Counterpunch
Vers une nouvelle guerre civile au
Liban ?
Le Hezbollah infligera-t-il à Israël sa sixième déculottée ?
Franklin
Lamb *
on
Counterpunch.org, 23 mars 2007
http://www.counterpunch.org:80/lamb03232007.html
Un
sondage effectué récemment au Liban met en évidence un profond
pessimisme quant aux possibilités d’éviter une nouvelle
guerre. Beaucoup de ‘vieux sages’, ici, au Liban, pensent que
l’éclatement d’une deuxième guerre civile n’est plus
qu’une question de temps.
Non
moins oracle que Tarek, le portier de l’Hôtel Alexandrie d’Achrafiéh,
où le commandement de l’armée israélienne avait installé son
quartier général durant l’invasion de 1982, dit que la guerre
civile est une certitude. Il en va de même du sous-chef de Chez
Paul, où Sharon, Bashir Gemayel et Eli Hobeïka avaient
l’habitude de se rencontrer pour parler ‘affaires’. Certains
parlementaires libanais pensent la même chose.
Depuis
quelques mois, de grosses caisses en bois arrivent, dans divers
quartiers de Beyrouth Est, ainsi que dans les villages de la
montagne ; on les emmène discrètement et prestement dans
des bâtiments et divers sièges de partis politiques, en
violation des accords de Taëf (de 1989), requérant des milices
qu’elles désarment [Rafiq Hariri avait exempté le Hezbollah
des stipulations de Taëf, au motif qu’il ne s’agissait pas
d’une milice, mais d’un mouvement de résistance libanais et
qu’il avait utilisé la force armée exclusivement contre Israël).
Qu’y
a-t-il, dans ces caisses ? Des armes ? Si oui ; payées
par qui ? Bien difficile, cette fois-ci, d’accuser l’Iran
et la Syrie, les destinataires étant des ennemis jurés de ces
deux pays, pressés d’en découdre avec eux (ou plus exactement,
pressés d’entraîner Israël ou les Etats-Unis dans une véritable
guerre, à leur profit, contre eux…)
Et
qu’en est-il de tout l’argent et de toutes les armes promises
par l’administration Bush au régime Siniora, afin de le
maintenir à flot ? De ces plus de 200 millions de dollars ?
Y a-t-il eu un pépin avec l’intermédiaire chargé du fret ;
une partie de ces armes et de ces fonds aboutit-elle entre
d’autres mains que celle de la « robuste armée libanaise
remise sur pied » ?
Pour
s’en assurer, il suffit d’aller se balader dans le quartier
Gemezzeh, à Beyrouth Est, vers deux heures du matin, à proximité
du quartier général reconstruit des Phalanges libanaises, là où
on avait fait sauter Bashir Gemayel, le 14 septembre 1982, et de
traîner un peu…
Et
puis, c’est quoi, cette activité frénétique, là, derrière
la propriété de Walid Jumblatt, à El-Moukhtara, dans la
montagne du Chouf ? Elle n’a cessé de s’intensifier,
depuis sa longue rencontre avec George Deubeuliou Bush, voici de
cela quelques semaines…
Et
ces nouveaux rangers et ces badines dernier cri, que l’on a pu
admirer sur les jeunes élégants du Mouvement du 14 Mars
partisans de Saad Hariri. Collection Armani, US Army, ou
production israélienne ?
La
guerre civile risque fort de reprendre, au Liban. Ce pays est
actuellement en proie aux tensions sectaires et à une haine
palpable.
