Opinion
Les facteurs
géopolitiques de la guerre impérialiste
contre la Syrie
Deuxième
partie : L'ancien ordre du Moyen-Orient
Fida
Dakroub
Mardi 22 mai 2012
Généralités
Beaucoup de malheur a surgi de ce monde
par la confusion et les choses tues[1].
On publie ouvrage sur ouvrage, article
sur article, la plupart même cinq ou six
fois pour qu’ils ne se perdent pas au
cours du long chemin de la prétendue «
révolution » syrienne, dont les héros
auraient assiégé, depuis un an et
quelque, le « tyran de Damas » dans son
Grand sérail de despotisme et de
tyrannie. Analyses préalables, analyses
incidentes, analyses, intérieures,
analyses subsidiaires et autres
essentielles sont, à chaque instant,
soulevées en très grande prolifération.
À propos de chacune de ces grandes et
petites analyses, les animateurs de
télévision engagent régulièrement, sur
les grands écrans, d’entretiens avec des
professeurs en sciences politiques, des
experts spécialistes des affaires
syriennes, des présidents de centres de
recherche sur le Proche-Orient, des
charlatans orientalistes devenus experts
en géostratégie proche-orientale après
avoir lu « Tintin et les cigares du
Pharaon ». Tout ce bruit, ce brouhaha,
ce qu’en-dira-t-on, ce bâillement, ce
ronflement, à la radio, à la télé, sur
internet, dans les salles à manger, tous
ceux-ci constituent des « grands débats
» sur le « Printemps arabe » et la
prétendue « révolution » syrienne,
précisément. Ce sont surtout ces «
docteurs » en shamanisme proche-oriental
que les médias de l’ordre ont coutume de
consulter chaque fois que l’on veut
reproduire l’imagerie typique du «
despotisme » arabe face à la «
démocratie démocratique » de l’Occident.
Cependant cette fois-ci, nous
voyons ces mêmes « docteurs », qu’on a
tant consultés, se précipitent devant
les caméras des médias de l’ordre,
diffuseurs de la propagande
impérialiste, non pour accuser les
Arabes d’un « penchant inné au
despotisme », mais au contraire, pour
les glorifier et les féliciter de leur «
printemps », considéré par les fanfarons
de l’impérialisme comme l’« incarnation
suprême » de l’achèvement total de la
démocratie bourgeoise occidentale.
Plaudite, acta est fabula ![2]
Des deux axes belligérants au
Moyen-Orient
Cependant, derrière cette idylle
foudroyante entre médias de l’ordre et «
révolutions arabes », se cachent, avec
toute l’hypocrisie du discours «
philanthrope » et « libérateur », les
intérêts stratégiques de l’impérialisme
mondial au Moyen-Orient.
Suite à la défaite d’Israël à la
deuxième Guerre du Liban[3], l’Empire
s’est réveillé à la réalité amère que
les Iraniens sont déjà aux portes
d’Israël et que l’arche chiite s’est
bien établi de l’Iran à l’Est jusqu’au
Liban à l’Ouest, en passant par l’Irak
et la Syrie.
Cet axe opposant à l’Empire au
Moyen-Orient comprend, en effet, trois
pays, l’Iran, la Syrie et le Liban
(ajoutons-y l’Irak du gouvernement
Maliki après le départ des troupes
étatsuniennes). Le secrétaire général de
l’organisation du Hezbollah, Hassan
Nasrallah, l’a bien décrit lorsqu’il a
dit que cet axe comprend trois «organes
» : l’épaule (l’Iran), le bras (la
Syrie) et le coup de poing (le
Liban)[4].
Face à cet axe, se trouve l’axe
pro-Empire composé d’Israël, fer de
lance de l’impérialisme mondial au
Moyen-Orient, les émirats et sultanats
de la péninsule Arabique, l’Égypte au
Sud (avant le détrônement de son
pharaon, Mubarak), et la Turquie au
Nord. En effet, l’axe de l’Empire s’est
formé en 1978 avec l’établissement de
l’ordre de Camp David[5] qui avait
remplacé l’ordre de l’après deuxième
Guerre mondiale.
