagne un groupe
de policiers israéliens et palestiniens. Muhammad Salah faisait
partie de l'équipe palestinienne. J'ai passé là-bas 10 jours
avec lui. Et son fils a tué le cousin de ma femme. Quand Sasson a
été enlevé, je me trouvais à
l'étranger. Sa soeur m'a appelé pour voir si, avec mes contacts
palestiniens, je ne pouvais pas aider à le retrouver. J'ai demandé
à mon collègue Hanna Siniora d'aller à Ramallah et de demander
aux gens s'ils avaient entendu parler de quoi que ce soit
concernant Sasson. Il est même allé parler à Muhammad Salah.
Bien sûr, celui-ci ne savait pas que son propre fils avait enlevé
et déjà tué Sasson. Quand on m'a demandé d'aider à la libération
de Gilad Shalit, je me suis fait le serment de faire tout ce qui
était en mon pouvoir pour que Gilad retourne dans sa famille sain
et sauf.
Noam Shalit et Hassan al-Qassem sont mes héros. Et ils doivent
devenir les héros de nous tous.
Malgré leur souffrance personnelle, ils ont su faire preuve de
compassion. Ils ont montré la véritable force de l'esprit
humain. Ce ne sont pas des naïfs. Ce sont des "yefei nefesh".
Ils représentent l'espoir d'un avenir meilleur pour nous tous.
* Gershon Baskin est le co-directeur israélien du Israel/Palestine
Center for Research and Information. www.ipcri.org
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