Cela
est apparu clairement, fin janvier, à la suite de l’assassinat
de trois partisans du Hezbollah. Quand la très belle veuve et les
jeunes enfants d’Adnan Shamas (29 ans) – tué lors d’une
embuscade sur son chemin de retour d’une visite dans le ‘camp
de toile’ installé par l’opposition au centre de Beyrouth –
sont apparus à ses funérailles, des cris de vengeance s’élevèrent :
« Le sang appelle le sang ! »
Samir
Geagea, qui a participé directement aux massacres de Sabra et
Chatila et qui dirige aujourd’hui la milice des Forces
libanaises (il a été reçu avec la plus grande déférence, récemment,
à Washington) se frappe la poitrine et adresse des menaces au
secrétaire général du Hezbollah [Hassan Naçrallah], du style :
« N’allez pas imaginer que Beyrouth, c’est Haïfa
(allusion à la guerre de juillet dernier) ; sinon le Liban
est condamné au pire ! »
D’aucuns,
dans l’opposition, ne voient dans le gouvernement Siniora rien
d’autres qu’un ‘syndicat du crime organisé, qui veut faire
du Liban un Irak-bis’, comme l’en a accusé récemment Talal
Arslan, un leader druze anti-gouvernemental (qui a rompu avec
Jumblatt). Beaucoup de Libanais accusent les ministres du
gouvernement actuel de jouer le rôle d’agents d’Israël et de
l’administration Bush ; ils exigent des élections anticipées
et un nombre de ministères plus important pour la coalition
antigouvernementale.
D’autres
observateurs concluent qu’Israël et l’administration Bush se
voient dans l’obligation de fomenter une guerre civile, afin de
ne pas ‘perdre’ le Liban, ce qui les exclurait durablement de
la région.
Des
« boîtes sonnant creux » (expression du journaliste
Robert Fisk, qui fait un jeu de mot entre ‘think tank’, boîte
à idées, et ‘tink tank’, ndt) arguent du fait qu’après
avoir créé une situation désastreuses tant pour les Etats-Unis
que pour Israël en Irak et en Afghanistan, et après avoir échoué
lamentablement à détruire (voire même ne serait-ce qu’à
endommager sérieusement) le Hezbollah durant la guerre de
juillet 2006, tant Olmert que Bush ont désespérément besoin
d’une guerre civile au Liban.
Le
raisonnement est le suivant : si Bush et Olmert parviennent,
par la provocation, à faire en sorte que le Hezbollah retourne
ses armes contre ses rivaux libanais – ce qu’il n’a jamais
fait et refuse catégoriquement de faire, Naçrallah ayant déclaré
récemment : « ils peuvent bien tuer mille hommes de
l’opposition, nous n’en continuerons pas moins à refuser de
participer à une guerre civile » –, les Etats-Unis et
Israël pourront envahir le Liban, détruire la résistance
libanaise et installer un gouvernement ‘plus correct’ (pour
emprunter à Condoleezza Rice un de ses euphémismes fétiches).
Entre
autres objectifs à atteindre grâce à une nouvelle guerre civile
au Liban : restaurer la crédibilité de la dissuasion israélienne ;
intimider les pays de la région et les territoires (palestiniens)
occupés ; créer un précédent pour attaquer la Syrie et,
éventuellement, poursuivre sur sa lancée et bombarder, tant
qu’à faire, l’Iran.
Le
revers de la médaille
Hassan
Naçrallah et ses alliés ont juré d’éviter toute nouvelle
guerre civile. A cette fin, ils bénéficient du soutien d’éléments
(sinon des majorités) de toutes les confessions et de toutes les
obédiences politiques libanaises.
Le
Hezbollah a prouvé qu’il était capable de défaire Israël sur
le champ de bataille, et il s’impose de plus en plus dans les
cercles politiques. Il est en mesure de s’imposer afin d’empêcher
toute nouvelle guerre civile.
Cinq
exemples :
1.
Le 30 avril 1985, le
retrait d’Israël de Saïda (Sidon), de Tyr, de Nabatiéh et de
plusieurs villages de la Beqaa occidentale était le résultat
direct de la pression militaire exercée par une nouvelle
organisation dont la création avait été publiquement annoncée
le 16 février 1985, et qui se nommait Hezbollah. Il est piquant
de noter que le jour même où le Hezbollah proclama sa fondation,
Israël entamait son retrait : ce fut la première victoire
du Hezbollah sur l’armée israélienne.
2.
En juillet 1993, opération
israélienne « Reddition des comptes ». Parmi les
objectifs israéliens : détruire le Hezbollah, le couper des
masses et pousser le gouvernement libanais à le combattre.
