Opinion
Du Sahel convoité
: de l'offensive galopante de
l'impérialisme
et du désarroi des
Berbères
Gérard
Lamari
Une femme
touarègue avec ses enfants dans
l’Azawad.
Photo : Ferhat Bouda
Samedi 26 janvier
2013
La France
"socialiste" vient de s’engager
militairement pour reconquérir
territorialement un Mali qui n’a pas de
sens. Bamako et Tombouctou n’ayant pas
de dénominateur commun, la métropole (et
c’est ainsi qu’il faut appeler la
France), opte pour une nouvelle guerre
de conquête.
Cela faisait belle lurette que la région
du Sahel ne faisait plus l’objet d’aucun
intérêt tant économique que sur le plan
civilisation. En apparence seulement car
en réalité cette région regorge de
matières indispensables dont sont
friandes les économies occidentales.
Voila pourquoi la France, après avoir
pris la précaution d’être soutenue
diplomatiquement, cherche à y maintenir
sa mainmise. Quitte à y provoquer un
chao social, comme le firent les USA-UK
en Irak. Le partage du monde n’est pas
tant en soi un renouveau. Nous
constatons une simple mise à jour d’une
partition de la planète, s’opérant bon
gré mal gré suite aux décolonisations.
Les grands ensembles se requinquent et
se remoulent, se croisent et
s’entrecroisent.
Tout comme le coup de l’éventail, le
prétexte de nettoyer le pays touareg de
l’intégrisme est bien commode. On n’est
là plus très loin de "l’action
civilisatrice" de la France. La présente
innovation parisienne est cependant
aussi invariable et hideuse que les
précédentes.
Les Berbères sont une nouvelle fois
laissés pour compte. Cela se passe chez
eux.
Chez nous je devrais dire.
Que veut la France au Sahel ?
Parmi les questions que l’on se pose,
celle-ci, paraitrait saugrenue au seuil
du 3ème millénaire : "Mais que fait donc
la France au Sahel ?" La réponse est
limpide et unique : les richesses de son
sous-sol bien sûr.
Les tréfonds Sahéliens font partie des
plus riches du continent africain :
pierres précieuses, matières fossiles,
marbre, granit, lithium, fer, étain,
zinc, uranium. La région de Gao (Tilemsi
notamment) et l’Adrar des Iforas ne sont
pas encore exploités (bois silicifiés,
quartz, carbonates, phosphates, pétrole,
or...).
L’Aïr (Niger) voisin est une véritable
poule aux œufs d’or pour le nucléaire
français : 33% de l’uranium alimentant
les centrales nucléaires de la métropole
provient du Niger. La mine d’Arlit qui
se trouve toute proche de la frontière
de l’Azawad est au centre des
convoitises. C’est l’une des plus
importantes de la planète. En attendant,
l’entreprise française Areva
pollue allégrement les populations des
environs (voir notamment les alertes de
Greenpeace).
En 2015, une usine toute proche (imoqabin)
devrait être mise en service : elle
sera, selon les experts, la deuxième
mine d’uranium à ciel ouvert au monde !
La ceinture sahélienne utile s’étend de
l’Atlantique à la mer rouge (du Sénégal
à Djibouti.). On comprend mieux
l’intervention des troupes françaises
pour les dividendes d’Areva (et
de bien d’autres).
Ces éclairages
permettent de comprendre le haut intérêt
qu’ont les groupes compradores français
sur cette région. Il a fallu faire appel
à l’Etat français et à son armée en vue
de se réapproprier cet espace. Le côté
diplomatique ne fut pas en reste : vaine
mobilisation de la Cédéao et de
l’Algérie par exemple. Le conseil de
sécurité de l’ONU a apporté sa caution,
mais du bout des lèvres seulement : il
s’agit de laisser à la France sa chasse
gardée. Temporairement en attendant la
poursuite de son déclin. Pour la
première fois depuis 50 ans, la
république réinvente la guerre coloniale
puisque ses soldats sont aux premières
lignes face aux hostilités du terrain.
Tous les moyens sont mis en branle :
aviation, chars…
Comme alliés, on retrouve les
sempiternelles "armées" africaines,
faibles, non aguerries ni motivées
telles que la nigériane ou l’ivoirienne
ou encore… la malienne. Connues pour
leurs habitudes sulfureuses, leurs
expéditions punitives et autres viols et
saccages, les médias aux ordres
chanteront les dérapages induits. Le
gouvernement devra couvrir à terme
toutes les outrances.
La république n’appartient qu’au peuple
en théorie, mais ses appareils
répressifs et notamment militaires
servent de plus en plus des intérêts non
avoués. L’hypothèse est particulièrement
valide en ce qui concerne l’invasion
française du Sahel.
"Notre" ministre des affaires étrangères
devra assurément ravaler à maintes fois
sa salive avant de trouver les mots face
aux exactions punitives et gratuites
menées envers les autochtones Touaregs.
Alpaguée par les droits fondamentaux, la
Françafrique fait fi des réprobations
légitimes. Rappelons que les soldats
français combattent aux côtés de l’armée
malienne qui est dirigée par un
putschiste qui a déposé son président
démocratiquement élu.
La république de la France (qu’elle soit
issue de la droite ou de la gauche) est
à ce point aux ordres des entreprises
anthropophages qu’elle est devenue une
serpillère de service prête à l’emploi
instantané. Aux intérêts non avoués bien
entendu. Mitterrand ne disait-il pas
qu’il serait le dernier président avant
les ordres des comptables ? Il
inaugurera en fait cette nouvelle ère
des présidents toutous : le présent
Hollande ne déroge pas à cette règle. Au
contraire il la renforce.
Qu’est ce qui
a changé depuis un an ?
