Opinion
Citoyenneté en
situation coloniale :
pour ou contre le vote arabe à la
Knesset sioniste ? (1)
Fadwa Nassar
Juin 2010
- Haneen Zoabi (à dr.) insultée et
agressée par des membres israéliens de
la Knesset sioniste
alors qu'elle fait
le récit du massacre perpétré sur le Mavi Marmara
Vendredi 21 décembre
2012 Mme Hanine Zo’bi a
été interdite de participation aux
élections de la Knesset sioniste.
C’est ce qu’a annoncé la
commission
électorale de cette même Knesset,
dans une mesure « punitive » contre
la député du Rassemblement national
démocratique, parti palestinien dans
les territoires occupés en 1948.
Hanine Zo’bi, candidate du même
parti aux prochaines élections
sionistes, qui devraient se tenir en
janvier 2013, a riposté à la
décision : « notre légitimité est
issue des masses palestiniennes et
non de la Knesset et de ses
commissions ». Le Rassemblement
national démocratique a décidé de
faire appel à cette décision,
soutenu par les autres partis
palestiniens participant à ces
élections. Mme Hanine Zo’bi a
été « punie » par la commission
électorale à cause de sa
participation, aux côtés d’autres
dirigeants palestiniens de 48
(Sheikh Raed Salah, M. Mohammad
Zeydan, entre autres) à « la
flottille de la liberté » qui avait
pour mission de briser le blocus
meurtrier contre la bande de Gaza,
en 2010. Par cette décision, la
Knesset et ses commissions prouvent
la limite de la démocratie sioniste,
démocratie coloniale dessinée pour
les colons juifs qui ont envahi la
Palestine à partir du début du XXème
siècle et qui ont fondé, sur les
ruines de la Palestine et au
détriment du peuple palestinien, une
entité coloniale, l’Etat d’Israël. Les libéraux
sionistes ont, bien sûr, critiqué la
décision d’écarter Hanine Zo’bi,
alors que la majorité des colons
l’ont approuvée, jugeant qu’il est
nécessaire d’interdire toute
expression palestinienne autonome à
l’intérieur de la colonie sioniste,
et surtout toute expression de
solidarité avec les « terroristes »
palestiniens des territoires occupés
en 1967. Le quotidien sioniste
libéral Haaretz écrit que
dorénavant, il ne sera plus possible
pour Israël de proclamer qu’il est
le seul pays démocratique dans la
région, d’autant plus que le
Rassemblement national démocratique
a déclaré qu’il se retirerait des
élections si la candidature de
Hanine Zo’bi était refusée. Il faut
cependant rappeler que ce n’est pas
la première fois que la commission
électorale de cette institution
sioniste prend une telle décision
contre des candidats palestiniens
(arabes), et à chaque élection, il a
fallu, pour les décideurs, de
mesurer le pour et le contre,
faut-il autoriser tel ou tel
candidat à participer aux élections
de la Knesset, au risque de voir
s’évanouir l’image d’une démocratie
modèle ? Car l’Etat sioniste se
présente comme une démocratie modèle
aux yeux de l’Occident puisque « ses
minorités nationales et religieuses
» participent aux élections
législatives, votent pour des
candidats même « extrémistes » qui
siègent aux côtés de toutes les
formations politiques de l’entité.
De plus, la participation des
Palestiniens de 48 aux élections de
la Knesset permet de rejeter
l’accusation « sournoise » véhiculée
par les « antisémites » que l’Etat
sioniste est un Etat d’apartheid
puisque, contrairement aux habitants
autochtones de l’Afrique du Sud qui
étaient interdits de vote et de
candidature, les Palestiniens de 48
bénéficient de ces droits dans
l’Etat colonial sioniste.
La participation
palestinienne (arabe) à la Knesset
massivement contestée Si les sionistes,
libéraux ou fascistes, discutent de
la meilleure façon de tirer parti de
la présence palestinienne dans leur
patrie occupée, les Palestiniens de
48 ont décidé, de plus en plus
massivement, de ne plus participer à
ce qu’ils considèrent comme une
mascarade démocratique. De plus en
plus de Palestiniens ont réalisé que
la participation aux élections
législatives dans l’Etat sioniste,
soit par leur vote soit par leur
candidature, ne sert qu’à légitimer
une institution considérée comme
étant la plus agressive contre les
droits des Palestiniens, qu’ils
soient dans les territoires occupés
en 1948 ou en 1967 ou en exil. De
vifs débats opposent les
Palestiniens de 48 depuis que les
statistiques officielles et moins
officielles ont montré que plus de
47% des Palestiniens de 48 n’ont pas
participé aux précédentes élections
législatives (2009) pour des raisons
« idéologiques » ou « politiques ».
