3 novembre 2008
Le
sauvetage des banques et des assurances privées réalisé en
septembre-octobre 2008 constitue un choix politique fort qui
n’avait rien d’inéluctable et qui plombe l’avenir à plusieurs
niveaux décisifs.
Tout d’abord, le coût de
l’opération est entièrement porté à charge des pouvoirs publics,
ce qui entraînera une augmentation très importante de la dette
publique |1|.
La crise capitaliste actuelle, qui durera au moins plusieurs
années, voire une dizaine d’années |2|,
va entraîner une réduction des recettes de l’Etat alors
qu’augmenteront ses charges liées au remboursement de la dette.
En conséquence, les pressions pour réduire les dépenses sociales
vont être très fortes.
Les gouvernements d’Amérique du
Nord et d’Europe ont remplacé un échafaudage branlant de dettes
privées par un écrasant montage de dettes publiques. Selon la
banque Barclays, les gouvernements européens de la zone euro
vont émettre en 2009 de nouveaux titres de dette publique pour
un montant qui devrait atteindre 925 milliards d’euros |3|.
C’est une somme colossale, sans compter les nouvelles émissions
de bons du Trésor par les Etats-Unis, la Grande-Bretagne, le
Japon, le Canada, etc. Pourtant, récemment encore, il y avait un
consensus des mêmes gouvernements pour réduire la dette
publique. Les partis de droite, du centre et de la gauche
traditionnelle ont tous appuyé la politique de sauvetage
favorable aux grands actionnaires sous le fallacieux prétexte
qu’il n’y avait pas d’autres solutions pour protéger l’épargne
de la population et le fonctionnement du système de crédit.
Cette union sacrée signifie le
transfert de la facture à la majorité de la population qui sera
invitée à payer pour les frasques des capitalistes sous
différentes formes : réduction des services que l’Etat fournit à
la population, pertes d’emploi, baisse du pouvoir d’achat,
augmentation des contributions des patients pour les soins de
santé, des parents pour l’éducation des enfants, réduction des
investissements publics… et une augmentation des impôts
indirects.
Comment sont financées
actuellement les opérations de sauvetage qui sont en cours en
Amérique du Nord et en Europe ? L’Etat apporte de l’argent frais
aux banques et aux assurances au bord de la faillite, soit sous
forme de recapitalisation soit sous forme d’achat des actifs
toxiques des entreprises concernées. Que font les banques et les
assurances avec cet argent frais ? Essentiellement, elles
achètent des actifs sûrs pour remplacer des actifs toxiques dans
leur bilan. Quels sont les actifs les plus sûrs en ce moment ?
Les titres de la dette publique émis par les Etats des pays les
plus industrialisés (bons du Trésor des Etats-Unis, de
l’Allemagne, de la France, de la Belgique…).
La boucle est bouclée : l’Etat
donne de l’argent aux institutions financières privées (Fortis,
Dexia, ING, banques françaises, britanniques,
nord-américaines…). Pour ce faire, les Etats émettent des titres
du Trésor public qui sont souscrits par ces mêmes banques et
assurances, qui sont restées dans le secteur privé (car l’Etat
n’a pas demandé que le capital qu’il apporte lui donne droit à
prendre les décisions, ni même à participer aux votes) et qui
font de nouveaux profits en prêtant l’argent frais qu’elles
viennent de recevoir des Etats |4|
à ces mêmes Etats en exigeant bien sûr un intérêt maximum…
Cette énorme arnaque en cours
bénéficie de la loi du silence. L’omerta est de mise entre les
principaux protagonistes : gouvernants, banquiers voleurs,
assureurs voyous. Les grands médias se gardent bien d’analyser
jusqu’au bout le mécanisme de financement des opérations de
sauvetage. Ils s’attardent sur des détails : l’arbre qui cache
la forêt. Par exemple, la grande question que se pose la presse
en Belgique à propos du financement de la recapitalisation de
Fortis qui passe sous le contrôle de BNP Paribas est la
suivante : combien vaudra l’action Fortis en 2012 quand l’Etat
qui s’en est porté acquéreur pourra la revendre ? Bien sûr,
personne ne peut répondre sérieusement à cette question, mais
cela n’empêche pas la presse d’y consacrer des pages entières.
