Opinion
Ottawa rompt avec
Téhéran :
la propagande impérialiste contre l'Iran
et la Syrie
Fida
Dakroub
Vendredi 28 septembre
2012
Généralités
Enfin, Ottawa se prononça
catégoriquement. Elle rompit avec
Téhéran et adopta une vision manichéenne
du monde, plutôt bushéenne [1]. Le
ministre canadien des Affaires
étrangères, John Baird, annonça que tout
le personnel diplomatique canadien fut
rappelé et que tous les diplomates
iraniens au Canada eurent reçu l’ordre
de quitter le pays dans un délai de cinq
jours.
Comme nous l’indiquâmes dans
L’Iliade du Sept-Septembre [2], la
manière dont M. Baird développa sa
déclaration convenait par contre
beaucoup moins. Il ne parla pas en
ministre, mais en Achille aux pieds
rapides. Il devait se faire le
porte-parole de la colère d’Héphaïstos
[3], et parla d’un ton épique, glorieux
et sec, comme s’il s’adressait à Phoibos
Apollon devant les murailles de Troie
[4].
Or, M. Baird, avait une cause très
simple et très claire à lever les
boucliers pour la défendre, la paix
mondiale ; et son exposé fut ce qu’on
pouvait lire de plus embrouillé. Il
reste à ajouter que les raisons de cette
levée de boucliers d’Ottawa à l’égard de
Téhéran sont multiples, et l’état de
choses sur lequel elle avait à se
prononcer fut le suivant :
premièrement, «le Canada
considère le gouvernement de l’Iran
comme étant la menace la plus
importante à la paix et à la
sécurité mondiales à l’heure
actuelle » ;
deuxièmement, «le régime iranien
fournit une aide militaire
croissante au régime Assad »;
troisièmement, «il refuse de se
conformer aux résolutions des
Nations unies concernant son
programme nucléaire » ;
quatrièmement, «il menace
régulièrement l’existence d’Israël
et tient des propos antisémites
racistes en plus d’inciter au
génocide » ;
cinquièmement, «il compte parmi
les pires violateurs des droits de
la personne dans le monde » ;
sixièmement, «il abrite des
groupes terroristes auxquels il
fournit une aide matérielle ».
La
diabolisation du régime iranien : quoi
dire des sultanats arabiques ?
Préalablement, nous prenons en
critique le deuxième point de l’annonce
d’Ottawa, accusant le régime iranien de
fournir « une aide militaire croissante
au régime Assad », qui, selon la même
source d’accusation, aurait brutalement
écrasé, à l’aide des titans de Hadès,
une révolution démocratique pacifique,
menée par une foule de moines méditants.
Il n’est plus secret que l’Iran
fournit une aide militaire croissante au
gouvernement syrien ; les dirigeants
iraniens eux-mêmes ne le cachent pas. Au
contraire, ils ont déclaré, à plusieurs
reprises, qu’ils ne permettraient pas «
à l’ennemi de s’avancer en Syrie [5]
».Or, s’il est vrai que l’Iran fournit
une aide militaire au gouvernement
syrien, il est non moins vrai que la
Turquie, le royaume de l’Arabie saoudite
et l’émirat du Qatar fournissent, à leur
tour, une aide militaire gigantesque aux
groupes armés de la soi disant «
opposition » syrienne, et facilitent la
pénétration des combattants d’al-Qaïda
dans le territoire syrien, non pour
établir la démocratie démocratique,
comme le croit toujours M. Baird, mais
bien plutôt pour « guerroyer » contre
les kafirs, les infidèles,
voire les minorités chrétiennes et
musulmanes hétérodoxes de la Syrie, et
cela en brûlant églises et monastères et
en massacrant civils et innocents. Ce
que nous indiquons ici ne fut pas pris
ni des chansons de troubadour ni des
romans de chevalerie [6]; au contraire,
il fut bien rapporté et documenté même
par les hâbleurs les plus fidèles au
prétendu « Printemps arabe ». Lisons,
ici, ce que les médias du monopole
disent du rôle que jouent le califat
turc et les émirats et sultanats
arabiques dans la transportation des
combattants d’al-Qaïda en Syrie :
primo, le journal américain
The New York Times a indiqué la
croissance des jihadistes en Syrie, qui
est devenue un aimant attirant tous les
islamistes d’al-Qaïda :
“The evidence is mounting that
Syria has become a magnet for Sunni
extremists, including those
operating under the banner of Al
Qaeda. An important border crossing
with Turkey that fell into Syrian
rebels’hands last week, Bab al-Hawa,
has quickly become a jihadist
congregating point [7]”.
