Tribune
Barack Obama et Xi
Jinping:
c'est l'heure de la trêve
Fedor
Loukianov
© Fedor Loukianov
- Photo: RIA Novosti -
Alexei Naumov
Jeudi 13 juin 2013
"Un monde changeant" par Fedor
Loukianov
Source:
RIA Novosti
La rencontre entre le président
américain Barack Obama et son homologue
chinois Xi Jinping en Californie n'a pas
suscité beaucoup d'intérêt en Russie.
L’actualité intérieure et les troubles
en Turquie, les bouleversements au
Proche-Orient ou encore les péripéties
russo-américaines ont davantage retenu
l’attention des médias. Pourtant, le
développement des relations entre
l'Amérique et la Chine est primordial
pour l'avenir de la Russie.
Le format de la rencontre n’était pas
habituel : étroit, confidentiel.
Longtemps que l’on n’avait pas vu ça
entre Washington et Pékin. Pratiquement
depuis Henry Kissinger, il y a plus de
quarante ans : ses efforts diplomatiques
avaient mené au tournant de la Chine
vers les Etats-Unis et contribué à la
victoire dans la Guerre froide.
Aujourd'hui on parle également de
nouvelles relations stratégiques :
sont-elles possibles et sur quelles
bases ?
La Chine restait une "tache blanche" sur
la carte politique d'Obama. Non pas
qu’il ne s'en préoccupait pas mais
plutôt à cause du résultat de ses
actions. La visite du président
américain à Pékin au début de son
premier mandat fut pratiquement la plus
ratée. A l'époque les Chinois avaient
habilement neutralisé l'image d'Obama
comme leader unique en son genre, en
l'accueillant poliment mais simplement
comme tout autre président américain –
ni plus ni moins. Par la suite, en dépit
de son engagement ostentatoire pour la
paix, le chef de la Maison blanche avait
opté pour une politique plus offensive
en Asie. Ce tournant annoncé vers l'Asie
– c’est-à-dire le transfert du poids
politique dans cette région et
particulièrement contre la Chine - a
particulièrement préoccupé Pékin.
Paradoxalement, pour la Chine Obama
s'est avéré être un partenaire bien plus
agressif que son prédécesseur Bush. Ce
dernier avait commencé son mandat comme
un chef d'Etat antichinois mais avait
terminé en étant pratiquement le
dirigeant américain le plus prochinois.
La symbiose économique indissoluble
entre les deux pays, mise en évidence à
part entière à l'époque de Bush, forçait
à adopter un comportement très prudent.
Ce n'est pas un hasard si le secrétaire
à la Défense ou le secrétaire d'Etat
n’étaient pas à l'époque les principaux
architectes de la politique américaine à
l'égard de Pékin mais le secrétaire au
Trésor Henry Paulson. Ce dernier
supervisait également le dialogue
stratégique dans le domaine économique
et financier.
Tout s'est mélangé avec l'arrivée
d'Obama. La dépendance mutuelle est
restée intacte mais la crise mondiale
l'a mise en évidence sous un autre jour.
Aujourd'hui les deux pays ne la voient
pas comme un bien mais comme un fardeau
dont ils ne peuvent pas se débarrasser.
L'Amérique cherche à s'assurer un
nouveau leadership – Obama est persuadé
que cela ne fonctionnera pas selon
l’ancien modèle. Le rôle de la Chine
dans le monde à venir est flou. Tout le
monde s'attend à ce qu'il soit
extrêmement important mais la majorité
des commentateurs reconnaissent
également que l'hégémonie ne fait pas
partie des traditions de la Chine et
demande un potentiel qu'elle n'aura
jamais à terme. Enfin, cette hégémonie
est impossible en l'absence d'une
idéologie universelle compréhensible par
les autres. Ce dernier point est
important : l'influence idéologique de
la Chine ne pourrait être efficace que
dans sa région – l'Asie de l'Est et du
Sud-Est.
Par conséquent Pékin ne peut pas lancer
de défi idéologique à l'Occident en
Europe, en Amérique latine ni même en
Eurasie.
Conclusion : il n’y aura pas de
confrontation Chine-USA. L'Asie est la
région-clé du monde contemporain, les
scénarios de développement mondial
dépendront des événements qui
surviennent dans cette région. C'est
pourquoi toute friction dans la zone
pourrait faire monter la tension à
l'échelle globale. Si la Chine
s'opposait à la présence américaine en
Asie, les Etats-Unis chercheraient
certainement à faire pression sur ses
intérêts dans d'autres régions du monde.
Dans un contexte d'instabilité mondiale
croissante, les deux puissances sentent
leur vulnérabilité - mais chacune à leur
manière. La Chine est très préoccupée
par l'évolution de la situation car elle
n'est pas politiquement isolée et, sur
le plan économique, elle dépend
complètement des marchés extérieurs.
L'Amérique essaie prudemment de réduire
son implication dans les mécanismes
mondiaux afin de se concentrer sur les
problèmes intérieurs sans pour autant
manquer l’essentiel à l'échelle
mondiale. Le sentiment d'un poids
excessif qu'il est impossible de
continuer à traîner s'installe
progressivement dans la conscience
politique américaine.
L’opinion de l’auteur ne coïncide pas
forcément avec la position de la
rédaction\
La
longue conversation entre Barack Obama
et Xi Jinping n’est certainement pas un
tournant. Planifier des relations
fondamentales et à long terme entre les
deux pays est objectivement impossibles
dans le contexte actuel. On
pourrait plutôt parler de trêve, d'une
aspiration à minimiser les risques. Les
deux parties en ont parfaitement
conscience et c'est pourquoi elles
pensent qu'il vaut mieux éviter
d'aggraver la situation. On ignore
combien de temps cela durera. L'élection
de 2016 sera une épreuve pour la
politique américaine – les candidats
personnifieront certainement la future
politique des USA dans le monde et, par
conséquent, les relations avec la Chine.
Mais pour les trois prochaines années,
on pourrait ressortir des tiroirs de la
Guerre froide le concept de "coexistence
pacifique".
Fedor Loukianov, rédacteur en
chef du magazine Russia in Global
Affairs.
© 2013
RIA Novosti
Publié le 15 juin 2013
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