Palestine
Lettre ouverte à
l'écrivain algérien Boualem Sansal
Fadwa
Nassar
Boualem
Sansal
Mardi 12 juin 2012 Monsieur, Vous vous êtes
récemment rendu en Palestine
occupée, pour participer à une
rencontre soi-disant culturelle
organisée par l’entité coloniale
sioniste, dans un élan inspiré par
votre vision du « printemps arabe »,
vision qui rejoint celle de Barak
Obama, Hilary Clinton, et tous les
chefs d’Etat et leurs ministres
occidentaux, dont les mains sont
tâchées du sang des peuples arabes.
Vous n’ignorez certainement pas que
l’Etat sioniste, ses institutions et
ses colons, son armée et ses
services de renseignements, ses
médias et ses associations
culturelles ou écologiques,
participent à une des plus grandes
opérations coloniales et
mystificatrices dans le monde, et
l’invitation que vous avez eu le «
courage » d’honorer fait partie de
cet effort colonial de normaliser la
présence et la vie de cet Etat.
Vous vous êtes rendu
en Palestine occupée (Israël) et
avez brillamment manifesté votre
solidarité avec les colons, qui
poursuivent le nettoyage
ethnico-religieux d’une des villes
les plus prestigieuses du monde, la
ville arabo-musulmane d’al-Qods.
Vous ne devez pas ignorer, malgré
votre haine de l’islam et des
musulmans (que les sites sionistes
français n’hésitent pas à encenser)
que des centaines de milliers de
Maqdisis (les Palestiniens
originaires de cette ville) ont été
expulsés loin de leur ville natale,
et ce depuis 1948. Des quartiers et
des villages entiers furent rasés,
et les colons fraîchement débarqués
ont envahi les quelques maisons
palestiniennes encore debout d’où
avaient été chassés leurs
propriétaires, par la force des
armes et sous le regard attendri des
soldats britanniques. Vous devez
savoir que le lieu que vous avez
foulé, la kipa sur votre tête, en
signe de collaboration avec les
criminels sionistes, fut un quartier
arabe, rasé en 1967, juste après son
occupation. Des centaines de maisons
et de boutiques furent rasés pour
installer ce que les criminels des
temps modernes appelent l’esplanade
du « mur des lamentations », qui est
en fait un des murs de la mosquée
al-Aqsa (mais cela, vous n’en avez
cure, votre haine de l’islam est
assez vivace pour vous empêcher de
regretter la destruction d’un des
hauts lieux de l’islam). Leurs
propriétaires et locataires vivent
aujourd’hui, en majorité, dans le
camp de She’fat, que vous n’avez pas
eu le courage de visiter, camp de
réfugiés aux portes d’al-Qods, pas
très éloigné du tram que vous avez
emprunté avec vos amis, et que
l’Etat colonial vient d’encercler
par un mur en plus des postes
militaires, pour empêcher les
Palestiniens de se rendre à al-Qods,
pour y travailler et étudier. Vous
ignorez peut-être ce que la presse
sioniste (Haaretz) vient de
décompter : un quart de million de
Palestiniens ont été expulsés en
douce, depuis 1967, par l’entreprise
coloniale qui vous a invité.
L’Etat colonial qui
vous a invité à de ses colloques,
dans une tentative de se « blanchir
» et de dessérer l’étau qui commence
à l’étouffer, poursuit la guerre
contre les Palestiniens qui vivent
dans leur patrie, occupée en 48, et
que les sionistes ont nommée «
Israël ». Vous devez sans doute
ignorer le nettoyage
ethnico-religieux qui se poursuit
dans la région d’al-Naqab, au sud,
là où un plan vient d’être adopté
pour expulser plusieurs dizaines de
milliers de Palestiniens, soit
disant « envahisseurs » de leurs
terres ancestrales. Vous devez
ignorer que des murs d’apartheid
sont construits dans les villes
appelées « mixtes » (parce que la
majeure partie de leur population
palestinienne a été expulsée en 48
et que les colons ont envahies) pour
séparer les quartiers juifs des
quartiers encore palestiniens. Vous
devez ignorer que le plan de
judaïsation d’al-Jalil et d’al-Naqab,
que vos amis sionistes appellent «
plan de développement » est né de la
crainte des colons de l’expansion
démographique des « Arabes », jugée
« menace stratégique » par vos amis.
Vous devez sans
doute ignorer que nous sommes onze
millions de réfugiés qui attendons
l’application de notre droit, celui
de retourner dans notre patrie
spoliée, occupée, colonisée et
transformée en Etat colonial
menaçant la paix dans la région et
dans le monde. Nous n’abandonnerons
jamais notre droit ni notre terre.
Que le monde entier se ligue contre
nous, et il s’est ligué contre nous
en 1948, rien n’y fera : nous
exigeons notre retour et notre droit
à l’auto-détermination sur notre
terre, la Palestine. Ce ne sont ni
les massacres commis par vos amis
sionistes, depuis l’occupation
britannique jusqu’à présent, ni les
guerres supersoniques déclenchées
avec l’aide des USA et de l’Europe,
ni la lâcheté de la communauté
internationale, ni la collaboration
de tous les écrivains et romanciers
comme vous qui nous empêcheront de
réclamer notre droit et de lutter
pour y parvenir. Ni la sauvagerie de
vos amis sionistes, ni leurs récits
mystificateurs, ni leur fourberie,
ne masqueront la vérité : la
Palestine, du fleuve à la mer, est
la patrie des Palestiniens.
