Opinion
Les S-300 russes
et leur impact sur la conférence
syrienne
Dmitri
Kossyrev
© RIA
Novosti. Valerii Melnikov
Vendredi 31 mai
2013 Source:
RIA Novosti On apprend aujourd’hui
que le premier lot de missiles
antiaériens russes S-300 est déjà en
Syrie et que les livraisons se
poursuivent. Ces armes ne permettront
pas d'empêcher à coup sûr une opération
de l'Otan - comme en Libye au printemps
2011 – ou encore des forces turques ou
saoudiennes… Mais désormais les frais
d'une telle opération seraient bien plus
élevés, même si ces S-300 ne servaient à
abattre que des missiles de croisière et
pas des avions pilotés.
Un grand brouillard pèse au-dessus de
la conférence de paix sur la Syrie
proposée par les Etats-Unis et la
Russie. On ignore qui sera présent et
même si elle se tiendra. En revanche
beaucoup de choses se produisent autour
de cette initiative – qui auraient été
impossibles il y a un an lors de la
première rencontre sur ce thème à
Genève.
Les grandes puissances ne veulent
plus traîner comme des condamnés à la
queue d'événements contrôlés par
diverses monarchies du Proche-Orient.
Plus jamais
de scénario libyen
Evidemment beaucoup de détails sont
omis dans les communiqués sur les
missiles russes S-300, notamment
concernant leur maintenance lorsque les
systèmes antiaériens seront
opérationnels. Mais comme action
symbolique, ce n'est pas rien.
En agissant ainsi la Russie "répare"
ce qui s'est produit en Libye. Suite à
l'inaction de Moscou à l'époque, le
Conseil de sécurité des Nations unies
avait instauré une zone d'exclusion
aérienne dans le pays. Cette mesure
avait entraîné ce qu'on cherche à
empêcher depuis des mois en Syrie.
Ceux qui, après la Libye, avaient
collé sur la Russie l'étiquette d'un
pays insignifiant et dépourvu
d'influence dans la région – notamment
le Qatar et l'Arabie saoudite qui y
changeaient les régimes les uns après
les autres – ont depuis changé d'avis.
Il serait excessif de compter sur un
meilleur bénéfice mais l'état des choses
actuel n'est pas si mal, en fin de
compte.
On se demande comment les S-300
pourraient aider à mettre fin à la
guerre civile en Syrie - qui se déroule
au sol, en général sous forme
d'opérations de guérilla en milieu
urbain. D'aucune manière, apparemment.
Mais la guerre est une chose, les
querelles entre les grandes et petites
puissances concernant la Syrie en est
une autre.
© RIA
Novosti
Plus jamais
de scénario irakien
A une autre époque les litiges de ce
genre étaient observés uniquement entre
l’URSS et les USA ou, dans un sens plus
large, entre l’Est et l’Ouest. On
combattait sur les territoires de pays
tiers – le Vietnam, l'Angola et le
Mozambique, l'Afghanistan…
Dans tous les cas la situation était
tout à fait "syrienne" : l'opposition
armée, fortement soutenue depuis
l'étranger, cherchait à renverser le
gouvernement en place. Et ce
indifféremment de ceux qui étaient au
pouvoir, qu’ils soient "orientalistes"
ou "occidentalistes". C'était le schéma
des conflits suivi par Moscou et
Washington qui était important. Chacun
aidait avec "ses" armes. Mais sans se
provoquer directement.
Aujourd'hui au contraire, les USA et
la Russie travaillent ensemble pour
organiser une conférence sur la Syrie.
Mais les reproches mutuels sont
inévitables. Moscou reproche notamment
aux USA de n’avoir pas pu convaincre
l'opposition de s'assoir à la table des
négociations. Tandis que Moscou a tenu
ses engagements – la délégation de Damas
est prête, une liste a déjà été dressée.
Ce ne sont que des détails : dans
l'ensemble Moscou et Washington
avancent. On sait même qu'on se réunira
à nouveau à Genève.
