Le Grand Soir
Bangkok :
Médias pourris ...
Georges Stanechy
Assassinat d’un héros de La
Liberté : Le général Khattiya Sawatdiphol
Samedi 22 mai 2010
«
Tue
un serpent, et toute sa famille viendra le venger »
Proverbe thaïlandais
La Thaïlande n’est pas l’Iran, la Chine, la
Birmanie (Myanmar) ou encore Cuba.
Non.
Elle est l’objet, en Occident, de toute la
sympathie de nos nomenklaturas et de leurs médias.
Le traitement des
sanglants évènements récents sur le plan de l’information,
de l’action diplomatique, de la vigilance de l’ONU quant au
respect des "droits de l’homme" et de la "démocratie", a
témoigné de cette sollicitude.
C’est avec soulagement et satisfaction qu’elles
ont accueilli le jour où l’armée a pris d’assaut le campement du
mouvement de protestation pacifique, au centre de Bangkok.
Manifestation, dite des “Chemises Rouges”,
qui durait depuis 9 semaines.
Normal : la Thaïlande est considérée et
administrée, depuis la guerre du Vietnam, comme une colonie de
l’Empire. Tabou !
Pleurs et affiches pour armes
Misère et dignité
Implacable dictature sous couvert d’une
monarchie d’opérette, de paysages exotiques et du plus grand
supermarché mondial du sexe, synonyme de liberté et de modernité
pour nos médias décérébrés, aux mains d’une richissime caste de
militaires et d’affairistes. Eux-mêmes servilement inféodés aux
intérêts occidentaux.
Comme nos autocraties africaines bien-aimées, ou
nos ploutocraties latino-américaines favorites, déguisées en
“démocraties”, ce pays peut se permettre tout ce qui est
imaginable dans la spoliation, l’oppression, la répression. Il
lui sera, à chaque fois, pardonné…
Les journées que vient de vivre ce pays dans sa
capitale Bangkok, mais aussi dans 24 de ses provinces,
démontrent la sanguinaire brutalité de sa caste au pouvoir
lorsque son suzerain, l’Empire, lui en accorde l’autorisation.
Tout a été fait, bien sûr, pour en amortir l’impact à l’égard de
l’opinion publique internationale.
Les médias occidentaux ont employé la panoplie,
parfaitement rodée, de la désinformation : occulter, déformer,
manipuler. Un record de propagande. A présent, il convient de
justifier la terrible répression. Dans nos médias en France, en
bon vassal de l’Empire, comme chez les autres : à grandes
louches de bobards.
Je les regardais, ces “reporters” d’une chaîne
française, spécialisée dans le décervelage publicitaire, se
lamenter devant des centres commerciaux en feu… Incapables de se
poser et de poser des questions de base : Pourquoi avoir mis le
feu à des bâtiments ?... Avant ou après les tueries des
commandos de l’armée ?...
Evidemment, ils n’ont pas enduré des heures
d’avion pour poser des questions.
Emblématique de tous ces médias, qui ont pris un
soin extrême à ne pas informer. Ils sont venus, placidement,
célébrer, justifier, les mérites de la répression armée, contre
un mouvement de protestation populaire, pacifique. Le sale
boulot des soudards terminé, ils viennent en “nettoyeurs” pour
blanchir la répression et son régime protégé par l’Occident.
“Journalistes”…
Incapables de présenter Bangkok. Une des villes
à l’urbanisme anarchique, où s’entassent plus de 10 millions
d’’habitants, chancre de la corruption politique sur fond de
folie spéculative, immobilière et financière. Une des capitales
les plus polluées de la planète, par les gaz d’échappement
générés dans des embouteillages titanesques et quotidiens, par
le bruit, et la course contre la misère.
Incapables de voir, filmer, écouter, les enfants
mendiants, le délabrement des quartiers périphériques, aux
égouts saturés lâchant la puanteur des eaux usées, dévalant les
ruelles sous les trombes de la mousson.
