|
The Guardian
Et
le Bon Dieu, il est avec qui ?
Le sionisme et l'islamisme ont plus de points communs entre eux
que leurs adeptes l'imaginent : l'un et l'autre sont des
idéologies politiques dangereuses, qui se donnent une apparence
de mouvement religieux
Ed Husain
Ed Husain
in The
Guardian, rubrique Comment Is Free, 27 juin 2007
http://commentisfree.guardian.co.uk/ed_husain/2007/06/with_god_on_their_side.html
« Le seul endroit où un musulman et un
juif puissent se rencontrer, c’est sur un champ de bataille ».
Ainsi commençait un tract, distribué par le
Hizb ut-Tahrir auprès
des communautés musulmanes de Grande-Bretagne, dans les années
1990. Nous avons soutenu ce cri de guerre en faisant des tapes
amicales dans le dos de nos camarades du Hamas et en refusant de
reconnaître le droit à l’existence d’Israël. Derrière
chaque événement mondial, depuis l’Holocauste du 11 septembre
2001, les islamistes arabes ont vu une conspiration sioniste
mondiale. De même, dans des cercles juifs, des sionistes allant
de Binyamin
Netanyahu à Daniel
Pipes ont fait carrière en étrillant les islamistes. Mais
les sionistes et les islamistes sont-ils tellement différents
entre eux, en définitive, en dépit de leur inimitié exacerbée ?
Je ne le pense pas.
Le sionisme et l’islamisme sont, l’un
comme l’autre, des perversions politiques de deux fois
abrahamiques : le judaïsme et l’Islam.
Tous deux sont nés d’une protestation et
d’une colère : le sionisme, en réaction aux pogromes
tsaristes et l’islamisme, en réplique au colonialisme. Le
contenu lourdement politique de ces deux idéologies a été hérité
d’hommes qui n’avaient aucune formation théologique en matière
d’interprétation traditionnelle multiséculaire de la Torah ou
du Coran. C’est, en effet, un journaliste autrichien, Theodore
Herzl, qui a échafaudé le sionisme, en une époque de
nationalisme universel. Quant au critique littéraire égyptien Syed
Qutb, il fut le principal idéologue de l’islamisme. Et
pourtant, cela ne les a pas empêché de bluffer des gens profondément
croyants ? Cela reste à voire…
Certains des sionistes les plus enflammés
n’étaient pas juifs, ou ne le sont pas. J’en veux pour
preuve, et non des moindres, George Deubeuliou Bush et ses
escouades d’évangélistes, qui sont des chrétiens littéralistes.
De plus en plus, ici, en Angleterre, nous assistons à un phénomène
nouveau, des non-musulmans de tendance de gauche s’identifiant
à l’islamisme : les membres du parti Respect
de George Galloway en sont un excellent exemple. Quand des
non-juifs et des non-musulmans en viennent à adhérer à des idéologies
politiques créées au nom d’une foi religieuse, cela illustre
le fait que ces mouvements, par essence, ne sont absolument pas
orientés par la foi religieuse, mais sont des créations
politiques dotées d’un potentiel de séductions pour divers
segments du spectre politique, sans égard pour une quelconque
affiliation religieuse. L’islamisme [à l’instar du fascisme,
ndt] se positionne essentiellement en opposition à la fois au
socialisme et au capitalisme, et non pas en opposition à
d’autres religions.
Avant l’Holocauste, le sionisme était un
mouvement paria, aux yeux des communautés juives d’Europe. Les
rabbins condamnaient les sionistes, dont ils considéraient
qu’ils violaient les lois religieuses et usurpaient leur identité
religieuse. Et pourtant, à cause des persécutions antijuives
inhumaines, dans les années 1940, déchaînées contre les juifs
européens, le sionisme conquit adhésions et respectabilité.
Aujourd’hui, dans le monde arabe, l’islamisme est en train de
gagner une acceptabilité, dans la rue arabe, tandis que l’étranglement
politique, la souffrance économique et la frustration sociale
atteignent des niveaux sans précédent. Depuis cinquante ans, les
savants musulmans, les ulama,
ne cessent de mettre les croyants en garde contre l’islamisme.
