Opinion
La Syrie ne sera
pas la pomme de discorde
entre la Turquie et la Russie
Dmitri
Kossyrev
Photo: RIA
Novosti - © AFP/ Tolga Bozoglu
Mardi 4 décembre
2012
Source :
RIA Novosti Le thème clé de
la diplomatie mondiale autour de la
Syrie n'est pas de savoir s'il faut
renverser ou appuyer le régime de Bachar
al-Assad mais d’identifier qui se cache
derrière les groupes armés en guerre
contre lui. D'ailleurs, c'est la raison
de leurs conflits fratricides : ils ont
des patrons différents.
Le
problème syrien et les livraisons de
gaz – voici approximativement le sujet
de la visite du président russe Vladimir
Poutine en Turquie. Mais l’équilibre
entre les deux pays ne tient pas qu’à la
formule "plus de gaz russe contre une
meilleure attitude envers la Syrie".
De qui
vaut-il mieux dépendre ?
D'où vient la volonté d'Ankara de
recevoir encore 3 milliards de mètres
cubes de gaz russe de plus par an, ce
qui était pratiquement le thème central
de la visite de Vladimir Poutine en
Turquie ? Ce genre de sursauts de
consommation n'arrive pas par hasard,
indépendamment du rythme de croissance
économique du pays.
Bien que la Russie soit le principal
fournisseur de gaz en Turquie, il ne
faut pas oublier l'Iran, deuxième
partenaire d'Ankara : la Turquie achète
jusqu'à 80% du gaz iranien.
Probablement personne n'a remarqué
que récemment, le sénat américain avait
voté pour appliquer de nouvelles
sanctions contre l'Iran. En fin de
compte, c'est devenu une pratique
courante - et les sanctions ont dépassé
toutes les limites du raisonnable. Il
s'agit du fait que le sénat a une
nouvelle fois visé le commerce
irano-turc "gaz contre or". La Turquie a
exporté cette année de l'or pour presque
12 milliards de dollars - une hausse
extraordinaire – et il s'avère que la
majeure partie des lingots partent en
Iran.
Les Américains s’interrogent sur les
éventuelles conséquences d'un tel
commerce, notamment compte tenu des
troubles financiers possibles dans les
mois à venir : comment se fait-il que
plus la pression exercée sur l'Iran est
grande, plus il devient fort ? Pourtant,
ils ont pris des mesures. Ou du moins
ont-ils essayé. Ce qui a valu des
problèmes aux Turcs.
Evidemment, les sanctions
unilatérales ne sont pas un blocus
économique total sur décision du Conseil
de sécurité des Nations Unies. Avant
cela, Ankara arrivait à s'entendre avec
les Etats-Unis sur beaucoup de choses et
actuellement, on dit que la Turquie
pourra quand même acheter le gaz
iranien, à condition de conserver
l'argent iranien dans les banques
turques…
Quoi qu'il en soit, la Russie n'est
pas un pays qui crée ce genre de
problèmes aux Turcs.
Strictement parlant, elle se
transforme en sorte de voisin idéal pour
la Turquie – ce dont témoigne le
déroulement de la visite de Vladimir
Poutine, avec la réunion du Conseil de
coopération au sommet et dix contrats
signés (la visite avait d'ailleurs une
nature économique).
Difficile de se rappeler qu'avec un
certain pays, la Russie comptait
augmenter les échanges commerciaux de 35
à 100 milliards de dollars en trois ans
! C'est une estimation tout à fait
réaliste, compte tenu du rythme de mise
en œuvre, par la Russie, du contrat pour
la construction d'une centrale nucléaire
- et bien d'autres.
C'est également un voisin parfait
parce qu'il est bien plus pratique de
dépendre, au niveau énergétique par
exemple, de la Russie que d'un autre
pays. Moscou ne cherchera même pas à
faire pression sur Ankara concernant la
Syrie.