Incapables de nous expliquer pourquoi le
vertueux Libéralisme Economique engendre une
injustice sociale d’une telle amplitude. Oui. Bangkok, symbole
d’un pays où une minorité, colossalement enrichie par la
spéculation et sa collaboration avec les occidentaux dans le
pillage du pays, en oublie le reste de ses concitoyens.
Avec, dans sa misère, l’indignité de ses
immenses marchés humains de prostitution. Femmes, hommes,
travestis, souvent mineurs, qui débordent du quartier
Patpong ou du Little Tokyo,
fuyant pauvreté et aliénation, se vendant au plus offrant, dans
les vapeurs d’alcool et de drogue.
Les buchers de l’Injustice
Daltonisme et couleur de
chemise
“Décrypteurs”…
Incapables de nous présenter les “Chemises
Rouges”, leurs motivations, leurs revendications. Uniquement
décrits comme les suppôts du diable. Anarchistes. Insurgés.
Terroristes. Seraient-ils musulmans, ils auraient eu droit au
qualificatif d’islamistes. Instrumentalisés
par Al-Qaïda…
Ces manifestants s’étaient rassemblés en plein
centre de Bangkok. Sur quelques kilomètres carrés, un
entassement d’une dizaine de galeries marchandes, d’immeubles de
bureaux et d’hôtels de luxe.
Sans armes, dans un campement, ainsi qu’on a pu
le constater dans les documentaires, les vidéos et les photos.
En familles,
avec femmes et enfants. Dans une ambiance de kermesse,
solidaires dans l’émotion et la détermination. Parmi eux,
beaucoup de paysans sans terre et d’étudiants sans avenir.
Pour se protéger des violences, des provocations
de la police et de l’armée, aussi détestées l’une que l’autre :
des bambous et de vieux pneus.
Que réclamaient-ils ?... Des élections !
Protestant contre le coup d’Etat qui a contraint
le premier ministre, légitimement élu par la majorité des
thaïlandais, à l’exil : Thaksin Sinawatra.
Immensément populaire, Thaksin Sinawatra est le
fondateur en 1998 du parti Thai Rak Thai
(TRT, traduction : Les Thaïlandais Aiment les
Thaïlandais). Milliardaire, après avoir fait fortune dans
les télécommunications, il n’a jamais oublié ses origines
modestes et ses débuts de carrière en tant qu’officier de
police.
Il a des idées simples : le développement des
campagnes et la prospérité des paysans sont tout autant
essentiels que le développement du “business
citadin”. L’un n’excluant pas l’autre. Soulager la misère
paysanne doit être une des priorités du gouvernement. Le
développement du pays ne pouvant se fonder sur l’exploitation
d’une majorité de citoyens, par une minorité de privilégiés.
Triomphalement élu en 2001, puis réélu tout
aussi triomphalement en 2005, il avait réalisé ses promesses
électorales dans un grand effort national pour développer le
monde rural. Multipliant, écoles, centres de soins,
infrastructures dans les campagnes…
En premier lieu, dans les régions les plus
pauvres du pays, le nord et le nord-est. D’où vient,
précisément, l’immense majorité d’une jeunesse contrainte à
l’analphabétisme et à la prostitution, exploitée par les mafias
de l’industrie touristique, fondement de la fortune des
oligarques. Bien sûr, beaucoup restait à faire.
Immensément populaire, mais détesté par la caste
au pouvoir qui entend conserver la richesse nationale à son seul
profit… En 2003, le vent a commencé à tourner, malgré son large
soutien dans la population thaïlandaise. Pourquoi ?...
Très simple, il commit deux erreurs majeures :
i) Il déclara la guerre au trafic de drogue :
impardonnable !
La violence de la résistance fut à la hauteur du
défi. Des escadrons de la mort paramilitaires, suivant le
système en usage en Colombie, assassinèrent ceux qui luttaient
contre ce trafic. Même Amnesty International,
qui prend soin habituellement d’éviter les polémiques dans les
provinces administrées par l’Empire, s’inquiète du nombre
d’assassinats : environ 3.000…
On ne touche pas à des intérêts d’un tel enjeu.
