Opinion
Citoyenneté en
situation coloniale :
pour ou contre le vote arabe à la
Knesset sioniste ? (2)
Fadwa Nassar
Juin 2010
- Haneen Zoabi (à dr.) insultée et
agressée par des membres israéliens de
la Knesset sioniste
alors qu'elle fait
le récit du massacre perpétré sur le Mavi Marmara
Mercredi 26 décembre
2012 En mai 1948, avant
même la proclamation de «
l’indépendance » de la colonie
sioniste en Palestine, les bandes
armées de la colonie sèment la
terreur et la mort en Palestine :
attentats meurtriers dans les
villes, invasions de villages et
bourgades, massacres collectifs,
nettoyage ethnico-religieux dans les
zones livrées par l’ONU à « l’Etat
juif » selon le plan de partage voté
en novembre 1947 : c’est la Nakba
palestinienne dont les dirigeants
actuels de l’Etat d’Israël craignent
le rappel, puisqu’ils ont interdit
sa commémoration dans les
territoires occupés en 1948. Entre
1948 et 1952, les massacres et
expulsions se poursuivent, notamment
dans les zones « gagnées » par la
guerre : la partie occidentale d’al-Qods
et la région du Naqab
principalement. La Nakba, c’est
l’exil forcé de plus de la moitié du
peuple palestinien, et de la
majorité des Palestiniens vivant
dans les territoires devenus l’Etat
sioniste. « Citoyens
minoritaires » dans leur propre pays En 1948, seuls
150.000 Palestiniens ont réussi à
demeurer dans leur patrie occupée.
Ils comptent à présent plus de
1.200.000 Palestiniens répartis dans
le nord (Jalil), le sud (Naqab), les
villes côtières (Haïfa et les monts
du Karmel, Akka, Yafa) et la région
du « Muthallath » (Triangle) avec
les villes d’Umm al-Fahem et Kafr
Qassem, et les villes « mixtes » de
Lid et Ramlé. Les Palestiniens de 48
ne représentent que 17 à 18% de la
population en « Israël », ce qui
explique largement pourquoi l’Etat
colonial n’a pas privé ces
Palestiniens du droit de vote,
contrairement à l’Afrique du Sud de
l’apartheid, où la population noire
africaine est restée majoritaire
dans son pays. Après l’expulsion de
la majorité des Palestiniens,
devenus réfugiés, des territoires
formant à présent l’entité sioniste,
les Palestiniens de 48 sont devenus
une minorité dans leur propre pays.
Devenus « citoyens » malgré eux de
cet Etat, ils ont utilisé tous les
moyens possibles pour demeurer dans
leur patrie, lutter contre leur
expropriation, obtenir leurs droits
humains, politiques et sociaux, non
pas parce qu’ils ont foi dans cette
entité, mais parce qu’ils se
considèrent chez eux, dans leur
patrie, témoins vivants de
l’histoire de la Palestine. C’est dans ce
contexte qu’il faut comprendre la
participation des Palestiniens de 48
aux élections de la Knesset, malgré
l’avis de plus en plus partagé sur
la nécessité de les boycotter. Après
la Nakba en 1948, seul le parti
communiste israélien, qui se
proclame anti-sioniste mais qui a
reconnu le plan de partage de l’ONU
en 1947, se présente comme «
défenseur des intérêts des masses
arabes » dans l’Etat colonial
fraîchement fondé. La reconnaissance
par les partis communistes arabes du
plan de partage et par conséquent,
de l’existence de l’Etat sioniste,
par allégeance au grand frère
soviétique, entraînera leur mise à
l’écart par les sociétés arabes
pendant des décennies et causera les
multiples scissions et crises
internes vécues par ces partis. Le
parti communiste « israélien »
n’échappe pas à ces crises et
scissions, jusqu’à devenir
aujourd’hui composé en majorité de
Palestiniens et considéré comme
faisant partie de la mouvance
nationale palestinienne dans les
territoires occupés en 1948. De
plus, c’est ce parti qui a accueilli
tous les Palestiniens nationalistes
dans les années 50 et 60, désireux
de lutter « légalement » contre
l’entité coloniale, lorsque les
dirigeants sionistes ont banni toute
expression palestinienne arabe
nationale et expulsé plusieurs de
ses porte-parole, comme le poète
Mahmoud Darwish. Cependant, le poète
et écrivain Tawfiq Ziyyad, maire et
député de Nasra à l’époque de la
Journée de la Terre le 30 mars 1976,
fut l’une des principales figures du
parti communiste, dans sa version
nationale palestinienne.
