Opinion
Cheikh Muhammad
Saîd Ramadân Al-Bûtî
Nous perdons un père, un maître et un
frère
Faouzia
Zebdi-Ghorab
Nanterre, le 22
mars 2013
فَمَنْ حَآجَّكَ فِيهِ مِن بَعْدِ مَا
جَاءكَ مِنَ الْعِلْمِ فَقُلْ تَعَالَوْاْ
نَدْعُ أَبْنَاءنَا وَأَبْنَاءكُمْ
وَنِسَاءنَا وَنِسَاءكُمْ وَأَنفُسَنَا
وأَنفُسَكُمْ ثُمَّ نَبْتَهِلْ فَنَجْعَل
لَّعْنَةَ اللّهِ عَلَى الْكَاذِبِينَ
À ceux
qui engagent avec toi une polémique à
son sujet à présent que tu es bien
informé, propose ce qui suit : «Appelons
nos enfants et les vôtres, nos femmes et
les vôtres, joignons-nous tous à eux et
adjurons Dieu de maudire ceux d'entre
nous qui sont des menteurs.» Sourate 3 /
Verset 61
Le souvenir le plus
lointain que j'ai du vénérable
Cheikh Muhammad Saîd Ramadân Al-Bûtî,
remonte aux années 90 où au détour d'un
chemin je croise un adepte du groupe des
salafis dont le principal savant était à
l'époque Mouhammad Nâsir ad-Dîn al-Albâni
et qui me dit brut de décoffrage
que selon ce savant, tous les musulmans
de Palestine, du sud du Liban et du
plateau du Golan doivent quitter en
masse leur terre et aller autre part au
prétexte qu'une terre musulmane occupée
par des non musulmans devenait par
conséquent une terre non musulmane.
Ainsi il était désormais interdit à tout
musulman de continuer à y vivre.
Autrement dit au cas où vous ne l'auriez
pas compris, selon cette fatwa les vrais
criminels sont bel et bien les
palestiniens !
Vous imaginez notre
désarroi nous dont les cœurs étaient
suspendus à l'actualité Palestinienne et
à ce qui advenait à nos frères et soeurs
palestiniens. Nous qui avions compris
que notre sort était lié au leur parce
que si justice n'est pas faite en
Palestine elle ne serait jamais faite
nulle part ailleurs.
Et voilà que ce
vénérable cheikh s'oppose de façon
ferme, tranchée et argumentée à la fatwa
du cheikh Albani redonnant ainsi à toute
une jeunesse, du sens à ce qui une
fraction de seconde, n'en avait plus.
En 2004 alors que le
recteur d'al azhar, lui même, Mohammed
Tantaoui
vient, en présence de Nicolas Sarkozy
alors ministre de l'Intérieur français,
de donner sa caution à la loi française
sur les signes religieux dans les écoles
publiques, le cheikh Ramadan el Bouti le
« modéré » comme aiment le qualifier
certains, dénonce sur le sol français
cette loi et qualifie les représentants
musulmans qui soutiennent cette loi du
terme coranique de « Mounafiquoun
» (Hypocrites), alors que "ici et
là" on nous a recommandé docilité et
aplavantrisme et que jusqu'à aujourd'hui
nous payons chèrement dans notre chaire
et notre esprit la lâcheté et le
larbinisme de tous ces « porte paroles »
de la communauté.
En 2011,
pendant la répression de la révolte
syrienne, il publie sur son site
Nassim al cham en réponse à la
question d'un militaire de l'armée
syrienne une fatwa interdisant
textuellement aux militaires de tuer des
civils même si à la suite de ce refus
ils devaient périr du fait de leur
désobéissance.
نص الفقهاء على أن الملجَأَ إلى القتل
بدون حق لا يجوز له الاستجابة لمن يلجئه
إلى ذلك، ولو علم أنه سُيقتل إن لم يستجب
له، ذلك لأن كلا الجريمتين في درجة
الخطورة سواء، ومن ثم فلا يجوز للملجَأ
إلى القتل تفضيل حياته على حياة برئ مثله
"Les juristes ont
indiqué que celui auquel on ordonne de
tuer sans raison ne doit pas se
conformer à un tel ordre, même s'il sait
qu'il sera lui-même tué pour ne pas
avoir obéi. Les deux actes ayant la même
gravité, celui qui a reçu l'ordre de
tuer n'a pas le droit de préférer sa
propre vie à celle d'un autre, tout
aussi innocent".