En ce sens, nous nous sentons vraiment «
embarrassée » de croire au discours «
philanthrope » des fanfarons de la
tragédie du « printemps arabe », et
d’interpréter, par conséquent, les
évènements qui bouleversent le monde
arabe, dès lors, en tant que faits
isolés des plans expansionnistes de
l’Empire dans la région.
Nos observations du paysage syrien
aboutirent à ce résultat que
l’insurrection armée en Syrie ainsi que
l’émergence subite des groupes
islamistes salafistes sur la scène des
événements ne peuvent être comprises ni
en suivant le discours des médias de
l’ordre occidentaux et arabes
subordonnés, ni en retenant par cœur le
discours poétique et misérable du
Conseil national syrien [6], mais bien
plutôt en déterminant 1) les composants
ethnico-religieux du paysage interne de
la Syrie ; 2) les conditions historiques
de l’émergence de nouveaux États au
Moyen-Orient, au lendemain du
démembrement de l’Empire ottoman en 1918
[7] ; 3) l’échec de l’Empire étatsunien
suite à la guerre en Afghanistan et en
Irak ; 4) la défaite d’Israël à la
deuxième Guerre du Liban[8].
Ceci dit, toute analyse portant sur les
violences en Syrie – une appellation que
nous trouvons plus réaliste que celle
fantastique de « révolution » syrienne –
doit prendre, comme base d’analyse, ces
points mentionnés ci-dessus.
En plus, ce que nous cherchons à
établir, c’est précisément la
connaissance d’un événement historique
significatif dans l’histoire du
Proche-Orient, et son effet sur les
événements actuels en Syrie ; car même
si on possède la connaissance la plus
complète possible de la totalité des
événements du « printemps arabe », nous
resterions désemparés devant les
questions suivantes :
premièrement, comment expliquer le fait
qu'à un moment donné de la guerre contre
le terrorisme déclarée en 2011,
l’antagonisme Occident / Islam réussit à
former un « front uni » et prétend «
défendre » la démocratie et les droits
de l’homme dans le monde arabe ; un «
front » qui rassemble, derrière la même
barricade et sous le même étendard de «
liberté, démocratie, justice »,
l’impérialisme étatsunien, le
néo-colonialisme européen, l'islamisme
califal turc et le despotisme
obscurantiste arabique ?
deuxièmement, comment expliquer le fait
que les émirats et sultanats arabes du
Golfe se considèrent menacés par l’Iran,
un pays musulman, et non par l’État
hébreu implanté au cœur du monde arabe
par l’impérialisme britannique au
lendemain de la Grande guerre ?
troisièmement, comment expliquer
qu’Israël, le pays qui se considère et
que l’on considère comme la « seule
démocratie » au Moyen-Orient, devient à
un moment donné la garantie stratégique
de la continuité des monarchies
despotiques obscurantistes de la
péninsule Arabique ?
quatrièmement, comment expliquer le fait
que malgré la propagande impérialiste et
la désinformation médiatique contre la
Syrie, nous constatons que la majorité
des Syriens soutiennent toujours le
président Bachar al-Assad ; et que la
majorité des Libanais et des Irakiens,
pour ne pas mentionner les Iraniens, le
soutiennent aussi ?
cinquièmement, comment expliquer le fait
que les minorités chrétiennes de
l’Orient, qui s’identifient normalement
avec « l’Occident chrétien » se sentent
menacées par la « démocratie
démocratique » de ce même Occident, et
préfèrent la « tyrannie» du président
syrien Assad sur la « liberté » promise
par l’impérialisme mondiale ?