Cela permet de détourner l’attention. La philosophie et le
mécanisme de l’opération de sauvetage ne sont pas analysés. Il
faut espérer que grâce à l’action conjuguée des médias
alternatifs, des organisations citoyennes, des délégations
syndicales et des partis politiques de la gauche radicale |5|,
cette grande arnaque sera comprise par une partie croissante de
la population et dénoncée. Ce ne sera pas facile, tant le
bourrage de crâne est considérable.
Au fur et à mesure de
l’aggravation de la crise naîtra un profond malaise qui se
transformera en défiance politique à l’égard des gouvernements
qui ont réalisé ce type d’opération. Si le jeu politique se
poursuit sans grand bouleversement, les gouvernements de droite
en place aujourd’hui seront remplacés par des gouvernements de
centre gauche qui poursuivront une politique sociale-libérale.
De même, les actuels gouvernements sociaux-libéraux seront
remplacés par des gouvernements de droite. Chacun à leur tour,
ils critiqueront la gestion de leurs prédécesseurs en affirmant
qu’ils ont vidé les caisses de l’Etat |6|
et qu’il n’y a pas de marge de manœuvre pour des concessions aux
demandes sociales.
Il n’y a rien d’inéluctable en
politique. Un autre scénario est tout à fait possible. D’abord,
il faut affirmer qu’on peut parfaitement sauver l’épargne des
citoyens et le système de crédit d’une autre manière. On peut
assurer la protection de l’épargne de la population grâce à la
mise sous statut public des entreprises de crédit et des
assurances au bord de la faillite. En d’autres mots, il s’agit
de les étatiser ou de les nationaliser. Cela signifie que l’Etat
qui en devient propriétaire assure la responsabilité de leur
gestion. Afin d’éviter que le coût de cette opération retombe
sur l’écrasante majorité de la population qui n’a aucune
responsabilité dans la crise, les pouvoirs publics doivent faire
payer ceux qui sont à l’origine de celle-ci. Il suffit de
récupérer le coût du sauvetage des entreprises concernées en
prélevant un montant égal sur le patrimoine des grands
actionnaires et des administrateurs. Evidemment, cela implique
de prendre en compte l’ensemble de ces patrimoines et pas
seulement la partie issue des sociétés financières en faillite.
L’Etat doit également entamer
des poursuites légales contre les actionnaires et les
administrateurs responsables du désastre financier, afin
d’obtenir à la fois des réparations financières (qui vont
au-delà du coût immédiat du sauvetage) et des condamnations à
des peines de prison si la culpabilité est démontrée. Il faut
aussi prélever un impôt de crise sur le grand capital afin de
financer un fonds de solidarité pour les victimes de la crise
(notamment les chômeurs) et pour créer de l’emploi dans des
secteurs utiles pour la société.
De nombreuses mesures
complémentaires sont nécessaires : ouverture des livres de
compte des entreprises avec droit de regard des organisations
syndicales, levée du secret bancaire, interdiction des paradis
fiscaux en commençant par l’interdiction faite aux entreprises
d’avoir quelque transaction ou actif que ce soit avec ou dans un
paradis fiscal, taxe progressive sur les transactions en devise
et sur les produits dérivés, instauration du contrôle sur les
mouvements de capitaux et sur les changes, arrêt net de toute
nouvelle mesure de déréglementation/libéralisation des marchés
et des services publics, retour à des services publics de
qualité… L’aggravation de la crise remettra à l’ordre du jour la
question du transfert de secteurs industriels et des services
privés vers le secteur public, de même que la question de la
mise en œuvre de vastes plans pour la création d’emplois.
Tout cela permettrait de sortir
de cette grave crise par le haut, à savoir en prenant en compte
l’intérêt des populations. Il s’agit de réunir les énergies pour
créer un rapport de force favorable à la mise en pratique de
solutions radicales qui ont comme priorité la justice sociale.