Les preuves que la Syrie est
devenue un aimant pour les
extrémistes sunnites s’accumulent, y
compris ceux qui opèrent sous la
bannière d’al-Qaïda. Un important
passage de frontière avec la
Turquie, Bab al-Hawa, qui fut tombé
dans les mains des rebelles syriens,
la semaine dernière, devint
rapidement un point de rassemblement
pour les jihadistes (T. d. A.).
secundo, dans un reportage
du journal britannique The Guardian
la réalité sur le terrain devient plus
obscure, lorsque le lecteur se rend
compte que les soi disant «
manifestations pacifiques », n’étaient,
en effet, qu’une fabrication médiatique,
et que la Syrie est gravement infestée
par des milliers de combattants d’al-Qaïda
:
“… But these were not average
members of the Free Syrian Army. Abu
Khuder and his men fight for
al-Qaida. They call
themselves the ghuraba’a, or “strangers”,
after a famous jihadi poem
celebrating Osama bin Laden’s time
with his followers in the Afghan
mountains, and they are one of a
number of jihadi organisations
establishing a foothold in the east
of the country now that the conflict
in
Syria has stretched
well into its second bloody year” ;
“Almost every rebel brigade
has adopted a Sunni religious name
with rhetoric exalting jihad and
martyrdom” ;
“Religion is a major rallying
force in this revolution [8]”
;
“Abu Omar gave an order in
Arabic, which was translated into a
babble of different languages –
Chechen, Tajik, Turkish, French,
Saudi dialect, Urdu [9]”.
… Mais ceux-ci n’étaient pas de
combattants moyens de l’Armée
syrienne libre. Abu Khuder et ses
hommes guerroient pour al-Qaïda. Ils
se font appeler les ghuraba’a, ou
les « étrangers », d’après un poème
jihadiste célèbre, qui fait l’éloge
des jours qu’avait passés Oussama
Bin Laden avec ses partisans dans
les montagnes afghanes ; ils font
aussi partie de nombreuses
organisations jihadistes qui ont
déjà établi un point d’appui à l’Est
du pays, maintenant que le conflit
en Syrie entre sa deuxième année
sanglante.
Presque chaque brigade rebelle
sunnite a adopté un nom religieux de
la rhétorique exaltant le djihad et
le martyre ;
La religion est une force
importante de ralliement dans cette
révolution.
Abou Omar a donné un ordre en
arabe qui fut traduit en un
babillage de différentes langues –
en tchétchène, en tadjike, en turc,
en français, en dialecte saoudite et
en ourdou (T. d. A.).
tertio, le journal
étatsunien The Independent a
publié un reportage sur le rôle du
califat turc et des émirats et sultanats
arabiques dans la transportation massive
d’armes vers le territoire syrien.
Évidemment, ceux qui bénéficient de cet
arsenal sont des combattants d’al-Qaïda
et non pas des moines aux robes blanches
:
“Syrian rebels are being
armed by Saudi Arabia and Qatar, The
Independent has learnt, in a
development that threatens to
inflame a regional power struggle
provoked by the 15-month-old
uprising against the Assad regime.
Rebel fighters from the Free
Syrian Army (FSA) have received
weapons from the two Gulf countries,
which were transported into Syria
via Turkey with the implicit support
of the country’s intelligence agency,
MIT, according to a Western diplomat
in Ankara [10]”.
The Independent a appris
que les rebelles syriens sont armés
par l’Arabie saoudite et le Qatar,
ce qui entraine en effet un
développement menaçant d’incendier
un conflit de pouvoir régional,
provoqué depuis 15 mois par le
soulèvement contre le régime Assad.
Les rebelles de l’Armée syrienne
libre (ASL) ont reçu, de deux pays
arabes du Golfe, des armes qui ont
été transportées vers la Syrie à
travers la Turquie dont les services
de renseignement, MIT, appuient
implicitement de telles opérations,
selon un diplomate occidental à
Ankara (T. d. A.).