Il est vrai que le nombre et la nature
des causes déterminant un événement
singulier quelconque sont
toujours infinis, et qu’il n’y a
dans les choses même aucune espèce de
critères qui permettrait de sélectionner
une fraction d’entre elles comme devant
seule entrer en ligne de compte ;
cependant, nous ne pouvons pas nous
laisser pris « par la confusion et les
choses tues » de la propagande
impérialiste, pour la simple raison que
les causes sont infinies ; au contraire,
notre travail analytique nécessite la
répartition des causes infinies en
groupes de causes finis que nous
limitons en deux points précis : 1) les
composants ethnico-religieux du paysage
interne de la Syrie naturelle, ou
l’hétérogénéité culturelle syrienne ; et
2) la concrétisation politique de cette
hétérogénéité dans l’émergence de
nouveaux États, au lendemain du
démembrement de l’Empire ottoman en
1918, selon des conditions historiques
précises.
De l’ancien ordre du Moyen-Orient
Il est clair d’emblée que le monde arabe
passe par une période de reconstruction
majeure de sa carte géopolitique, de ses
frontières extérieures et intérieures,
des noms de ses pays et de leur nature.
Il s’agit, en effet, d’une deuxième
reconstruction majeure au cours d’un
siècle ; étant donné que la première
reconstruction a eu lieu au lendemain de
la Grande guerre et du démembrement de
l’Empire ottoman en 1918 par
l’impérialisme franco-britannique. Entre
la première reconstruction (1918) et la
deuxième (2011), deux révisions ont été
faites :
premièrement, la révision de l’après
deuxième Guerre mondiale qui a été
appliquée dans les années cinquante et
soixante. Cette révision a entrainé à
deux grands événements : 1) la chute des
monarchies instaurées par l’impérialisme
français et britannique au lendemain de
la Grande guerre, comme la monarchie
d’Idris I de Libye (1951 – 1969), le
royaume d’Égypte[9] (1922 – 1953), le
royaume d’Irak[10] (1921 – 1958), la
monarchie du Yémen[11] (1918 – 1962) ;
et 2) l’indépendance des colonies
françaises et britanniques en Afrique du
Nord et au Proche-Orient.
deuxièmement, la révision
de l’ordre du Camp David qui a
été établie en 1978 suite à la guerre «
carnavalesque » d’octobre 1974. Cette
deuxième révision a mené à l’émergence
des dictatures et des monarchies
sanglantes, imposées et soutenues par
l’impérialisme mondial[12]. Pendant
trois décennies, des monstres comme
Moubarak, Saddam, les émirs et sultans
de la péninsule Arabique, se
réjouissaient de la bénédiction de
l’Empire étatsunien et de ses alliés
européens. D’un côté, ce statu quo a
imposé Israël au centre des relations
régionales ; de l’autre côté, il a
permis aux despotes et aux monstres
arabes dociles à l’Empire étatsunien à
tyranniser leurs peuples et à les
terroriser par la torture, l’oppression
et l’extermination. Citons, ici,
l’exemple de Saddam Hussein qui s’est
précipité dans une guerre sauvage contre
le peuple iranien (1979 – 1988) causant
1. 5 millions de pertes humaines entre
tués et handicapés[13] ; l’exemple de
Moubarak, le pharaon d’Égypte et fils de
Ramsès II, qui s’était élevé sur
l’Égypte et a affamé son peuple pendant
trente ans comme aucun autre pharaon ne
l’a jamais fait.
De l’accord Sykes-Picot (1916)
Ainsi qu’en témoigne la carte
géopolitique du Proche-Orient, les
frontières des États actuels, furent
dessinées en pleine Grande guerre (1914
– 1918), précisément selon un partage
colonial, issu de plusieurs accords et
traités imposés par la France et le
Royaume-Uni, les deux grandes puissances
colonialistes de l’époque; citons-en
l’Accord Sykes-Picot (1916), la
Déclaration Balfour (1917), la
Conférence de la Paix (1919), le Traité
de Sèvres (1920) et le Traité de
Lausanne (1923). Il en résulta que les
Français et les Britanniques
redessinèrent les frontières intérieures
et extérieures des provinces arabes de
l’Empire ottoman, selon leurs propres
intérêts coloniaux, et non pas,
évidemment, selon les intérêts des
peuples conquis.
