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RIA Novosti
Ossétie: le mensonge gouverne le monde
Dmitri Kossyrev
Photo RIA Novosti
26
août
2008 La percée informationnelle vers la vérité sur la guerre
en Géorgie a été inattendue. Cela n'a pas été le résultat des
efforts de la "propagande russe". Cette percée est le fruit d'un
concert organisé à Tskhinvali, rasée par les bombardements
géorgiens, un concert donné par le grand Valeri Guerguiev en
mémoire des centaines (des milliers?) de personnes tuées le
premier jour de la guerre, alors que les troupes russes
n'avaient pas encore eu le temps de s'interposer pour arrêter ce
carnage. La percée du blocus de l'information a commencé grâce
aux paroles prononcées par le maestro avant le début du concert.
C'est que Valeri Guerguiev n'est pas un spécialiste de la
propagande. Il est chef de l'Orchestre symphonique de Londres,
du Metropolitan Opera à New York et directeur général du Théâtre
Mariinski de Saint-Pétersbourg. Apparemment, il est le premier
musicien de Russie et - sans aucun doute - l'un des cinq (ou
même trois) premiers musiciens du monde. Qui plus est, il est
Ossète, un fait jusqu'ici méconnu de la majorité du public russe
et étranger. Guerguiev fait ce qu'il veut, il peut confirmer
n'importe quelle position en n'importe quel endroit du monde et
à n'importe quel moment. Il est difficile de négliger ce que dit
ou fait cet homme.
Il était donc intéressant d'observer si au moins quelques uns
des nombreux journalistes étrangers envoyés de Moscou en Ossétie
pour constater la présence de ruines et examiner les positions
depuis lesquelles les lance-roquettes Grad géorgiens avaient
tiré sur Tskhinvali citeraient ou non le discours de Guerguiev.
En effet, ils l'ont cité. Et ont par-là même finalement
mentionné au moins quelques faits relatifs aux événements
survenus le 8 août, ce qui semble être un véritable miracle. Ils
l'ont fait, bien qu'on sente parfaitement que c'était contre
leur gré. Voilà par exemple un échantillon de style du
Washington Post: "Nous sommes là pour que le monde apprenne la
vérité", a dit Guerguiev, Ossète d'origine né à Moscou, alors
que des hommes en treillis camouflé brandissaient des drapeaux
russes et sud-ossètes. "Nous devons nous souvenir de ceux qui
sont morts tragiquement, à cause de l'agression géorgienne".
Il ne fallait pas brandir les drapeaux, n'est-ce pas? Ou bien
fallait-il obliger les gens à retirer leurs treillis camouflés?
Et voici un fragment du texte publié par Associated Press:
"Jeudi, le chef d'orchestre, la barbe en brosse, a cité les
déclarations précédentes des autorités russes selon lesquelles
2.000 civils étaient morts lors des combats, bien que les
personnalités officielles n'aient pour l'instant confirmé que
133 morts. Il a remercié les soldats russes pour leur
intervention".
On pourrait se montrer mesquin en précisant que ces personnes
ne sont pas mortes "lors des combats", mais AVANT ceux-ci, au
cours des bombardements massifs effectués de nuit par les
Géorgiens contre les quartiers résidentiels, ou encore lorsque
le lendemain matin, les soldats géorgiens exécutèrent les
citadins. Il n'y avait alors aucun combat, les soldats russes
étant arrivés plus tard. On pourrait aussi leur rappeler que les
133 personnes en question ne sont que les premiers morts
enregistrés dans les documents officiels, conformément aux
règles de procédure. Le travail d'enquête se poursuit, et se
poursuivra encore longtemps. Les enquêteurs russes qui ont cité
ce chiffre ajoutaient en plus que de nombreuses tombes fraîches
étaient éparpillées dans les parcs et jardins de la ville, car
les 8 et 9 août, il avait fait +30°C à Tskhinvali. Les chiffres
ne sont donc pas définitifs.
Mais ne soyons pas mesquins. Car avant le requiem de
Guerguiev interprété sur la place en ruines, il était tout à
fait impossible, en lisant les dépêches des agences et journaux,
de comprendre ce qui avait poussé l'ours russe à attaquer tout
d'un coup la Géorgie démocratique. Génocide de la population
civile de l'Ossétie du Sud? Tapis de bombes et exécution
d'enfants ossètes? Que dites-vous, c'est la Géorgie qui souffre,
voilà ce qui importe. L'ours s'y est introduit tout bêtement, en
raison de son inimitié envers la démocratie.
Le stress psychologique des journalistes s'étant retrouvés en
Ossétie, mais également celui de leur audience, atteint
aujourd'hui une envergure colossale. D'où ces nombreuses
tentatives pour ajouter des remarques "dans l'esprit de la
vieille époque" à chaque fait prétendument nouveau qu'il est
déjà impossible de passer sous silence. N'exigeons pas trop de
la part de personnes qui vivent un tel choc.