Soit que nos gouvernants lisent les
journaux soit qu’ils ne les lisent pas.
S’ils ne les lisent pas, une question
sérieuse s’impose ici : sur quelles
bases prennent-ils des décisions
stratégiques déterminant l’avenir des
millions de Canadiens, ainsi que la
position de notre pays sur la scène
internationale ? Quels sont les
fondements de leurs justifications ?
Certainement pas la bonhomie du premier
ministre Stephen Harper ni la
philanthropie philanthropique de M.
Baird. Et ces fondements, sont-ils
matériels concrets, soutenus par des
données réelles du terrain ? Sont-ils
idéologiques, prenant exclusivement en
considération l’idéologie d’une telle ou
telle partie des Canadiens en dépit des
autres perspectives et points de vue ?
Sont-ils arbitraires pour la simple
raison que l’on ne lit pas ? Par contre,
si nos gouvernants lisent bien les
journaux, il faut, dans ce cas sonner,
l’alarme ; car nous sommes devant une
catastrophe politique : nos gouvernants
se moquent de nous !
Les chrétiens
de la Syrie massacrés dans le silence
Dans le discours du gouvernement
Harper sur la Syrie, il n’y a aucune
allusion aux rôles du califat turc et
des émirats et sultanats arabiques dans
la transportation des combattants d’al-Qaïda
en Syrie, aucune insinuation aux
attaques terroristes menées par ces
groupes contre les minorités religieuses
chrétiennes et musulmanes hétérodoxes,
aucune, sauf un profond silence qui fait
éveiller, par contre, une foule de
soupçons.
Un reportage publié dans le journal
allemand Der Spiegel a indiqué
que des milliers de Syriens s’étaient
enfuis vers le Liban, pas nécessairement
par peur du régime Assad, mais bien
plutôt dû aux attaques menées par les
troupes rebelles de la soi disant «
révolution » syrienne. Le reportage a
aussi souligné comment la minorité
chrétienne de la Syrie souffre des
attaques des groupes armés rebelles :
“… the women described what
happened to their husbands, brothers
and nephews back in their hometown
of Qusayr in Syria. They were killed
by Syrian rebel fighters, the women
said — murdered because they were
Christians, people who in the eyes
of radical Islamist freedom fighters
have no place in the new Syria
[11]”.
… les femmes ont décrit ce qui
est arrivé à leurs maris, frères et
neveux dans leur ville natale de
Qusayr en Syrie. Ils ont été tués
par des combattants rebelles
syriens, disent-elles, ils ont été
assassinés parce qu’ils étaient
chrétiens, et parce que, selon les
combattants islamistes radicaux de
la liberté, ils n’ont pas de place
dans la nouvelle Syrie (T. d. A.).
Les faits que nous mentionnons
ci-dessus ne font en aucun point partie
de la propagande du gouvernement syrien
; au contraire, ils ont été reportés par
Der Spiegel, un journal
considéré comme l’un des plus
remarquables médias du monopole, un fer
de lance de la guerre impérialiste
contre la Syrie ; ce qui nous pousse
effectivement à nous demander ici,
quelle réaction messieurs Baird et
Harper pourraient avoir envers un tel
reportage ?
Le vacarme de
la guerre contre l’Iran
Depuis un an, nous n’avons cessé
d’attiré l’attention des lecteurs du
CRM [12]sur les intrigues des
gouvernements de la Sainte-Alliance
contre la Syrie. Nous avons suivi les
chemins détournés par lesquels les
médias du monopole cherchaient à
s’emparer de l’opinion publique. Nous
avons indiqué en même temps comment les
intérêts stratégiques de l’impérialisme
mondial ont croisé ceux de l’islamisme
califal turc et du despotisme
obscurantiste arabique, pour établir
ainsi la Sainte-Alliance.
Or, en ce qui concerne notre pays et
son positionnement sur la scène
internationale, quelques faits prouvent,
jour après jour et de façon frappante, à
quel point le gouvernement Harper, par
sa rupture avec l’Iran, s’implique dans
la Sainte-Alliance.
