Opinion
Le Naqab arabe
palestinien
Fadwa
Nassar
Samedi 15 juin
2013 Une manifestation
rassemblant des milliers de
Palestiniens du Naqab avec la
participation de toutes les forces
politiques palestiniennes du pays,
s’est déroulée dans la ville de Beer
Saba’, jeudi 13 juin. Les
manifestants réclamaient la
suppression du dernier plan colonial
concocté par l’institution sioniste,
consistant à expulser près de 70.000
Palestiniens du Naqab et à détruire
leurs villages, en vue d’installer
des colonies juives. Parmi les
manifestants, deux jeunes filles
appartenant au « mouvement de la
jeunesse dans les territoires
occupés en 48 » ont brandi le
drapeau palestinien sur le parterre
d’un bâtiment administratif
(construction palestinienne datant
du début du Xxème siècle que les
sionistes ont confisqué) pour
affirmer que les Palestiniens vivant
dans la colonie sioniste, qu’ils
soient bédouins, villageois,
citadins, ou musulmans ou chrétiens,
ou druzes ou tcherkesses, sont avant
tout des Palestiniens, soumis à une
occupation coloniale. Ce n’est pas la
première fois que les Palestiniens
vivant dans les territoires occupés
en 1948 affirment leur identité
palestinienne, et notamment depuis
l’Intifada al-Aqsa et la révolte
d’octobre 2000, qui sont des dates
charnières où les Palestiniens ont
rejeté et refusé toute politique
visant leur « israélisation »,
c’est-à-dire leur « intégration dans
la société coloniale juive », prônée
par les sionistes libéraux. Même si
les partis politiques agissant dans
ces territoires participent plus ou
moins à des institutions coloniales,
comme le Knesset (parlement des
sionistes), ils revendiquent
cependant leur identité
palestinienne et arabe, plus
culturellement que politiquement. Cependant, la
présence du drapeau palestinien dans
le Naqab au cours de cette
manifestation, qui n’a, semble-t-il,
pas été unaniment approuvée, est une
réponse précisément à tous les
courants politiques, notamment des
sionistes « de gauche » et
« repentis », qui ont pris le Naqab
et sa population pour leur nouveau
cheval de bataille. Selon Thabet Abou
Ras, chercheur palestinien au centre
Adalah (centre juridique de défense
des Palestiniens de 48), qui est du
Naqab, la population arabe du Naqab
tient à son identité palestinienne,
d’autant plus que depuis 1967, les
rapports avec la bande de Gaza et de
la région d’al-Khalil, en
Cisjordanie, se sont raffermis,
entre autres par les alliances
matrimoniales. Il faut aussi dire
que la population du Naqab s’est
particulièrement distinguée, depuis
cette date (puisqu’elle vivait avant
sous régime militaire et empêchée de
se déplacer) dans ses alliances
matrimoniales avec les réfugiés du
Naqab vivant en Jordanie, à Gaza ou
en Egypte, afin de les faire revenir
au pays. Il ajoute que les bédouins
du Naqab ont massivement refusé
d’intégrer les services sécuritaires
sionistes (armée et police), malgré
leur pauvreté, due à leur
dépossession après 1948. Cela n’a
été qu’un phénomène marginal, à la
différence des bédouins vivant dans
en Galilée ou d’autres régions, même
si dans l’ensemble, la participation
des bédouins palestiniens aux
institutions sécuritaires est resté
marginal, malgré ce qu’affirme la
propagande sioniste. Il faut ajouter que
la population du Naqab n’a pas du
tout été « intégrée » dans la
société coloniale, puisqu’elle n’y a
vu que dépossession et racisme,
notamment lorsque l’institution
sioniste a parqué des dizaines de
milliers d’entre eux, dépossédés,
dans sept « villes-dortoirs »,
symbole de leur marginalisation.