Qui combat
pour la Syrie de demain
Quel objectif poursuivent la Turquie et
Moscou dans ce pays ? Certainement pas
la fin de la guerre ni la stabilisation
de l'ancien régime. Il est crucial pour
les deux pays de savoir qui dictera les
règles dans la Syrie nouvelle.
A première vue, c'est la Turquie qui
adopte la position la plus radicale
concernant la nécessité de renverser le
régime de Bachar al-Assad. Le 1er
décembre, les Turcs ont organisé à
Ankara le forum de coopération
arabo-turc, où le ministre turc des
Affaires étrangères Ahmet Davutoglu a
déclaré que le régime syrien avait perdu
sa légitimité en devenant une sorte de
milice armée.
Il se rendra sous peu au siège de l'Otan
pour régler la question du déploiement
des missiles sol-air Patriot de
l'alliance à la frontière syrienne -
démarche qui préoccupe la Russie, a
rappelé Poutine pendant sa visite.
Puis viennent les nuances. La guerre
en Syrie, qui ressemble surtout à la
lutte contre l'infiltration étrangère,
est alimentée par des sources diverses
et variées. Et toutes ces sources sont
loin de plaire à la Turquie. Pourquoi ?
Parce qu'elle est loin de toutes les
contrôler.
Sa frontière sud avec la Syrie, est
devenue une ligne de front et la Turquie
nourrit aujourd’hui 134 000 réfugiés
syriens répartis dans cinq camps.
Les relations entre la Turquie et ses
voisins sont complexes et le forum de
coopération arabo-turc, évoqué
précédemment, a été éloquent dans ce
sens. Au sujet de la Syrie, on a surtout
entendu que les événements en Syrie
étaient une "ingérence extérieure
inadmissible".
La question est de savoir qui est
"extérieur" - si ce n'est pas la Turquie
- et qui cela gêne.
Quoi qu'il en soit, le thème
principal de la diplomatie mondiale
autour de la Syrie n'est pas de savoir
s'il faut renverser ou aider le régime
de Bachar al-Assad mais d’identifier qui
se cache derrière les groupes armés en
guerre contre lui. D'ailleurs, c'est la
raison de leurs conflits fratricides :
ils ont des patrons différents.
Certains de ces groupes effraient
l'administration américaine, l'Otan ou
même la Turquie : un Etat jihadiste
contrôlé par les monarchies du Golfe
pourrait faire son apparition à sa
frontière. Qui plus est, les cinq camps
de réfugiés syriens sont situés en
Turquie.
En quoi pourrait être utile le statut
de membre de l'Otan avec ses missiles
sol-air ? Est-ce que l'Otan répétera en
Syrie le scénario libyen, permettant aux
individus très indésirables et
n'obéissant pas à l'Otan de s'emparer du
pouvoir ? De surcroît, ces derniers
pourraient n’être pas forcément amicaux
avec la Turquie.
Il y a trois ans seulement, la
politique étrangère turque suivait le
schéma "zéro problèmes avec nos voisins"
– y compris l'Iran et la Syrie. Mais
aujourd'hui, la Turquie subit des
pressions de tous les côtés avec le gaz
iranien, le conflit syrien… Moscou ne
voit aucune raison pour faire la même
chose.
Pendant la visite de Vladimir
Poutine, les parties ont réussi à
trouver des "points communs sur le
dossier syrien". L'histoire de l'avion
syrien en provenance de Moscou et forcé
d'atterrir en Turquie est close. Un
nouvel ordre du jour des négociations
entre les ministres des Affaires
étrangères des deux pays a également été
fixé au sujet de la Syrie.
Les missiles de l'Otan sont un
problème - d’autres sont plus graves.
Quoi qu'il en soit, même avec des
positions initialement différentes
concernant la Syrie, la compréhension
mutuelle entre les deux pays n'est pas
due uniquement à leur coopération
énergétique réciproquement bénéfique.
© 2012
RIA Novosti
Publié le 5 décembre 2012
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