Le premier accord entre puissances
colonialistes, portant sur l’avenir des
provinces arabes de l’Empire ottoman,
fut celui de Sykes-Picot, en 1916. Les
Grandes puissances étaient en pleine
guerre. Le coût de cette guerre attint
déjà des millions de cadavres et
de mutilés, laissés dans les tranchées
d’une guerre faite pour déterminer à
quel groupe de brigands financiers
reviendrait la plus grande part du butin
des colonies. Cependant, loin du
bombardement lourd de l’artillerie, à
Downing Street à Londres, les deux
puissances coloniales, la France et le
Royaume-Uni se préparaient pour
charcuter et dépecer la prise de «
l’Homme malade de l’Europe ». Pour ces
deux grandes puissances, la chute de
l’Empire ottoman était une question de
temps.
Faisant suite à un travail préparatoire
épistolaire de plusieurs mois entre Paul
Cambon, ambassadeur de France à Londres,
et Sir Edward Grey, secrétaire d’État au
Foreign Office, l’accord Sykes-Picot fut
conclu entre la France et le
Royaume-Uni, entre Sir Mark Sykes et
François Georges-Picot, le 16 mai 1916.
Cet accord prévoyait à terme un
dépeçage du Levant et de la Mésopotamie
; plus précisément, l’espace compris
entre la mer Noire, la mer Méditerranée,
la mer Rouge, l’océan Indien et la mer
Caspienne, alors partie intégrante de
l’Empire ottoman.
En plus, la Russie tsariste et l’Italie
participèrent aux délibérations et
donnèrent leur accord aux termes de
l’accord, qui demeurait secret jusqu’en
janvier 1918, lorsque le nouveau
gouvernement bolchévique en Russie le
porta à la connaissance du gouvernement
de la Sublime Porte, toujours possesseur
des territoires concernés.
Selon l’accord Sykes-Picot, le Levant et
la Mésopotamie, c'est-à-dire la Syrie
naturelle[14], seront découpés en cinq
zones :
1.
Zone française, d’administration
directe formée du Liban actuel et de la
Cilicie ;
2.
Zone arabe A, d’influence
française comportant le nord de la Syrie
actuelle et la province de Mossoul ;
3.
Zone britannique,
d’administration directe formée du
Kuweit actuel et de la Mésopotamie ;
4.
Zone arabe B, d’influence
britannique, comprenant le sud de la
Syrie actuelle, la Jordanie actuelle et
la future Palestine mandataire ;
5.
Zone d’administration
internationale comprenant
Saint-Jean-D’acre, Haïfa et Jérusalem.
Le Royaume-Uni obtiendra le contrôle des
ports de Haïfa et d’Acre[15].
De l'opposition étatsunienne à l’accord
Sykes-Picot
Sur un autre plan, les États-Unis, qui
se présentaient encore au début du XXe
siècle comme force « libératrice », ne
participèrent pas aux délégations de
Sykes-Picot ; et le président Woodrow
Wilson se tentait de mettre en avant
l’argument de l’auto-détermination des
peuples. Par conséquent, il exposa, le 8
janvier 1918 devant le Congrès
américain, les quatorze points qui,
selon lui, devraient aider au règlement
de l’après guerre. Dans la logique de
ces quatorze points, l’idée d’envoyer
une commission d’enquête dans la
province syrienne fut avancée.
Le douzième point donne la position de
Wilson sur le partage de l’Empire
ottoman :
Aux régions turques de l’Empire ottoman
actuel, devraient être assurées la
souveraineté et la sécurité ; mais aux
autres nations qui sont maintenant sous
la domination turque on devrait garantir
une sécurité absolue de vie et la pleine
possibilité de se développer d'une façon
autonome ; quant aux Dardanelles, elles
devraient rester ouvertes en permanence,
afin de permettre le libre passage aux
vaisseaux et au commerce de toutes les
nations, sous garantie
internationale[16].