Elle fut également marginalisée
pendant très longtemps par les
formations politiques
palestiniennes, prises par une
idéologie moderniste mais
fondamentalement néo-coloniale, qui
n’avaient pas compris ni insisté sur
l’enjeu colonial de la construction
des « villes-dortoirs », ni compris
l’insistance des bédouins à vouloir
vivre dans leurs villages,
majoritairement dispersés dans la
partie nord du Naqab. Ces villages
que l’Etat colonial a refusé de
reconnaître, abritent des dizaines
de milliers de Palestiniens, qui
cultivent leurs terres même
lorsqu’elles sont confisquées et qui
promènent leurs troupeaux, malgré
les interdictions et les menaces des
autorités de l’occupation. Ce sont
eux qui sont à présent menacés par
le nouveau plan Prawer, pour faire
place à des colonies militaires ou
militarisées. Si depuis 2000,
quelques villages non reconnus ont
acquis le statut de villages, à
cause de la lutte persévérante de la
population du Naqab et de la
mobilisation des Palestiniens de 48
dans leur ensemble, une trentaine de
villages, dont al-Araqib détruit
plus de 50 fois en 2 ans, sont, aux
yeux, de la société coloniale, des
villages « illégaux », qui ne sont
pas reliés à l’électricité ni à la
compagnie d’eau, dont les routes y
menant ne sont pas pavées et où les
enfants et adolescents sont obligés
de marcher des kilomètres avant
d’atteindre leurs écoles, dans le
froid ou sous la chaleur. Bien que l’identité
palestinienne ne puisse pas être
niée, au Naqab ou ailleurs en
Palestine occupée, certains courants
sionistes de « gauche » ou des
«sionistes repentis » ont trouvé le
moyen de défendre les Bédouins du
Naqab contre leur dépossession, tout
en restant dans le cadre colonial,
sous le label de « populations
autochtones ». Selon plusieurs
études récentes, la population du
Naqab serait une « population
autochtone » vivant en « Israël »,
dont il faut protéger le mode de
vie, de culture, un peu comme les
populations autochtones
« indiennes » dans les Amériques
furent protégées après leur
massacre. C’est-à-dire, en somme, on
envahit un pays, on expulse sa
population, on nie son identité puis
on utilise ce qui en reste pour
affirmer le caractère « multi-culturel
et multi-ethnique » d’un Etat
colonial, que l’on ne remet pas
fondamentalement en cause, juste
quelques-uns de ses « excès ». De
plus, non seulement on utilise sa
culture, mais on insiste sur la
« bédouinité », tout comme ailleurs
certains ont insisté sur une
« indianité » issue de leur
imagination coloniale. Soutenir la
population du Naqab contre sa
dépossession dans ce cadre revient à
justifier ce qui est appelé
« Israel-Palestine », pour refuser
la Palestine, qui recouvre toute la
terre « allant du fleuve (le
Jourdain) à la mer et de Naqura à
Umm al-Rashrash ». Si certains
chercheurs palestiniens se sont
engouffrés un moment dans ce label
« populations autochtones », croyant
qu’une telle catégorisation pouvait
mieux attirer l’attention sur les
menaces qui pèsent sur la population
du Naqab, ils ont vite compris le
danger de morcellisation du peuple
palestinien qu’ils opéraient, aux
côtés d’une catégorie de sionistes
pour qui l’Etat colonial est
légitime. De multiples
associations « mixtes »,
« judéo-arabes » ou tout simplement
juives « israéliennes » se sont
lancées ces derniers temps dans le
soutien à la population du Naqab, en
tant que « minorité autochtone »
devant être protégée des visées de
l’institution. Le problème, c’est
que cette population n’est pas une
minorité, loin de là, quand les
réfugiés reviendront (en 1948, seul
un dixième de la population du Naqab
est restée au pays), et qu’elle fait
partie d’un ensemble plus vaste, les
Palestiniens, qui ne sont pas non
plus minoritaires dans l’Etat
colonial quand les réfugiés
reviendront. La population du Naqab,
bédouine, paysanne ou citadine, est
arabe palestinienne et avec tous les
Palestiniens, vivant en Palestine ou
dans l’exil, ils sont le peuple
autochtone de Palestine. Prétendre
le contraire, c’est participer aux
tentatives de diviser et de morceler
le peuple palestinien, afin de
justifier l’entreprise sioniste et
participer à sa survie.
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