Les plus considérables étant les plus occultes.
Beaucoup de “fonds spéciaux”, d’Etats et de services secrets,
tout particulièrement occidentaux, y puisent à grandes bassines
depuis la guerre du Vietnam. Avec recyclage dans les paradis
fiscaux, dont personne ne souhaite la fermeture par nécessité de
dissimulation d’enrichissement personnel. Ce n’est pas pour rien
que, depuis l’invasion de l’OTAN en Afghanistan, l’ONU a
constaté un décuplement de la culture du pavot et de la
production d’opium dans ce pays…
ii) Il était contre les politiques de
discrimination antimusulmanes dans les provinces du sud.
Spécialement, de la violence armée par des commandos échappant
au contrôle des autorités du pays, manipulés par des services
secrets étrangers.
Ainsi, les musulmans massacrés par des commandos
de l’armée dans la mosquée de
Krue Se. Ou encore, les musulmans protestant contre la
persécution religieuse, étouffés dans des camions bondés sous la
chaleur : 78 morts. Cuisson à l’étouffée…
Forces armées et services de sécurité
thaïlandaises sont, en effet, cornaqués par des “experts”
occidentaux, hallucinés par le Choc des
Civilisations, luttant contre l’islamo-fascisme
et autres délires. Ces fous furieux entendent, en premier lieu,
éradiquer l’Islam là où il est minoritaire.
Quitte à lui substituer une autre religion. Le
bouddhisme, en Thaïlande. Le catholicisme, aux Philippines.
L’Hindouisme au Cachemire ou au Gujarat. Dans l’île de Bornéo,
partagée entre Malaisie, Indonésie et le minuscule sultanat de
Brunei, profitant de l’immensité de la région, de son
insularité, de son absence d’infrastructure en transport, ce
sont des charters d’évangélistes qui débarquent…
Eh, oui : on l’occulte, mais aucune pause dans
Les Croisades, même en Asie !…
Outre sa popularité et sa politique sociale,
cumuler de telles erreurs c’était signer, de la part de Thaksin
Sinawatra, son arrêt de mort politique.
Une mort politique est toujours précédée d’une
intense campagne de diffamation. Accusés de corruption, lui et
son épouse. Pour conforter sa légitimité, il réclama des
élections anticipées. Ce que ne voulaient surtout pas ses
adversaires, sachant qu’il serait encore triomphalement réélu.
Le 19 septembre 2006, les militaires
renversèrent son gouvernement et son parti fut interdit. Coup
d’Etat, accompagné de manifestations de soutien dans le genre de
celles qu’ont connues d’autres pays : révolution
orange, révolution de velours, etc. Ce sont les “chemises
jaunes” qui soutinrent ce putsch représentant les militaires
et l’oligarchie. Le jaune étant, en Thaïlande, la couleur de la
monarchie…
Ce à quoi ripostèrent les partisans du TRT, sous
les “Chemises Rouges”, réclamant
pacifiquement de nouvelles élections libres. En fait, ce
qu’évitent de dire les médias, les “Chemises
Rouges” sont les soutiens de la légalité démocratique, du
suffrage universel, du respect du droit de vote, contre le coup
d’Etat militaire. Dans un remake de la lutte des républicains
contre les franquistes espagnols.
Mensonges et montages
Un courageux général était venu encourager les “Chemises
Rouges”. A la retraite. Il avait dû quitter l’armée, après
en avoir dénoncé la corruption et le dévoiement dans des
tentatives de coups d’Etat.
Les médias, locaux et internationaux, n’ont pas
cessé de portraiturer cet incorruptible en général « renégat » (renegade,
dans les médias anglophones). Copieusement diffamé, jusque dans
les encyclopédies dites “libres” (cf. les articles de Wikipedia,
en anglais, français, etc.).