L’Onu a enregistré 1 224 raids aériens et plus de 28 000
missiles américains tirés par Israël sur le Liban, tuant plus
de 150 civils, en blessant plus de 500 et entraînant l’exode de
plus de 200 000 habitants de 120 villages du Sud Liban. En représailles,
le Hezbollah a tiré des roquettes Katiousha durant plus de dix
heures sur les colonies israéliennes en Galilée, créant ce que
l’Agence France Presse qualifia, dans une dépêche du 25
juillet 1993 de « bombardement d’Enfer ». Israël
eut son compte ; il contacta Washington en vue de
l’instauration d’un cessez-le-feu.
3.
11 avril 1996. Opération
israélienne « Raisins de la colère » – mêmes
objectifs. Israël attaque Tallat al-Kayyal, à Baalbek, et étend
son attaque contre la base de l’armée libanaise à Tyr, ainsi
que contre plusieurs quartiers de Beyrouth. Israël tue plus de
250 civils. Des centaines de milliers de Libanais sont déplacés,
plus de 7 000 maisons sont (partiellement ou entièrement) détruites.
Le
Hezbollah s’était bien préparé, et des roquettes Katioucha
sont quotidiennement tirées contre les forces et sur des colonies
israéliennes. Comme en 1993, Israël demande à
l’administration Clinton que Warren Christopher mette au point
un cessez-le-feu. Celui-ci est instauré le 27 avril 1996, à 18
heures. Cette victoire du Hezbollah fut à l’origine de la défaite
de Shimon Peres, le candidat préféré de Clinton, aux élections
israéliennes du 29 mai 1996.
Rapprochement
intéressant : le 23 mars 2007, Peres avalise son témoignage
antérieur devant la Commission Winograd chargée d’examiner les
insuffisances israéliennes dans la guerre de Juillet 2006, réitérant
qu’il n’aurait pas, quant à lui, tenté d’envahir le Liban
et de vaincre le Hezbollah, en juillet 2006. Il a déclaré à
cette Commission : « Il est tout simplement impossible
de vaincre le Hezbollah, à moins que nous n’incendions
jusqu’au dernier mètre carré du territoire libanais ».
4.
24 mai 2000. Après
avoir occupé plus de 10 % du territoire libanais durant 22 ans,
Israël est contraint par le Hezbollah à se retirer en une seule nuit (à
l’exception des Fermes de Shebaa), et à abandonner son plan de
retrait en plusieurs phases, ainsi que ses agents, l’Armée du
Liban Sud. Contrairement aux tactiques israéliennes de la
terreur, il n’y eut pas de représailles du Hezbollah contre les
collabos libanais. Ce fait a valu au Hezbollah le respect des
Libanais de toutes confessions (en particulier, des chrétiens).
5.
La victoire du Hezbollah,
dans la guerre de juillet
2006, est largement reconnue. Elle est analysée dans un
ouvrage paru récemment : The Price We Pay : A Quarter
Century of Israel’s use of American Weapons in Lebanon [Le prix
que nous acquittons : Un quart de siècle d’utilisation
d’armes américaines au Liban par Israël], que l’on peut
obtenir à cette adresse mél : ngolebanon@aol.com
]
Les
conséquences de ces cinq défaites militaires (israéliennes)
sont inacceptables pour Israël. Le mythe de son invincibilité ne
fait plus l’objet que des seules plaisanteries graveleuses des
émissions tardives de la télévision. Le Hezbollah et la résistance
libanaise ont frappé l’imagination de beaucoup de régions,
dans le monde – en particulier, celle des territoires
palestiniens occupés. Israël et l’administration Bush pensent
donc que la seule solution serait une nouvelle guerre civile au
Liban, qui leur permettrait de détruire le Hezbollah. L’ex-représentant
américain à l’Onu, John Bolton, a lui-même indiqué très
clairement, à la BBC, le 22 mars, être également partisan
d’une « nouvelle manche ».