A propos, il faut tout simplement s'imaginer à quel point les
raisons du blocus de toute sorte d'information ne provenant pas
de Tbilissi étaient sérieuses. En effet, depuis plusieurs
années, on érigeait Saakachvili en exemple de démocratie à
l'américaine et on livrait des armements à son armée. A présent,
ces mêmes armements américains ont été utilisés pour supprimer
la population civile. Comment peut-on avouer un tel fait à
l'approche d'élections? Il n'y a qu'un seul moyen: bloquer toute
information en gardant un visage de marbre, ne serait-ce que les
premiers jours [du conflit]. Or, ces informations auraient
démontré à tout le monde que les troupes russes ont fait ce qui
ferait l'orgueil de n'importe quelle armée du monde: elles ont
arrêté un génocide.
Par la suite, d'autres événements s'ensuivront, comme par
exemple l'implantation de bases militaires américaines en
Géorgie, et tout le monde oubliera ce par quoi l'affaire a
commencé. (En effet, qui se souvient aujourd'hui des exécutions
de masse en Yougoslavie en 1999 et avant, et qui sait qui en a
été le véritable auteur?) L'essentiel est que la conscience
collective ne retienne qu'une seule chose: "maintenant, tout est
clair avec la Russie". En fin de compte, le concert donné à
Tskhinvali par Valeri Guerguiev sera lui aussi oublié, et on
aura la chance de revenir au paysage informationnel habituel,
déformé.
Il y a deux remarques à ajouter à cette triste histoire. La
première concerne la "machine de propagande russe". Celle-ci
n'existe pas. Quant à ce qui existe néanmoins, même si tout cela
fonctionnait rapidement et sans problèmes, on n'obtiendrait même
pas le centième du potentiel dont dispose ce qu'on a l'habitude
de nommer "l'Occident". Certes, les Russes ont longtemps
interdit aux journalistes d'entrer à Tskhinvali, alors que la
propagande géorgienne (puis, à sa suite, américaine et
européenne) montrait les images de cette ville détruite en
prétendant qu'il s'agissait de la "sauvagerie des Russes". En
effet, le concert de Guerguiev est le premier cas dans lequel
l'Etat russe a fait quelque chose de façon normale, bien qu'en
restant toujours maladroit dans les détails. Cependant, à en
juger par les informations disponibles, c'est le chef
d'orchestre Guerguiev lui-même qui a incarné cette "machine de
propagande". Il a en horreur l'odieux mensonge sur l'Ossétie (ou
l'absence de vérité sur ce qui s'est passé), tout comme beaucoup
d'autres Russes, mais à la différence de ceux-ci, la voix de ce
musicien est mieux entendue.
D'autre part, il est notoire que les bureaucrates russes ne
savent pas "percer les rideaux de fer de l'information". C'est
comme ça. Mais ce n'est pas une raison pour fausser le tableau
de cette guerre, en faisant passer l'agresseur, c'est-à-dire la
Géorgie, pour la victime.
Autre remarque, à propos de la vérité et du mensonge. Un
groupe de pays, qu'on a l'habitude de désigner comme Occident,
se trouve face à un grand problème, celui de savoir comment se
comporter à présent avec la Russie. Les diplomates, eux, ont
déjà commencé à expliquer à Moscou qu'il importait de conserver
les bonnes relations et que tout serait bientôt réglé, mais ce
ne sont pas eux qui comptent. Ce qui compte, c'est le fait que
l'opération spéciale mensongère menée contre la Russie aura un
impact sur les sentiments que les Russes éprouveront désormais
envers les Européens et les Américains. La Russie sait bien ce
qui se passe. Les exemples d'art journalistique - et notamment
la façon dont les médias "internationaux" ont informé leur
public sur cette guerre - sont bien connus en Russie, ils y sont
largement cités et suscitent un choc profond.
L'homme est un être bizarre: il n'aime pas le mensonge. Il
est prêt à pardonner une violence grossière plutôt qu'un
mensonge ou, pire encore, un mensonge par omission, qui est un
type de mensonge particulièrement cynique. Les Russes se
souviendront pendant des années et même peut-être pendant des
générations du fait que les principaux médias occidentaux ont
soigneusement passé sous silence pendant plus d'une semaine le
génocide géorgien en Ossétie, en présentant ainsi le soldat
russe comme un agresseur et un oppresseur de la Géorgie.
L'époque communiste, en raison de la stupidité de la machine de
propagande de l'URSS, encline elle aussi à tout passer sous
silence, avait engendré des générations entières de Russes
pro-occidentaux. L'époque postcommuniste, à cause de
l'implacabilité bornée de la machine de propagande occidentale,
engendre des générations de personnes qui ressentent du dégoût
pour l'Occident. Et ceci n'est certainement pas un problème
russe. Si l'on se rappelle de surcroît les tendances semblables
en ex-Yougoslavie, en Indonésie (en raison du Timor oriental) et
dans plusieurs autres pays encore, pays qui ont vécu des
histoires identiques, on en arrive à la conclusion que le
mensonge revient trop cher aux Européens et Américains.
Les opinions exprimées dans cet article sont laissées à la
stricte responsabilité de l'auteur.
© 2008 RIA
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