Panorama des
partis palestiniens participant à la
Knesset sioniste Jusqu’à la première
intifada en 1987, le parti
communiste fut le seul parti à
représenter les « intérêts des
masses arabes » à la Knesset, contre
les partis sionistes, malgré la
formation de partis électoraux de
gauche, qui eurent du mal à se
maintenir. Il fut représenté à la
Knesset sioniste par trois ou quatre
députés, pendant toutes ces années,
obtenant entre 20% et 51% (en 1977
où il obtient 5 sièges) de
l’électorat palestinien, et c’est en
1977 qu’il forme le « Front
démocratique pour la paix et
l’égalité » (Front). Il réclame,
dans ses luttes et son programme
électoral, l’égalité des droits pour
tous les « citoyens » dans l’Etat
d’Israël. Il réclame la formation
d’un Etat palestinien sur les
frontières de juin 1967 (Cisjordanie
et bande de Gaza) aux côtés d’un
Etat d’Israël débarrassé du
sionisme. Mais s’il se bat pour le
retour des réfugiés « internes »
(les Palestiniens déplacés de leurs
terres et propriétés mais qui sont
demeurés dans l’Etat sioniste) à
leurs villages et bourgs d’origine,
le retour des réfugiés expulsés de
Palestine en 1948 ne fait pas partie
de son programme. Aux dernières
élections en 2009, le Front a obtenu
3 sièges à la Knesset (deux
palestiniens arabes et un israélien
juif). En 1988, en pleine
Intifada, le « parti arabe
démocratique » est fondé par Abdel
Wahab Darawshé, député transfuge du
parti travailliste sioniste, pour
protester contre la répression
sauvage de l’Intifada palestinienne.
C’est le premier parti composé
uniquement de Palestiniens à entrer
dans l’arène politique, celle de la
Knesset, et son programme politique
ne diffère en rien de celui du parti
communiste, mais les analystes le
classent comme le parti représentant
la nouvelle « bourgeoisie »
palestinienne de l’intérieur !! Son
représentant actuel est Talab Sane’,
du Naqab. En 1996, le parti s’allie
avec le mouvement islamique (branche
sud) pour former la « liste arabe
unifée » qui obtient, depuis, 4
sièges à la Knesset, représentant
près de 10% de l’électorat
palestinien. Les accords d’Oslo
signés en 1993 entre l’OLP et l’Etat
de l’occupation va transformer le
paysage politique palestinien dans
l’Etat colonial. Du côté du
mouvement nationaliste, le «
Rassemblement national démocratique
» se constitue en 1996 à partir de
la fusion de plusieurs formations de
gauche et nationalistes, dont « la
Charte pour l’égalité » dirigée par dr. Azmi Bishara. Quant au mouvement
Abna’ al-balad, il fait scission,
quelques-uns de ses cadres (‘Awad
Abdel Fattah) rejoignent le
Rassemblement et les autres
poursuivent le chemin tracé, celui
du refus de participer aux élections
de la Knesset. Le « Rassemblement »
se présente comme un parti
nationaliste et démocratique, et se
bat pour une société palestinienne
autonome à l’intérieur de l’Etat
colonial. Il critique la position du
parti communiste qui se contente de
réclamer l’égalité de tous les
citoyens, considérant que
l’affirmation de l’identité
nationale palestinienne permet de
revendiquer des droits nationaux
légitimes. Bien qu’il se soit formé
en adversaire du « Front », le «
Rassemblement » mènera sa première
bataille électorale en alliance avec
lui, propulsant dr. Azmi Bishara à
la Knesset. Entre 1996 et 2012, les
positions du Rassemblement évoluent,
il réclame dorénavant « l’Etat de
tous ses citoyens » avec l’espoir de
pouvoir transformer la société
coloniale, et le retour des réfugiés
palestiniens à leur terre et leurs
biens. Mais c’est par son dynamisme
et par les débats idéologiques et
politiques qu’il suscite, que le «
Rassemblement » s’est distingué,
depuis sa formation. Il a obtenu
trois sièges lors des dernières
élections de la Knesset.
