7 novembre 2008
RFI :
Le FMI a décidé d’aider plusieurs pays européens comme
l’Islande, l’Ukraine et aujourd’hui la Hongrie, avec des prêts
conséquents. Pourquoi ces pays-là selon vous ?
Eric
Toussaint : En fait, il faut savoir que le FMI est en
pleine crise, il est très affaibli. Jusqu’à l’année passée, il
n’y avait plus qu’un seul client important, à savoir la Turquie.
Alors qu’il y a encore six ou sept ans, le FMI prêtait pour un
montant de plus de 100 milliards de dollars, son portefeuille de
prêts a été ramené, avant cette crise-ci, à quelque chose comme
17 milliards. La crise actuelle va être mise à profit par le
Fonds monétaire international pour octroyer des crédits
importants dans la mesure où le FMI vit des prêts qu’il réalise.
C’est par le prélèvement des intérêts versés par les pays qui
reçoivent ses prêts que le FMI se maintient en activité.
RFI :
Donc, il préfère prêter à des pays qui auront plus de capacité à
rembourser.
Eric T. :
Mais attention, le FMI va également proposer ses services aux
pays du Sud, il n’y a pas de doute là-dessus. Le FMI veut
essayer de reprendre l’initiative par rapport à son
affaiblissement à l’égard d’une série de pays du Sud. Il faut
savoir que plusieurs pays d’Asie et d’Amérique latine ont
remboursé de manière anticipée le FMI au cours des années
précédentes. Le FMI a perdu, dès lors, un moyen de pression sur
ces pays. Il faut s’attendre à ce que le FMI propose un
renforcement de ses prêts à l’Afrique, à l’Amérique latine et à
l’Asie, notamment en disant qu’on a bien besoin de « son »
argent à cause de cette crise. Or il faut savoir que les prêts
du FMI sont conditionnés par l’application de politiques qui,
ont démontré, au cours des vingt dernières années, leur
caractère néfaste. Ces politiques ont été néfastes parce que le
Fond monétaire international, en collaboration avec la Banque
mondiale, exige une ouverture économique très forte des pays du
Sud. Les pays africains, surtout les populations africaines,
savent très bien qu’elles ont été touchées de plein fouet par la
crise alimentaire.
En Afrique, au niveau de la
plupart des habitants, ce n’est pas la crise financière des
banques aux Etats-Unis ou en Europe qui est au centre des
préoccupations ces derniers mois, c’est plutôt le fait que les
prix des aliments ont très fortement augmenté. Les politiques
dictées par le FMI et la Banque mondiale sont directement
responsables de cette augmentation (voir plus loin).
RFI :
Est-ce que vous diriez Eric Toussaint que le FMI est plus souple
avec certains pays qu’avec d’autres ? Au niveau des conditions ?
Eric T. :
Oui, bien sûr. A l’égard de l’Islande ou de pays européens, il
ne va pas poser du tout, les mêmes conditions. Il faut aussi
souligner que le FMI n’a pas exigé des autorités de Washington
qu’elles mettent de l’ordre dans les finances du pays. Pourtant
quand il agit à l’égard des gouvernements des pays du Sud, le
FMI n’hésite pas à tenter d’imposer les mesures économiques
qu’il considère comme les plus appropriées.
RFI :
Donc selon vous, il y a bien une politique à deux vitesses ?
Eric T. :
Absolument, il n’y a pas de doute. D’ailleurs, écoutez, il y a
24 directeurs exécutifs au Fond monétaire international. Sur les
24 directeurs, il y en a seulement 2 pour l’Afrique. Les deux
administrateurs africains représentent chacun plus de vingt
pays. Lorsqu’ils votent, les deux (pris ensemble) représentent
moins de cinq pour cent des voix. Les Etats-Unis, à eux seuls,
ont 17% des voix. La France, à elle seule, a un peu moins de 5%.
C’est-à-dire que la France quand elle vote, a autant de poids
que tous les pays africains réunis. Donc, évidemment il y a deux
poids deux mesures, c’est absolument clair. Il faudrait changer
ça le plus vite possible. C’est une situation intolérable, elle
ne peut pas durer.
RFI :
Est-ce qu’il faudrait réformer l’aide aux pays pauvres quand on
sait que parfois, le problème c’est qu’un pays aidé par le FMI,
s’affiche comme un pays en difficulté et donc il attire la
méfiance des éventuels prêteurs. Est-ce qu’il faudrait être plus
discret dans l’aide que l’on donne aux pays pauvres ?
Eric T. :
Ecoutez, moi je pense qu’il faudrait d’abord rémunérer
correctement les produits exportés par les pays considérés comme
« pauvres » et arrêter de leur recommander des politiques qui
portent préjudice à leurs producteurs locaux. C’est ce que je
voulais dire tout à l’heure à propos de crise alimentaire. Le
Fonds monétaire international et la Banque mondiale ont
convaincu les pays africains de réduire leurs productions
vivrières alors qu’elles garantissaient la souveraineté
alimentaire, la sécurité alimentaire, notamment dans la
production de céréales. Le FMI et la Banque mondiale ont poussé
ces pays à augmenter leurs exportations de thé, de bananes, de
cacao, etc. et à dépendre, pour nourrir leur population, de
leurs importations de riz et de blé à partir de l’Asie et de
l’Europe. Et maintenant, quand ces prix explosent littéralement,
les pays africains se retrouvent complètement au dépourvu, ils
n’ont plus suffisamment de producteurs locaux pour satisfaire la
demande.
Donc ma réponse, c’est : plutôt que de parler d’un peu plus de
générosité, d’ailleurs je questionne cette soit disant
générosité, je pense qu’il faudrait plus de justice à l’égard
des pays africains.
RFI :
Merci à vous Eric Toussaint, président du Comité pour
l’annulation de la dette des pays du Tiers monde, en direct de
Bruxelles. Je rappelle votre ouvrage : 60
questions, 60 réponses sur la dette, le FMI et la Banque
mondiale aux éditions Syllepse à Paris
Note:
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Version éditée par le CADTM