Tribune
Quels scenarios
alternatifs pour l'Europe ?
Fedor
Loukianov
© Fedor Loukianov
- Photo: RIA Novosti
Jeudi 24 mai
2012
L'élection présidentielle en Serbie
s'est terminée par un scoop: malgré les
pronostics, Tomislav Nikolic a remporté
la victoire. Tout récemment encore il
était considéré comme un nationaliste
radical et un politique manifestement
antioccidental. Certes, Nikolic s'est
progressivement débarrassé de son
étiquette d'extrémiste: il ne renie plus
l'intégration européenne de son pays, ne
s'apprête plus à reconquérir le Kosovo
et se montre en général plutôt
fréquentable. On ne s'attend pas à des
revirements brusques dans la politique
de Belgrade, ni toutefois à ce que le
nouveau président manifeste le même
enthousiasme européen que l'ancien chef
de l'Etat serbe, Boris Tadic.
Un autre pays de l'Europe du Sud-est,
la Grèce, a aussi récemment connu des
élections. Les législatives se sont
soldées par un échec cuisant des partis
disposés à respecter les conditions
dictées par l'Union européenne et par un
succès de la coalition de la gauche
radicale (Syriza). Aux élections de
juillet, cette coalition obtiendra
probablement un résultat encore plus
impressionnant. Il est à noter que tout
en refusant de respecter les conditions
draconiennes dont l'Union européenne et
le Fonds monétaire international (FMI)
assortissent les prêts accordés à la
Grèce, la gauche grecque n'a pas pour
autant l'intention de quitter l'UE et la
zone euro. Tout le monde ignore la façon
de concilier ces deux positions mais les
électeurs ne paraissent pas préoccupés
par cette question pour l'instant.
Cependant, la perspective de la sortie
de la Grèce au moins de la zone euro
devient de plus en plus tangible.
La crise européenne prend de
l'ampleur, et il ne s'agit pas de
problèmes économiques mais de
l'épuisement du modèle d'intégration
actuel et de la nécessité d'adopter une
nouvelle approche. Des alternatives
conceptuelles à la politique courante,
existent-elles dans l'Europe
d'aujourd'hui?
Sur le plan économique, la situation
paraît désespérée. Le système
traditionnel de repères de la politique
européenne basée sur la dichotomie
gauche-droite, s'enraye. Les mouvements
politiques se divisent désormais en fait
en deux courants. Le premier, le grand
"parti de l'assainissement", mène,
indépendamment de son appellation qui
varie en fonction de pays (parti
conservateur, démocrate-chrétien,
libéral, social-démocrate, etc.)
globalement une politique visant à
réduire l'endettement et à améliorer les
indices macroéconomiques à tout prix.
L'autre est le "parti des aigris", des
personnes profondément déçues par les
événements et qui votent pour une gauche
franchement radicale, voire pour
l'extrême gauche. Tout en étant des
antipodes politiques, les uns et les
autres se rejoignent lorsqu'ils se
mettent à prôner le nouveau slogan: la
protection sociale des gens contre les
affres de la mondialisation.
Après les élections françaises et
grecques, la majorité des commentateurs
sont arrivés à la conclusion selon
laquelle le "parti de l'assainissement"
avait été battu: les Français et les
Grecs, citoyens de deux pays sans
lesquels la poursuite de cette politique
serait compromise, l'ont rejetée
(François Hollande met l'accent sur la
nécessité de stimuler la croissance au
lieu de réduire indéfiniment les
dépenses). Toutefois, il n'y a aucune
alternative. Les deux méga-partis (les
"partisans de l'assainissement" et les
"aigris") diffèrent par leur aptitude à
gouverner l'Etat. Le premier mouvement a
une idée précise de ce qu'il faut faire
et comment agir, mais il a de plus en
plus de mal à s'assurer le soutien de
l'opinion publique. En revanche, les
opposants reflètent les dispositions de
la société mais ils n'ont aucune
stratégie, ils ne disposent que d'une
panoplie de slogans et ne sont pas prêts
à assumer la responsabilité de la
gestion d'un pays. Et même si
l'avènement de François Hollande risque
de forcer l'Allemagne à réajuster sa
position jusque-là inébranlable en
matière de la stabilité budgétaire, ce
réajustement serait tout de même réalisé
dans le cadre du paradigme existant.