Mais pourront-ils le faire encore longtemps ?
La récente explosion de violence du Hamas [recent
violent outburst], à Gaza, assassinant des membres du Fatah
et prenant d’assaut des palais gouvernementaux, a amené le
sourire sur les visages de plus d’un islamiste en
Grande-Bretagne et ailleurs. Aujourd’hui, le terrorisme
islamiste, en quête d’un Etat islamiste utopique est une réalité
mondiale. Mais nous serions mal inspirés si nous oubliions le
terrorisme sioniste du tristement célèbre groupe Stern,
qui assassinat des militaires et des fonctionnaires civils
britanniques, effectua des raids meurtriers contre des villages
palestiniens, et fit sauter l’Hotel King David, à Jérusalem,
en 1946. Le mépris de la vie humaine est la marque de fabrique
tant du sionisme que de l’islamisme.
Exactement de la même manière qu’Israël
est un Etat expansionniste, qui continue à occuper les
hauts-plateaux du Golan (syrien), les islamistes projettent de créer
un Etat dont l’armée d’occupation défendrait des frontières
en expansion constante (voir le projet de constitution draft
constitution du Hizb ut-Tahrir). Exactement de la même façon
que les sionistes revendiquent un territoire fondé sur les
notions de « terre juive » et de « titres de
propriété reçus de Dieu lui-même », les islamistes
aspirent à reconquérir l’Inde et l’Espagne, ces « territoires
musulmans » jadis gouvernés par des monarques musulmans.
Les sionistes ont leur Etat ; les
islamistes s’activent frénétiquement à essayer toutes les
options possibles et imaginables afin de faire de leur Sion rêvé
une réalité. Pendant des siècles, les juifs ont répété :
« L’an prochain, à Jérusalem », et, pendant des décennies,
aujourd’hui, les islamistes répètent « A Ramadan
prochain, le Califat ». Je l’ai fait, personnellement,
trois Ramadan de suite, avant de prendre conscience qu’on
m’avait vendu de la daube. Alors, j’ai laissé tombé
l’islamisme, et j’ai commencé, petit à petit, à redécouvrir
l’Islam. Il y a un monde, entre l’Islam et l’islamisme, de même
qu’il y a un gouffre entre le judaïsme et le sionisme.
Alors que des millions de personnes, dans le
monde entier, font la différence entre sionisme et judaïsme,
cette distinction, à ce jour, n’est pas encore claire, pour la
plupart d’entre nous, dès lors qu’il s’agit de l’Islam.
L’Islam, ça n’est pas l’islamisme, et peu importent les prétentions
des « porte-parole musulmans ». Condamner les horreurs
du sionisme, cela n’a strictement rien d’antisémite ;
critiquer l’islamisme, ça n’est absolument pas être
islamophobe.
Parmi mes amis, se trouvent des juifs américains.
En tant que musulman, je vois dans les juifs des
cousins-dans-la-foi, les descendants de Jacob. Chez les Islamistes
[The
Islamist], je dénonce les attentats-suicides, et je soutien
une solution à deux Etats (sic) à la question de la nationalité
palestinienne, telle que la soutiennent les théologiens musulmans
de l’université islamique Al-Azhar [al-Azhar],
en Egypte. Je n’aborde donc pas cette question en ennemi
d’Israël.
Ce qui, pour moi, fait problème, c’est le fait de faire le marketing
d’idéologies politiques en voulant les faire passer pour de la
religion. Qu’il s’agisse du christianisme évangélique, aux
Etats-Unis, avec leur soutien aux Républicains de droite, ou du
sionisme voulant se faire passer pour le judaïsme, ou encore de
l’islamisme paradant, déguisé en Islam : ces trois idéologies
sont aussi coupables l’une que l’autre, car elles visent à
tromper les gens, à créer des conflits et à corrompre trois des
grandes religions de l’humanité.
|