La Russie cherche donc à réparer les
erreurs faites en Libye tout en
coopérant avec les Etats-Unis. Mais que
se passe-t-il aux USA, justement, en
omettant la phrase menaçante qu'on
entend en permanence selon laquelle
"oui, une zone d'exclusion aérienne est
une option envisageable" ?
Le Washington Post a écrit un long
article sur la situation des
"libéraux-faucons", une catégorie de
politiciens et de penseurs très
importante pour les USA. Il convient de
rappeler que les républicains – les
néoconservateurs de George Bush – sont
loin d'avoir été les seuls à planifier
et à déclencher des guerres. Les
démocrates ont également fait preuve
d'agressivité comme en Yougoslavie,
allant jusqu'aux bombardements de
Belgrade.
D'après la revue la confusion et
l'hésitation règnent. Avant tout parce
que les expériences amères d’Irak et
d’Afghanistan ont fait passer l'envie
aux Américains de mener des expériences
en Syrie. Enfin, le président Obama ne
veut certainement pas gaspiller sa santé
et l’argent du pays pour l'aventure
syrienne.
Le fait est que la nouvelle idéologie
américaine, qui aurait permis de dire à
voix haute que les USA et l'Occident se
retrouvaient à chaque fois du côté des
islamistes, ne s'est pas encore forgée.
En Afghanistan à l'époque de l'URSS, au
Kosovo, aujourd'hui en Libye. Dire que
la guerre en Irak a engendré une
nouvelle vague d'extrémisme au
Proche-Orient et a fait de l'Iran une
puissance régionale. Tandis que les USA
ont perdu leur influence dans la région.
Ça suffit. On n'aidera plus nos amis
qataris et les saoudiens à construire
"leur propre Proche-Orient". On attendra
de former une nouvelle politique dans la
région.
Evidemment, cette situation est
dangereuse – comme au sommet d'un mont
glissant où l'on peut tomber de
n'importe quel côté. Et cette situation
ne permettra pas de mettre un terme à la
guerre en Syrie. Mais une question se
pose : admettons que les "grandes
puissances" ne cherchent qu'à rétablir
leur influence au Proche-Orient. Que
font les autres ? Ceux qui sont derrière
le gouvernement syrien ou l'opposition ?
A qui profite
le temps
L'Arabie saoudite, le Qatar, la
Turquie et d'autres "amis de
l'opposition" sont très actifs et en
même temps, ne font rien. Certes ils
s'intéressent légèrement à la situation
au sein de l'UE, où l'alliance
franco-britannique voudrait fournir des
armes à l'opposition et le reste de
l'Europe dit "sans nous".
En ce qui concerne l’activité de ces
pays : l'opposition syrienne "étrangère"
comptait se rendre en Turquie : les amis
du régime syrien et les partisans de la
paix en général se réuniront à Téhéran.
Par ailleurs, l'Iran déclare avoir reçu
une "invitation orale" à la conférence
de Genève. Mais on ne peut pas affirmer
pour l'instant qui sera présent ou non à
cette conférence.
Mais supposons qu’elle ne se tienne
pas. A qui profiterait alors le temps
gagné ? Il serait utile de mentionner
une réalité qui était absente l'an
dernier : la dimension médiatique.
L'attaque des médias dans le monde
contre un ennemi est une chose
puissante, comme on a pu le constater en
Libye et dans toutes les guerres
récentes en général. Mais l'opposition
n'avait encore jamais poursuivi
l'offensive aussi longtemps.
Résultat des courses : la balance
"positif/négatif", autrement dit des
reportages sur les cruautés militaires
du régime syrien et les cruautés
identiques de l'opposition, s'approche
lentement de la marque du 50/50 et,
apparemment, de l'état réel des choses.
Par conséquent, il faut aller à
Genève ou alors annoncer que le conflit
syrien n'est qu'une querelle entre les
pays du Proche-Orient et que les autres
ne font que traîner dans leurs pattes.
On l'avait déjà compris depuis
longtemps.
© 2013
RIA Novosti
Publié le 31 mai 2013
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