La situation idéologique est bien
plus embrouillée. L'un des pays membres
de l'Union européenne est déjà en train
d'abandonner de fait les valeurs
européennes en optant pour un modèle
plus conservateur et nationaliste. Il
s'agit de la Hongrie. Le gouvernement de
Viktor Orbán ne peut pas inscrire à son
palmarès de succès particuliers dans le
règlement des problèmes financiers et
économiques du pays, et il est contraint
de concéder des compromis avec les
créanciers européens. Dans le même temps
il insiste sur son droit de mener une
politique intérieure originale qui dévie
de celle généralement admise en Europe.
Certes, Budapest subit une forte
pression de la part de Bruxelles et de
ses partenaires mais si la situation en
Union européenne continue à évoluer de
la même manière négative, l'aspiration
de certains gouvernements nationaux à
une politique indépendante pourrait
s'affirmer.
Il n'existe par contre aucune
alternative géopolitique. A une époque,
les politiques nationalistes à Belgrade,
notamment les membres du parti dirigé
par Nikolic, appelaient à former une
alliance avec la Russie afin de
s'opposer à l'Otan. Aujourd'hui ces
idées n'ont pratiquement plus cours.
Moscou n'a pas l'intention de défier
l'Otan au nom de chimères géopolitiques
dans la péninsule Balkanique. Par
ailleurs, la société serbe a eu droit à
une telle indigestion de guerre dans les
années 1990, grâce à l'incontournable
Slobodan Milosevic, qu'elle n'aspire
désormais qu'à un développement
tranquille associé de tous temps à
l'Union européenne (et après tout à
l'Otan, bien que la Serbie possède une
expérience particulière en la matière).
Toutefois, la question qui se pose est
de savoir si cette association est
justifiée aujourd'hui. Plus exactement:
l'Union européenne actuelle et future,
est-elle à même d'apporter ces
avantages?
Apparemment, l'Europe connaîtra
prochainement une division inévitable en
un noyau et une périphérie, et si la
situation du noyau (les pays de l'Europe
occidentale qui gravitent autour de
l'Allemagne) semble claire, l'avenir de
la périphérie, avant tout de ses zones
frappées par des problèmes politiques et
économiques, telles que l'Europe du
Sud-est, la péninsule balkanique et la
fameuse Grèce, paraît incertain. Dans le
pire des cas, le noyau pourrait larguer
les Etats à problèmes et s'en dissocier.
Or, il n'y a aucune autre puissance ou
force qui voudrait les prendre sous son
aile. Tout au plus, la Turquie pourrait
s'intéresser aux Balkans, mais le
Proche- et le Moyen-Orient lui donnent
déjà pas mal de fil à retordre. Quant à
la Russie, malgré toute sa rhétorique
caractéristique d'une grande puissance,
elle met ses ambitions en adéquation
avec ses moyens. La tentation de jouer
la carte balkanique, voire, à Dieu ne
plaise, la carte orthodoxe (en ce qui
concerne la Grèce et la Serbie, par
exemple) est enracinée dans la tradition
historique et pourrait donc
théoriquement récidiver. Mais, en
principe, la Russie d'aujourd'hui est
trop éloignée de ce type de
raisonnement.
Il est certainement prématuré de
présager la catastrophe de l'Europe.
Toutefois, en jetant un coup d'œil sur
la dernière décennie, force est de
constater que ce sont plutôt les
scénarios pessimistes considérés comme
marginaux qui se réalisaient. Et de
toute façon ce n'est pas un axiome que
l'architecture de l'Europe, à savoir
l'Union européenne, est irréversible et
ne peut qu'être améliorée. L'absence
d'alternatives, considérée comme un
avantage dans le cas de l'Europe,
deviendrait une faille très dangereuse
si le seul modèle existant s'avérait
brusquement défaillant.
© 2012
RIA Novosti
Publié le 24 mai 2012
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