Authentique et historiquement
inattendu, le mouvement indépendantiste
touareg s’est affirmé il y a tout juste
un an. Le MNLA (Mouvement National de
Libération de l’Azawad) chasse sans
coup férir l’armée malienne de son
territoire ancestral : l’Azawad berbère.
L’immensité territoriale regroupe les
trois régions du Nord symbolisées par
les villes de Gao, Kidal et Tombouctou.
Intrinsèquement démocrate, laïc et
national, ce mouvement a reçu le soutien
appuyé des Berbères de Kabylie, du
Maroc, des Iles Canaries, de diaspora
notamment en France… Tout comme l’appui
affirmé des Catalans (on remarquera
l’ouverture des chaines barcelonaises à
la cause touarègue). Les Bretons avec
des moyens moindres ne furent pas du
reste.
Mais les métropoles coloniales ont fait
grise mine.
La revendication d’un État sahélien par
les Touaregs est ancienne. Plusieurs
révoltes eurent effectivement eu lieu :
1963, 1991, 2006 puis 2012 avec la
reconquête de l’Azawad par le MNLA.
Cet agencement touareg démocratique, de
surplus laïc gène assurément la
Françafrique : à méditer.
Faute de pouvoir affronter ouvertement
la mouvance révolutionnaire du MNLA, on
a eu recours aux méthodes algériennes :
pourrir la soif de liberté par le
salafisme.
Les mouvances Djihadistes furent en
conséquence dopées en quelques mois.
Misérable il y a un an, Ansar-Dine
(Aqmi local) ou l’inexistant MUJAO (Mouvement
pour l’Unicité et le Jihad en Afrique de
l’Ouest) font aujourd’hui la loi en
l’Azawad. D’où viennent leurs ascensions
? Ou plus prosaïquement…
Où est
l’erreur ?
La France obéit aux lois des
financiers et se soumet aux petits
richissimes comme les maitres du Qatar.
Paris a aiguisé l’appétit de ce petit
ogre : acquisition importante de fonds
du CAC 40 (France télécom,
Lagardère, LVMH, Total,…). Soit déjà
plus de 6 milliards d’euros. Un chiffre
à donner le tournis.
En parallèle, le Qatar travaille les
banlieues et … en Afrique du Nord. Mais
centrons-nous plutôt sur l’Azawad :
Le Qatar a procédé à une aide très
importante aux islamistes (armes de
guerre, matériel médical, etc.).
Ouvertement et sans opposition à vrai
dire.
Tandis que le MNLA se démène à réparer
ses vieux pickup et à chercher du
ravitaillement (carburant,…), les
djihadistes du MUJAO disposent de tout
ce dont ils ont besoin. C’est que le
donateur qatari est très généreux à leur
égard.
Les chameaux ont ainsi été remplacés par
les 4X4 et autres pickup. L’envers du
décor vint rapidement : l’hégémonie des
islamistes s’installe dans les villes de
Gao, Kidal et Tombouctou.
Comment expliquer qu’une organisation
fantomatique telle que le MUJAO passe en
quelques mois du caractère confidentiel
en un monstre semant la terreur dans
l’Azawad ?
Trois phénomènes se sont conjugués :
- Il y a d’abord l’aide faramineuse du
Qatar octroyée à ce groupe. Au vu et au
su des parties prenantes telles que la
France ou l’Algérie. Aucun de ces deux
pays n’a trouvé à redire à cette aide
criminelle.
- Vient ensuite la complicité
algérienne. L’Algérie a permis et
encouragé la transhumance des
djihadistes de son territoire vers
l’Azawad. Des techniciens militaires
vont régulièrement instruire Ansar-Dine.
L’Algérie est pour ce groupe ce qu’est
la Qatar pour le MUJAO. Elle ouvre
facilement ses frontières aux blessés
intégristes mais refuse d’accueillir
ceux du MNLA. Et ce au mépris des
conventions internationales.
- Il y a enfin le délaissement du MNLA.
Contrairement au MUJAO, ce mouvement
laïc est local ! Gênant car il remet en
cause le statut quo établi.
Indépendantiste, le MNLA est depuis le
début torpillé par l’Algérie. C’est que
l’indépendance de l’Azawad peut donner
des idées souverainistes aux Kabyles.
Par ailleurs, la France ne veut
reconnaître ce mouvement. Pour ne pas
déplaire à l’Algérie apparemment.
Pour palier à l’absence de soutien des
structures internationales, les Touaregs
démocrates et laïcs du MNLA font appel
aux cousins berbères (Kabyles, Chleuhs,
Rifains,…) mais aussi aux Catalans,
Bretons... La diaspora n’est pas
délaissée. Le poids de ces soutiens
reste cependant très déséquilibré face à
l’armada dont disposent les intégristes.
Parce que cela fait cinquante ans que
l’armée malienne commet des exactions
dans l’Azawad, parce que Bamako a tenu
ce pays dans l’absolu non-développement
total (pas d’écoles, pas de routes),
parce que les Touaregs sont un peuple à
part entière, la lutte pour
l’indépendance de l’Azawad est légitime.
L’immense majorité des Azawadiens adhère
au projet souverainiste.
Le retour dans l’Azawad des militaires
maliens fait craindre le pire :
exactions, voire l’opération d’un
"nettoyage ethnique", et ce sous le
regard indifférent de la Françafrique.
Idéologiquement, la force régionale la
plus proche des valeurs républicaines
est bien celle du MNLA. Mais Hollande
préfère faire marche avec les satrapes
de la région. Les visions à courte vue
font qu’un jour ou l’autre on se mord
les doigts.
Il reste heureusement que les causes
justes finissent toujours par triompher.
Gérard Lamari
Le dossier Afrique noire
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