En effet, les principes de Wilson ne
rejetèrent pas totalement, l’occupation
française et britannique des provinces
arabes de l’Empire ottoman ; au
contraire, ils la légitimèrent. Les
principes de Wilson reconnurent
seulement la souveraineté des régions
turques de l’Empire ; quant aux régions
arabes, ces principes garantirent
seulement, sans assurer, « une sécurité
absolue de vie et la pleine possibilité
de se développer d'une façon autonome ».
Cela veut dire, sous entendu, que les
points de Wilson considéraient les
Syriens incapables de décider de leur
propre sort ni de leur propre futur ; et
par conséquent, ils devaient rester sous
une sorte de protectorat colonial avant
qu’ils pussent avoir leur indépendance.
Du point de vue de son contenu et non de
celui de sa forme, le discours «
libératrice » de Wilson ne diffère pas
beaucoup de celui déclaré par les
puissances coloniales à la Conférence de
Berlin en 1884 justifiant le dépeçage de
l’Afrique[17].
Si la Conférence de Berlin (1884)
adopta un discours « civilisateur » pour
justifier le pillage de l’Afrique[18],
la Conférence de la Paix (1919) préféra
un discours « libérateur » pour régler
le saccage du Proche-Orient. Nous
rappelons aussi, en passant, du discours
« démocratiste » de l’Empire étatsunien
à la veille de l’invasion de l’Irak en
2003.
Au contraire de ce que la Conférence de
la Paix propageait, les Syriens[19]
étaient bien déterminés d’obtenir leur
indépendance et de se gouverner
indépendamment des puissances
coloniales. Cela se justifie par la
présence, depuis le XIXe siècle, de
grands partis politiques, de mouvements,
d’organisations,
de clubs, de journaux,
d’imprimeries, de publications, dont
l’objectif principal visait à réaliser
l’indépendance des provinces arabes de
l’Empire ottoman.
En effet, il n’est pas vrai que
les Turcs, vaincus à la Grande guerre,
laissèrent des broussailles et de
terrains boisés, occupés par des
populaces primitives, comme il plait au
discours colonialiste d’en propager ; au
contraire, les villes arabes de l’Empire
ottoman eurent achevé, à cette époque,
un niveau bien avancé dans le domaine de
l’organisation urbaine.
Certainement, le positionnement des
États-Unis face aux projets de découpage
du Levant, à la veille de la Conférence
de la Paix (1919), ne s’explique pas par
la nature alors « libératrice » des
États-Unis, ni par la « bonne volonté »
et le « libre arbitre » du président
américain Woodrow Wilson, « paix à ses
cendres », mais plutôt par l’analyse
objective de l’« abstinence »
étatsunienne, vue dans le contexte du
rapport de force alors établi entre deux
puissances coloniales chevronnées, ayant
été sur le point de perdre la guerre en
Europe, la France et le Royaume-Uni,
d’un côté, et une puissance impérialiste
ascendante, précipitée à leur secours en
1917, les États-Unis, de l’autre côté.
Autrement dit, les États-Unis
voulaient, à cette époque, ralentir les
ambitions coloniales de la France et du
Royaume-Uni, qui se préparaient pour une
colonisation complète du Proche-Orient,
selon le modèle alors appliqué en
Afrique. En plus, les intérêts
étatsuniens exigeaient que les provinces
arabes de l’Empire ottoman ne fussent
pas sous occupation directe menant à une
colonisation complète, telle qu’elle
était exercée en Afrique, mais plutôt
sous occupation indirecte, contrôlée par
la Société des Nations.
Selon cette volonté de refuser
l’impérialisme britannique et français,
et ses manifestations, un nouveau
système juridique fut progressivement
mis en place. La Société des Nations
organisa dans le cadre d’une commission
une consultation des peuples concernés.
La commission d’enquête King-Crane fut
ainsi envoyée en 1919 en Palestine, au
Liban, en Syrie et en Cilicie, afin
d’enquêter les souhaits des populations
quant à leur avenir.
En Irak également, les
Britanniques lancèrent une consultation
populaire entre décembre 1918 et janvier
1919.