Non seulement les reportages
quotidiens en provenance de la Syrie
renversèrent tous les masques de
Dionysos, derrière lesquels se cachaient
les visages des vrais acteurs de la
tragédie syrienne, mais aussi les dieux
de l’Olympe [13], qui jadis se
protégeaient derrière les nuages [14],
descendirent sur Terre, à la rencontre
des titans de Tartare [15]. Ainsi,
Stephen Harper s’habilla en Agamemnon et
John Baird en Achille aux pieds rapides
; et les deux furent accompagnés de
Benjamin Netanyahou, qui maîtrisa bien
le rôle de Ménélas.
Face aux préparations pour une guerre
à venir contre l’Iran, nous élevons la
voix et nous l’ajoutons à celle de
Michel Chossudovsky, et nous demandons à
nos lecteurs de propager le message dans
le monde entier :
Nous demandons à tout le
monde aux États-Unis, en Europe de
l’Ouest, en Israël, en Turquie et
partout à travers le monde de
s’opposer à ce projet militaire, de
se soulever contre leurs
gouvernements qui appuient une
action militaire contre l’Iran et
contre les médias qui servent à
camoufler les implications
dévastatrices d’une guerre contre
l’Iran [16].
Fida Dakroub, Ph.D
Communiquer avec l’auteur :
fdakroub@gmail.com
Page officielle de l’auteur :
www.fidadakroub.net
Notes
[1]
Référence au discours de George W. Bush
qui divisait le monde en deux axes :
l’axe du bien et l’axe du mal.
[3]
Héphaistos est le dieu du feu et
de la métallurgie. Dans
l’Iliade, Thétis la mère
d’Achille, fait appel à lui pour
fabriquer des armes pour son
fils.
[4]
Dans
L’Iliade
d’Homère, lorsque Phoibos
Apollon s’opposa à Achilles aux
pieds rapides devant les
murailles de Troie, ce dernier
lui répondit en colère : « Ô
Apollon, le plus funeste de tous
les dieux, tu m’as aveuglé en
m’écartant des murailles ! Sans
doute, de nombreux Troyens
auraient encore mordu la terre
avant de rentrer dans Ilios, et
tu m’as enlevé une grande
gloire. Tu les as sauvés
aisément, ne redoutant point ma
vengeance. Mais, certes, je me
vengerais de toi, si je le
pouvais ! ».
L’Iliade
d’Homère, chant XXII, traduction
de Leconte de Lisle (1818
-1894).
[6] Un
roman de chevalerie est une
œuvre romanesque, le plus
souvent en prose, inspirée ou
adaptée des romans courtois et
des chansons de geste en vers
des XIe
et XIIIe
siècles.
[13]
Les divinités olympiennes sont
les divinités grecques qui,
selon la mythologie, résident
sur le mont Olympe. Ils se
nourrissent d’ambroisie et de
nectar, et engendrent d’autres
dieux. Ils descendent parfois
sur Terre parmi les mortels,
afin de les aider, de les punir,
mais aussi pour s’unir,
engendrant ainsi des demi-dieux
ou héros.
[14]
Puisque son sommet reste caché
aux mortels par les nuages,
l’Olympe est aussi un lieu de
villégiature sur lequel les
dieux grecs avaient élu domicile
pour passer leur temps à
festoyer et à contempler le
monde.
Homère décrit
ce lieu comme un endroit idéal
et paisible, isolé des
intempéries telles que la pluie,
la neige ou le vent, où les
dieux pouvaient vivre dans un
parfait bonheur.
[15]
Dans la mythologie grecque, le
Tartare est la région la plus
profonde des Enfers. C’est aussi
la prison des dieux déchus comme
les Titans et des Géants, et
tous les anciens dieux qui
s’étaient opposés aux Olympiens.
[16]
Chossudovsky, Michel. (26
septembre 2012). « Une guerre
contre l’Iran déclenchera la
Troisième Guerre mondiale ».
Publié sur Mondialisation.ca.
Récupéré le 27 septembre 2012 de
http://www.mondialisation.ca/une-guerre-contre-liran-declenchera-la-troisieme-guerre-mondiale/
Docteur en Études
françaises (UWO, 2010),
Fida Dakroub est
écrivain et chercheur, membre du
« Groupe de recherche et
d’études sur les littératures et
cultures de l’espace francophone
» (GRELCEF) à l’Université
Western Ontario. Elle est
militante pour la paix et les
droits civiques.
Publié sur
Mondialisation.ca
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