Khattiya Sawatdiphol, était venu apporter son
sens de l’organisation et son soutien moral. Il a été tué par un
sniper. Attiré dans un piège par un faux journaliste, venu
“l’interviewer”. L’obligeant de rester immobile, à découvert,
pour se tenir proche du barrage où se tenait le prétendu
journaliste. Une balle dans la tête. Mort, après deux jours de
coma.
“Renégat”, pour les putschistes et les
oligarchies occidentales. “Héros”, pleuré par tous les
Thaïlandais, partisans de la Liberté et de la Dignité.
On procède toujours de la sorte : tuer les
« leaders » est une priorité dans un mouvement de répression. On
lâche ensuite la soldatesque et le rouleau compresseur de la
terreur, avec ses camps et ses tortures.
Qu’en dire les médias dans leur présentation des
évènements ?...
Lors de l’assaut, tous parlaient « d’échanges de
tirs » ce qui était faux. Pur mensonge. Ils le savaient. Les
images le montraient nettement, tout spectateur attentif en
était témoin : les militaires tiraient sur des manifestants
s’enfuyant les mains nues, sans armes. Les manifestants tués
n’avaient aucune arme sur eux, aucune munition, ni cartouchière.
Pour justifier la répression, les journalistes
prenaient soin, à chaque reportage de rajouter un figurant
disant tout le bien possible de l’assaut du campement par
l’armée. Evitant de rappeler que ces manifestants pacifiques ne
demandaient que des élections libres.
Il suffisait de négocier et de laisser
l’expression populaire s’exprimer dans le vote. Et, tout
aurait-été réglé sans fureur ni, encore moins, effusion de sang.
Mais, non. Insupportable, pour une dictature.
Pour une ploutocratie vermoulue.
Aucune négociation, discussion, écoute. Le
mépris. Dans la violence.
C’est d’un exemple, d’une démonstration de
force, que souhaitaient la caste au pouvoir et ses sponsors :
noyer un sursaut démocratique, pour installer « la terreur ». La
contestation n’est pas de mise. Surtout si c’est pour rappeler
les deux premiers fondements de la démocratie : liberté
d’expression et exercice du droit de vote.
Nos gouvernements se sont réfugiés dans le
silence complice. Comme l’ensemble de la mythique
Communauté Internationale. Soutenant dans les coulisses la
répression.
Thaksin Sinawatra, depuis son éviction par le
putsch de l’armée, vit en exil, craignant pour sa vie. Entre
Londres et l’Asie. Il sera de passage à Paris, le 31 mai
prochain. Premier ministre régulièrement élu, renversé par un
coup d’Etat militaire, il souhaitait informer l’opinion publique
française.
Mais, notre gouvernement, comme dans les autres
pays occidentaux, vient de lui signifier l’interdiction de
s’exprimer publiquement. (1)
Interdit de s’exprimer. En France…
Pays des Droits de l’Homme et de la
Liberté d’Expression, parait-il…
Que voulez-vous : il aurait été le Dalaï Lama,
fervent partisan de la théocratie au Tibet, toutes les
Bonnes Consciences se seraient précipitées,
en défenseurs de la laïcité, pour se prosterner, le décorer,
l’encenser, l’inviter sur les plateaux TV…
Nos vaillants journalistes, spécialistes du
terrain, de l’investigation, de l’analyse politique,
soutiennent, ainsi, coups d’Etat et putschs militaires, sans
hésiter une seconde. Les mêmes qui tartinent sur les “valeurs
républicaines”, et la “démocratie”, dès qu’il y a du méchant
Chinois ou de l’horrible Cubain comme grain à moudre …
Porte-paroles de nos castes au pouvoir, ils font
leur travail… La propagande en action.
Devant cette abjection intellectuelle, on ne
peut que partager l’appréciation si clairement exprimée par
Jean-Luc Mélenchon sur ce cynique milieu de « décrypteurs de
l’actualité » :
« Medias Pourris »…
Georges Stanechy
http://stanechy.over-blog.com/artic...
(1)
http://www.lemonde.fr/asie-pacifiqu...
Publié le 23 mai 2010
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