C'est cet homme
humble, méthodique, universaliste,
humaniste et visionnaire, qui vient
d'être assassiné ce jeudi 21 mars 2013 à
l'âge de 84 ans. Cet homme dont les mots
d'introduction pour le présenter sont
souvent « savant du pouvoir » ou
« le savant pro Assad »
Pourtant il y a un
fossé entre être « pro Assad » et être
contre ces Frankensteins de laboratoire
qui fabriquent des monstres chargés de
semer la mort, le chaos et la désolation
partout où ils passent en Libye, en
Syrie, au Mali...
Il y a un fossé entre
être « pro régime syrien » et
dénoncer les monarchies saoudiennes,
qatariennes et consort, vassales de
l'impérialisme et du sionisme qui
financent la terreur et l'instauration
des régimes de terreur au nom de
l'Islam.
Il s'agit d'un crime
contre l'humanité d'un musulman dans un
pays musulman. Et tous ces discours,
ces "fatwas" sont la caution
morale et religieuse de la haine entre
musulmans minés par les conflits
politiques et les positions idéologiques
sectaires qui
creusent leur propre tombe.
Encore une fois les
divergences de Fiqh ou même politiques
ne dispensent aucun musulman du
fondamental qui est le respect de la vie
humaine.
Il ne peut y avoir de
sortie honorable à la violence lorsque
la révolution sanguinaire se fait sans
discernement commanditée à coups de
milliards par des esprits obscurantistes
qui seront interrogés non pas par des
tribunaux fantoches mais le jour où tous
les peuples démunis et affamés qu'ils
ont spolié se tourneront vers eux comme
un seul homme et d'une seule voix pour
arracher leur dû.
Cette voie ne
conduira pas à la paix comme elle n'a
pas conduit les Afghans à la paix parce
qu'aucune paix ne peut naître d'une
graine qu'on a irrigué par le sang des
innocents.
إن الملوك إذا دخلوا قرية أفسدوها وجعلوا
أعزة أهلها أذلة وكذلك يفعلون
« En vérité, dit-elle, lorsque les rois
s'emparent d'une cité, ils y sèment la
ruine et asservissent les plus
honorables de ses habitants. C'est ainsi
qu'habituellement ils se comportent "
Sourate 27/ verset 34
Nous ne pouvons
mettre un point final à cet article que
nous voulons avant tout être un hommage
à notre cheikh, sans parler des discours
entendus ça et là et rapportés par des
esprits mimétiques fidèles relais de
cette idéologie destructrice, notamment
les propos selon lesquels le Cheikh
voulant se retourner contre le régime et
quitter la Syrie a été assassiné par
le régime syrien dont il était
sensé être le suppôt !! Version défendue
par Muhammad al-Yacoubi et
relayée par les notables musulmans de
France dont Cheikh Tahar Mahdi qui parle
entre autres des meurtres de Bachar al
Assad plus nombreux que ceux d'Israël !
(sic) Je le laisse maître de ses propos
comme je vous en laisse juge.
Cheikhuna votre mort
est à l'image de l'homme que vous fûtes
et dont Dieu parle en ces termes :
مِنَ
الْمُؤْمِنِينَ رِجَالٌ صَدَقُوا مَا
عَاهَدُوا اللَّهَ عَلَيْهِ فَمِنْهُم
مَّن
قَضَى نَحْبَهُ وَمِنْهُم مَّن يَنتَظِرُ
وَمَا بَدَّلُوا تَبْدِيلاً
Il est
parmi les croyants des hommes qui ont
tenu loyalement leur engagement
vis-à-vis de Dieu. Certains d'entre eux
ont déjà accompli leur destin , d'autres
attendent leur tour. Mais ils n'ont
jamais rien changé à leur comportement.
Sourate 33/Verset 23
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