Vous avez prétendu,
dans vos interviews, que l’Algérie
n’est pas en guerre contre « Israël
», donc, en tant qu’Algérien, vous
avez le droit de vous rendre dans
cet Etat, invité par ses dirigeants.
D’abord, si l’Algérie n’est pas en
guerre contre « Israël », le peuple
algérien, lui, est en guerre, et
depuis qu’il a mené sa lutte de
libération contre le colonialisme
français. Car depuis cette date, le
cœur du peuple algérien bat pour la
Palestine. Ses volontaires pour la
guerre en 48, ses volontaires dans
les rangs de la résistance
palestinienne depuis 1968, et ses
volontaires dans la bande de Gaza
aujourd’hui témoignent de son
alignement sans détour aux côtés de
ses frères palestiniens. Et c’est
pour cela que l’Etat algérien ne
peut normaliser ses relations avec
l’ennemi, malgré toutes les
pressions exercées par la France et
ses amis sionistes. Et il en est de
même pour le peuple tunisien, et
pour le peuple égyptien qui se sont
débarrassés des dirigeants amis des
criminels sionistes.
Vous avez affirmé,
dans vos interviews, rêvé de
rencontres entre Palestiniens et «
Israéliens », mais vous devez savoir
que ces rencontres ont lieu tous les
jours et à tous les instants en
Palestine : aux barrages qui
morcèlent la Cisjordanie, dans les
rues d’al-Qods envahies par les
hordes des colons, dans les prisons
où les Palestiniens et leurs
familles venues les visiter sont
humiliées, par des fouilles à nu, et
où les médecins sionistes secondent
les services de renseignements pour
arracher des « aveux ». Nous les
connaissons, monsieur Sansal,
lorsqu’ils montent dans des cars,
armés jusqu’aux dents, et qu’ils
vident leurs chargeurs sur la tête
de nos parents et de nos sœurs,
comme cela a eu lieu à Shefa ‘Amr
dans al-Jalil, en 2005. Nous les
connaissons, monsieur Sansal, ils
ont récemment envahi la ville de
Akka et leur Etat leur construit des
villes-colonies au milieu de nos
agglomérations. Vous souhaitez nous
voir normaliser avec ces colons
assassins ???
Finalement, vous
avez choisi de répondre à
l’invitation de l’Etat colonial et
vous vous êtes rendu en Palestine
occupée. Vous avez montré ce «
courage » rare qui consiste à
affronter la conscience de son
propre peuple, même si c’est pour
une mauvaise cause. De l’autre bord,
un écrivain, un vrai, celui-là,
Gunther Grass, a décidé d’affronter
les criminels, même si son propre
peuple ne s’est pas encore
entièrement débarassé d’un sentiment
de culpabilité, sciemment entretenu
par vos amis sionistes. De l’autre
côté aussi, un autre écrivain,
Henning Mankell, a affronté les
criminels en se rendant à Gaza, pour
briser le blocus meurtrier et
inhumain qui frappe un million et
demi d’êtres humains. En faisant le
parallèle entre votre démarche et
celle de ces deux écrivains
courageux, je ne peux que vous
placer, parce que vous êtes algérien
et que vous avez été invité en tant
que tel par l’Etat sioniste, dans la
catégorie des « peaux noires,
masques blancs », si bien décrite
par Frantz Fanon.
Finalement, vous
prétendez avoir reçu des menaces du
Hamas pour le geste déshonorant
commis en vous rendant en Palestine
occupée, ce qui est faux et
archi-faux, mais comme vos amis
sionistes, vous aimez vous faire
passer pour une victime, pour
précisément cacher votre crime.
Nous, Palestiniens, victimes de
l’entreprise coloniale sioniste,
connaissons parfaitement la chanson.
Et en voulant collaborer avec les
criminels des temps modernes que
sont les sionistes, vous ne pouvez
pas ne pas assumer votre geste. Le
prix de littérature qui vous a été
refusé est une réponse à la mesure
de votre geste collaborateur. Vous
ne pouvez pas manger à tous les
râteliers. Vous êtes soit dans un
camp, soit dans l’autre. Nous sommes
en guerre, monsieur, nos martyrs
sont à peine enterrés et nos
prisonniers souffrent des
traitements inhumains que leur font
subir vos amis, tout comme notre
terre est encore occupée, et nous,
les réfugiés, attendons notre
retour. Avant de finir,
transmettez à vos amis que nous
retournerons chez nous, par la grâce
de Dieu et avec Son aide, dans nos
villages et bourgs d’al-Jalil et du
reste de la Palestine, dans nos
villes de Haïfa, Yafa et Akka et al-Qods,
et les autres, et que rien ne pourra
nous en empêcher. A ce moment, vous
ne serez pas le bienvenu en
Palestine libérée. Fadwa Nassar
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