Cette proportion des Palestiniens à
refuser de participer aux élections
est en constante hausse comme en
témoignent les taux suivants : alors
que 25% des Palestiniens de 48 ne
participaient pas à ce jeu électoral
en 1999, leur nombre est passé à 38%
en 2003, puis à 44% en 2006 pour
atteindre les 47% en 2009. Au même
moment, et pour couper court à tous
ceux qui accusent les « boycotteurs
» d’être des « citoyens
irresponsables », le taux de vote
pour les candidats sionistes a
fortement baissé, passant de 35% en
1996 à 18% en 2009. Ce qui signifie
en clair, d’après ces taux officiels
repris par les différentes études,
que les Palestiniens de 48 refusent
les partis sionistes et que le refus
de voter n’est pas synonyme d’ «
apolitisme », au contraire, et
qu’ils ont décidé, délibérément, de
boycotter les élections à la Knesset
sioniste, pour raisons «
idéologiques » (refus de l’Etat
colonial et de ses institutions) et
« politiques » (déception envers les
partis arabes y participant et
préférence pour une liste arabe
unie). C’est surtout depuis
l’Intifada al-Aqsa en 2000 que le
boycott des institutions sionistes,
et notamment la Knesset, a pris de
l’ampleur. Plusieurs facteurs y ont
contribué : les Palestiniens de 48
ont réalisé la fragilité du
processus « de paix » initié par les
accords d’Oslo, où ils étaient
censés devenir des « citoyens » à
part entière dans l’Etat colonial.
Mais la tuerie de 13 Palestiniens de
48 au mois d’octobre 2000 et les
actes de vandalisme de la part des
colons contre les propriétés des
Palestiniens et les villes
palestiniennes comme Nasra, dans al-Jalil,
et les assassinats de plusieurs «
citoyens arabes » par la police
sioniste, ainsi que l’exacerbation
du racisme sioniste à leur encontre,
ont mis fin à l’illusion d’un
règlement « historique » entre
Palestiniens de 48, citoyens de
l’Etat sioniste, et l’Etat colonial
et ses colons, qui réclament leur
reconnaissance en tant qu’Etat «
juif et démocratique ». De plus en
plus de Palestiniens de 48 jugent
que cet Etat colonial est voué à
disparaître car il ne peut survivre
dans un environnement arabe, qui tôt
ou tard, deviendra indépendant,
libre et souverain, et le racisme
exacerbé de la société coloniale,
qui vit une crise d’identité en tant
que minorité juive installée dans
une « mer arabe », contre et aux
dépens de la société palestinienne,
ne fait que précipiter sa
disparition. Le mouvement de
boycott des élections de la Knesset
s’est peu à peu institutionnalisé,
avec la formation du « Comité
d’initiative pour le boycott des
élections à la Knesset », mouvement
indépendant des partis arabes et
regroupant diverses personnalités,
politiques, académiques,
journalistes et écrivains. Mais
avant même la constitution de ce
comité, deux mouvements politiques
palestiniens avaient affirmé, et
affirment toujours, leur position
négative envers ces élections : le
mouvement Abna’ al-Balad, dont l’un
des principaux dirigeants est
actuellement en prison, Mohammad
Kana’na, et le mouvement islamique
(branche nord) dirigé par Sheikh
Raed Salah. Si le mouvement
islamique refuse d’appeler au
boycott et se contente de refuser
d’y participer, le mouvement Abna’
al-Balad appelle au boycott à partir
de considérations nationales. Dans un débat
organisé par le centre palestinien I’lam, dont le siège se situe à
Nasra, entre les parties favorables
au boycott et celles qui appellent à
la participation arabe aux élections
de la Knesset, les arguments des uns
et des autres ont été librement
exposés : ceux qui appellent à la
participation (Front démocratique,
proche du Parti communiste et
Rassemblement national démocratique,
dans ce débat) considèrent qu’il
faut utiliser cett tribune (la
Knesset) pour élever la voix des
Palestiniens et s’opposer aux
mesures « fascistes » des partis
sionistes. Ils ont souligné que leur
participation à ces élections ne
signifie nullement leur abandon de
la lutte populaire, à laquelle ils
participent massivement, mais que la
présence arabe à la Knesset sert à
amplifier l’écho de ces luttes dans
le monde. Ces arguments ont été
refusés par ceux qui appellent au
boycott, qui soulignent quant à eux
que la participation à ces élections
depuis les années 50 (le parti
communiste principalement) n’a donné
aucun résultat jusqu’à présent pour
les masses arabes, au contraire,
elle a servi à légitimer les mesures
racistes et coloniales prises par
cette institution. Par ailleurs,
ajoutent-ils, la participation arabe
(palestinienne) à la Knesset
crédibilise, aux yeux de l’opinion
publique mondiale, la démocratie de
l’Etat sioniste qui commercialise
cette image pour poursuivre sa
politique raciste et coloniale
envers les Palestiniens et les
peuples arabes. Quoiqu’il en soit,
la bataille entre boycotteurs et
participants bat son plein dans le
milieu palestinien des territoires
occupés en 48. La décision prise par
la commission électorale de la
Knesset, de rayer la candidature de
Mme Hanine Zo’bi montre, s’il le
faut encore, que la société
coloniale en crise, hésite entre le
rejet total de « ses » Palestiniens
et de leur expression politique
autonome, et entre leur «
israélisation » soit leur
intégration dans la colonie, en tant que
minorité marginalisée et pillée. Mais
l’essentiel reste à savoir ce que
veulent les Palestiniens, détenteurs du
droit à vivre dans leur patrie occupée.
Le deuxième partie
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