Bolton
est au courant des récents rapports envoyés à la Commission du
Renseignement du Sénat américain (en février 2007) laissant
entendre que la CIA pense aujourd’hui qu’Israël devra sans
doute avoir cessé d’exister sous sa forme actuelle aux environs
du centenaire de la Nakba de 1947 – 1948, qui avait amené la
fondation de l’Etat juif. Ce rapport prédit une augmentation
significative de l’émigration à partir d’Israël,
principalement à destination des Etats-Unis, de l’Europe
occidentale et de la Russie, accompagnée d’un déclin continu
de l’immigration vers Israël. Bolton met le Hezbollah en
accusation. Mais un membre du Congrès a exposé la vision quel la
CIA se fait de la situation, le 21 mars :
« L’Histoire
nous enseigne que la résistance finit toujours par triompher
d’une occupation. Israël n’a jamais envisagé sérieusement
une quelconque paix juste avec les Palestiniens et avec ses
voisins arabes. Il n’y a donc aucune raison logique de penser
qu’Israël va le faire, aujourd’hui. C’est le syndrome de
Massada. Ce sont des fanatiques qui dirigent Israël, et ils préféreraient
se détruire eux-mêmes, plutôt que de restituer aux Palestiniens
ce qu’ils leur ont volé. »
« La
Perse émerge, le sionisme coule ! », a résumé un
autre membre du Congrès.
Israël
poursuivant ses violations quasi quotidiennes de la souveraineté
libanaise, la principale préoccupation des analystes des services
de renseignement américains n’est pas un Iran devenu ‘nucléaire’,
mais bien plutôt comment faire en sorte qu’Israël ôte son
doigt de la gâchette de ses plus de 350 têtes de missiles nucléaires.
Certains analystes de l’Agence du Renseignement en matière de Défense
des Etats-Unis pensent qu’Israël essaiera effectivement
d’utiliser son arsenal et qu’un holocauste nucléaire est
vraisemblable.
Des
[sionistes] chrétiens fondamentalistes adeptes du millénarisme
ont dit, lors de la conférence annuelle de l’Aipac [American
Israeli Public Affairs Committee – le grand organisme de
lobbying sioniste aux Etats-Unis, ndt] que lorsque cela se
produira, cela sera la volonté de Dieu, et que tous les juifs
survivants [à cet holocauste] soit adopteraient Jésus, soient
finiraient dans les brasiers de l’Enfer. Mais apparemment, les
deux solutions leur conviennent.
Peu
de gens, dans les milieux américains du renseignement, doutent du
fait que si Israël était amené à tirer ses missiles nucléaires,
leurs cibles pourraient inclure l’Amérique. Pourquoi Israël
n’épargnerait-il même pas les Etats-Unis, en dépit de
soixante années de soutien absolu et continu, ayant abouti au
transfert vers Israël de plus d’un trillion de dollars ?
La raison, c’est que les Israéliens considère que l’opinion
publique américaine est en train de devenir « chancelante »
[comprendre : légèrement plus informée que par le passé,
grâce aux efforts diligents de quelques dizaines d’associations
pacifistes et solidaires des Palestiniens et des Arabes – et
‘grâce’, aussi, à la catastrophe irakienne] et que les Américains
vont, plus tôt que tard, les laisser tomber.
Parvenir
à paralyser la gâchette nucléaire d’Israël – telle est,
par conséquent, la question à l’ordre du jour. Pendant ce
temps-là, Israël et l’administration Bush continuent à
s’ingénier à allumer une guerre civile (dans le style irakien)
au Liban.
Le
Hezbollah et ses alliés tant chrétiens que musulmans font tout
pour éviter cela. Qui finira par l’emporter ?
Mesdames
et Messieurs, le gong vient de sonner le début du sixième round :
Israël contre le Hezbollah. Le ring retient son souffle.
L’issue est incertaine. A ce stade, le score est :
Hezbollah (5) / Israël (0).
Les
paris sur l’issue d’une nouvelle guerre civile au Liban sont
ouverts !
Faites
vos jeux !
traduit
de l’anglais par Marcel Charbonnier
[* Franklin Lamb vit au Liban depuis près d’un
an. Il y rassemble de l’information en vue de son livre
‘Hezbollah : a brief Guide for Beginners’ (Le Hezbollah :
Manuel abrégé à l’usage des débutants), qui devrait être
publié au début de l’été. Vous pouvez le contacter par mél :
fplamb@gmail.com ]
|