Sentant la situation leur échapper, les
Français et les Britanniques, qui eurent
participé à la prise de Damas en 1918,
quittèrent la commission et imposèrent
précipitamment sur les territoires
concernés de nouvelles frontières telles
qu’elles furent précisées par l’accord
Sykes-Picot. L’année suivante, les
forces britanniques se retirèrent de la
zone d’influence revenant à la France,
cédant son contrôle aux troupes
françaises.
Incapable de faire face à la volonté des
puissances coloniales, la Société des
Nations leur confia, en 1920, un mandat
sur les provinces arabes de l’Empire
ottoman, lesquels devaient rapidement
aboutir, au moins théoriquement, à
l’indépendance des deux territoires.
Toutefois, les nationalistes syriens,
organisés depuis la fin du XIXe siècle,
ayant espéré la création d’une Syrie
indépendante, incluant la Palestine et
le Liban, rejetèrent le mandat.
En mars 1920, le Congrès national
syrien, élu en 1919, refusa le mandat
français et proclama unilatéralement
l’indépendance du pays. Néanmoins, en
avril 1920, la conférence de San Remo
confirma les accords Sykes-Picot, et
légitima l'intervention militaire
française. Par conséquent, les troupes
du général Gouraud entrèrent à Damas en
juillet, et écrasèrent brutalement
l’indépendance de la Syrie. Des milliers
de nationalistes syriens furent exécutés
par les autorités d’occupation
françaises. Ce fut alors l'effondrement
du «grand projet arabe» de rassembler,
autour de Damas, les provinces arabes
autrefois parties de l’empire ottoman.
Alors qu'elle avait été hostile envers
les Turcs, la population syrienne
développa rapidement un sentiment
antifrançais.
Ainsi, en découpant la Syrie naturelle,
émergèrent de nouveaux États, qui n’ont
jamais existés avant l’occupation
franco-britannique : l’Irak, la
Jordanie, le Kuwait, le Liban, la
Palestine, la Syrie, ainsi que deux
autres États qui ne durèrent pas
longtemps, grâce au rejet complet de la
part du peuple syrien – ce rejet mena à
la révolution syrienne (1925 – 1927) –
nous parlons ici de l’État druze et de
l’État alaouite.
Fida Dakroub, Ph.D
Pour communiquer avec l’auteure :
http://bofdakroub.blogspot.com/
Notes
[1] Citation de Fédor Dostoïevski.
[2] Sur son lit de mort, l'Empereur
romain August, se sentant de plus en
plus faiblir, demanda un miroir, se fit
peigner les cheveux et raser la barbe.
Après quoi, il dit : N'ai-je pas bien
joué mon rôle ? » ; Oui, lui répondit-on
; Battez donc des mains, dit-il, la
pièce est finie ! Plaudite, acta est
fabula !
[3] Dakroub, Fida.
(2012, 14 mai). La défaite d’Israël à la
deuxième Guerre du Liban (2006). Centre
de recherche sur la mondialisation.
Récupéré le 21 mai 2012 de :
http://mondialisation.ca/index.php?context=va&aid=30846
[4]
http://video.moqawama.org/sound.php?catid=1
[5] Les accords de Camp David furent
signés le 17 septembre 1978, par le
Président égyptien Anouar el-Sadate et
le Premier Ministre israélien Menahem
Begin, sous la médiation du Président
des États-Unis, Jimmy Carter. Ils
consistent en deux accords-cadres qui
furent signés à la Maison Blanche après
13 jours de négociations secrètes à Camp
David. Ils furent suivis de la signature
du premier traité de paix entre Israël
et un pays arabe : le traité de paix
israélo-égyptien de 1979.
[6] Voir l’article
de l’auteur,
« Le
11-Vendémiaire de la Sainte-Révolution
syrienne ou L’Échec du Conseil national
syrien » :
http://www.legrandsoir.info/le-11-vendemiaire-de-la-sainte-revolution-syrienne-ou-l-echec-du-conseil-national-syrien.html
[7] Nous désignons par conditions
historiques l’ensemble des accords et
des traités entre puissances coloniales
et impériales sur le découpage et le
partage du Levant en plusieurs États
antagonistes au lendemain de la Grande
guerre (1914 – 1918).