Aujourd’hui, l’une de ses candidates
qui a déjà un siège à la Knesset,
Hanine Zo’bi, risque de voir sa
candidature refusée par la
commission électorale de la Knesset
sioniste. Du côté du mouvement
islamique, qui se développe depuis
dans les années 70, les retombées
des accords d’Oslo sont
catastrophiques, puisqu’il fait
scission en 1996, date prévue pour
les élections de la knesset. La
branche sud dirigée par un des
fondateurs du mouvement, Abdallah
Nimr Darwish, souhaite participer et
même envoyer des candidats, alors
que la branche nord, dirigée par
sheikh Raed Salah et sheikh Kamal
Khatib, refuse net toute
participation à la vie politique
sioniste. Si les élections de la
knesset furent l’occasion de cette
scission, des études approfondies
font remonter les divergences
politiques au sein du mouvement
islamique au tout début, lorsque le
dirigeant Abdallah Nimr Darwish,
emprisonné pour avoir soutenu des
actions « terroristes », se repent
dès sa libération et commence à
accepter l’idée de la formation d’un
Etat palestinien aux côtés de l’Etat
sioniste, dont il ne remet plus en
cause la légitimité, tout en le
voulant « non-sioniste ». En 1996,
la branche sud du mouvement
islamique s’allie au « parti arabe
démocratique » pour former « la
liste arabe unifiée », qui a obtenu
4 sièges à la Knesset, dont l’un au
parti islamique. Afin d’être membres
de la Knesset sioniste, les
candidats élus doivent prêter un
serment d’allégeance envers l’Etat
sioniste, promettant de ne pas
remettre en cause la nature « juive
et démocratique » de cet Etat.
La liste unique
et le haut comité représentatif des
masses arabes Au cours et après
les précédentes élections, qui ont
assisté à une très forte baisse du
nombre des votants arabes, plusieurs
études ont souligné que les masses
arabes souhaitaient une liste arabe
unifiée de tous les partis, et ce
pour plusieurs raisons : d’abord,
une liste unifiée pouvait remporter
plus de sièges et peser sur les
décisions de la Knesset en faveur
des Palestiniens, ensuite, les
revendications présentées par les
listes arabes concurrentes sont à
peu près les mêmes : refus du
sionisme et du racisme inhérent,
défense des droits des Palestiniens,
à la terre, au travail, à la santé
et à l’éducation, défense des
villages non-reconnus dans al-Naqab
et contre les mesures de nettoyage
ethnico-religieux, défense des sites
religieux musulmans et chrétiens.
Les sondages d’opinion avaient
nettement montré qu’une liste
unifiée de tous les partis arabes
aurait permis de baisser le taux
d’abstention qui a atteint les 47%
en 2009. Malgré ces études et
ces sondages, les partis arabes
n’ont pas réussi à former cette
liste, pour raisons politiques,
idéologiques ou personnelles, en vue
des prochaines élections. Certaines
personnalités refusent de
s’éclipser, notamment celles qui ont
pris l’habitude de siéger dans cette
institution coloniale. Par ailleurs,
il semble que le parti communiste
refuse de faire alliance avec « la
liste unifiée » qui comprend un
membre du mouvement islamique, et
vice-versa. Le Rassemblement, quant
à lui, a clamé haut et fort son
désir de former cette liste unique,
disant qu’il n’y avait pour lui
aucune ligne « rouge », ni celle
représentée par le Front et son
candidat israélien, ni celle
représentée par le mouvement
islamique. Mais telle n’était pas la
position du Rassemblement lors des
élections en 2009, où il avait mis
plutôt l’accent sur la nécessité
pour les partis de mettre en avant
leurs revendications spécifiques. Les mouvements et
les personnalités qui refusent la
participation à ces élections
soutiennent depuis plusieurs années
que l’existence du « haut comité
représentatif des masses arabes »
(al-Lujna al-Ulya) permet de faire
l’impasse de la Knesset en le
transformant en institution
représentative et élue par les
Palestiniens. Sans vouloir détailler
l’histoire et la formation de ce
haut comité, il suffit de savoir que
depuis l’intifada al-Aqsa, son rôle
s’est élargi, grâce à sa
participation aux mouvements de
protestation. Depuis plusieurs
années déjà, des personnalités et
des partis élèvent la voix pour que
le haut comité soit réformé et qu’il
puisse être directement élu par les
masses arabes, au lieu d’avoir une
partie de ses membres désignée par
les partis arabes. Le parti
communiste qui est largement
représenté dans ce haut comité
(puisqu’il rassemble également les
maires arabes élus) refuse les
réformes proposées, d’abord pour ne
pas perdre sa place et ensuite,
parce qu’il considère qu’il s’agit
d’une mesure « séparatiste » envers
l’Etat sioniste. Pour le mouvement
islamique (nord) et le mouvement Abna’ al-Balad, seul un haut comité
réformé pourrait représenter la
volonté populaire des Palestiniens
de 48. En attendant qu’une telle
réforme puisse avoir lieu, le haut
comité n’est qu’un organe
supplémentaire représentant les
Palestiniens, sans véritable
pouvoir, bien qu’il ait formé des
commissions qui essaient, avec les
associations civiles, de défendre
les droits des Palestiniens dans
l’éducation notamment, d’empêcher la
destruction des maisons et des
villages, de soutenir les
prisonniers et de défendre les
personnalités poursuivies.
La première partie
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