[8] Dakroub, Fida. La défaite d’Israël à
la deuxième Guerre du Liban (2006). loc.
cit.
[9] Le royaume a été créé en 1922
lorsque le gouvernement britannique a
reconnu l'Égypte indépendante. Le sultan
Fouad I devint ainsi le premier roi du
nouvel État. Farouk I succéda à son père
comme roi en 1936. Avant la France,
l'Égypte avait été occupée et contrôlée
par le Royaume-Uni à partir de 1882.
[10] Le royaume est d'abord proclamé le
23 août 1921, durant la période du
Mandat britannique de Mésopotamie. Le
Mandat de la Société des Nations exercé
par le Royaume-Uni est juridiquement
annulé en 1922, mais la tutelle
britannique reste partiellement en place
dans les faits jusqu'en 1932, date à
laquelle l'Irak voit sa pleine
indépendance reconnue de droit par son
adhésion à la SDN.
[11] Le Royaume du Yémen est un État
ayant existé de 1918 à 1962, dans la
partie nord de l'actuel Yémen.
[12] Özhan, Taha.
(2011, 10 octobre). The Arab “Spring”.
Hürriyet. Récupéré le 21 mai 2012 de
http://www.hurriyetdailynews.com/default.aspx?pageid=438&n=the-arab-8216spring8217-2011-10-27
[13] Karsh, Efraim. (2002). The
Iran-Iraq War 1980-1988, Osprey: London.
[14] Il s'agit ici de la Syrie naturelle
qui correspond grosso modo à la Syrie
gréco-biblique, située entre l'Anatolie,
la Mésopotamie, la Méditerranée et le
Sinaï (actuellement : Syrie, Liban,
Palestine, Jordanie, Irak, Kuwait et
l’État hébreu).
[15] Laurens, Henry. Comment l’Empire
ottoman fut dépecé, dans Le Monde
Diplomatique, avril 2003.
[16] Les quatorze points du Président
Wilson, message au Congrès exposant le
programme de paix des Etats-Unis, le 8
janvier 1918.
[17] La Conférence de Berlin marqua
l’organisation et la collaboration
européenne pour le partage et la
division de l’Afrique. Cette conférence
commença le 15 novembre 1884 à Berlin et
finit le 26 février 1885. À l’initiative
du Portugal et organisée par Bismarck,
l’Allemagne, l’Autriche-Hongrie, la
Belgique, le Danemark, l’Espagne, la
France, le Royaume-Uni, l’Italie, les
Pays-Bas, le Portugal, la Russie, le
Suède-Norvège et la Turquie ainsi que
les États-Unis y participèrent. La
conférence de Berlin n'a pas partagé
l'Afrique entre les puissances
coloniales, elle ne fait qu'établir les
règles de ce partage.
[18] En 1876, la conférence de
géographie de Bruxelles (12 – 19
septembre 1876) avait été convoquée par
le roi des Belges Léopold II afin
d’envoyer des expéditions au Congo pour
les motifs présumées d’y abolir la
traite des Noirs maintenue par les
Arabes et, selon ses propre termes, de «
civiliser » le continent africain.
[19] Par Syriens, nous désignons les
habitants de la Syrie naturelle
précédant l’Accord Sykes-Picot.
Docteur en Études françaises (UWO,
2010),
Fida Dakroub est écrivaine et
chercheure, membre du « Groupe de
recherche et d'études sur les
littératures et cultures de l'espace
francophone » (GRELCEF) à l’Université
Western Ontario. Elle est l’auteur de «
L’Orient d’Amin Maalouf, Écriture et
construction identitaire dans les romans
historiques d’Amin Maalouf » (2011).
Publié sur
Mondialisation.ca
Le
dossier Syrie
Les dernières mises à jour
|