Ils occupent la place Tahrir
Les frères
musulmans menacent de mettre le feu
Djamel Bouatta
Samedi 23 juin 2012
Le Conseil
suprême des forces armées cherche-t-il à
marquer des points pour négocier en
position de force un partage du pouvoir
avec les Frères musulmans ?
En Égypte, l'incertitude nourrit les
tensions. Les Frères musulmans ont
menacé le pouvoir militaire de
“confrontation avec le peuple” si leur
candidat Mohammed Morsi n'était pas
reconnu vainqueur de l'élection
présidentielle, dont la proclamation des
résultats a été repoussée sine die. Très
grande confusion au Caire. Dimanche 17
juin, quelques heures après la fin de
l'élection présidentielle, le Conseil
suprême des forces armées (CSFA), au
pouvoir depuis la chute de Hosni
Moubarak, a dépouillé le futur chef de
l'État de l'essentiel de ses
attributions, alimentant les
spéculations sur un coup d'État
militaire rampant. La veille, les
dix-neuf généraux du Conseil avaient
annoncé la dissolution de la Chambre
basse du Parlement, dominée par les
Frères musulmans, conformément à une
décision de la Haute Cour
constitutionnelle, hérité de Moubarak et
qui avait invalidé l'élection d'un tiers
des députés après six mois d’exercice !
L’inquiétude s’est accrue avec l’annonce
de la mort de Moubarak puis son
transfert de la prison à l’hôpital
militaire du Caire. L’ex-raïs, condamné
à la prison à vie, serait dans le coma
depuis mardi soir, selon des sources
militaires. Mais la mort du dictateur
est le dernier souci des Égyptiens qui
se préparaient à de nouveaux
affrontements, cette fois entre les
islamistes et l’armée. L’autre annonce
qui a mis le feu : les résultats du
second tour de la présidentielle,
attendus jeudi 21 juin, ont été reportés
sine die par la Haute Commission
électorale, “qui examine des recours
pour fraude.” Mohamed Morsi, le candidat
des Frères musulmans, s’était donné
gagnant, mais son adversaire Ahmed
Chafik, général à la retraite et
l'ultime premier ministre de Moubarak,
revendique également la victoire. Tout
indique que le CSFA veut revenir au
statu quo anté, c'est-à-dire abolir les
acquis de la révolution, sinon
cherche-t-il à marquer des points pour
négocier en position de force un partage
du pouvoir avec les Frères musulmans ?
C'est la grande question sans réponse,
car au Caire personne n’est en mesure de
dire où va l’Égypte post-Moubarak. Le
nouveau bras de fer avec les islamistes,
qui a commencé, va s'intensifier. Les
Frères musulmans ont menacé le pouvoir
militaire de “confrontation avec le
peuple” si leur candidat Mohamed Morsi
n'était pas reconnu vainqueur de la
présidentielle. Ils ont planté leurs
tentes sur la place Tahrir, l’épicentre
de la révolution du Nil qu’ils avaient
rejoint sur le tard. Les Frères
protestent également contre les
dispositions prises par le CSFA lui
permettant d'assumer le pouvoir
législatif à la suite de la dissolution,
la semaine dernière, de l'Assemblée
dominée par les islamistes. Cette mesure
obligera le prochain président, quel
qu'il soit, à avoir l'aval des
militaires pour pouvoir faire passer des
lois, réduisant drastiquement sa marge
de manœuvre. C’est l’armée qui va
rédiger la future Constitution, elle
s'est également octroyé de larges
prérogatives en matière de sécurité :
d’importants mouvements de troupes ont
été observés dans la capitale et les
principales villes. Tout porte à penser
que l’Égypte s’apprête à revivre le
temps de l’état d’urgence abolie le mois
dernier. Les mesures constitutionnelles
et sécuritaires sont la dernière
indication en date qu'il n'y aura pas de
transfert de pouvoir significatif le 30
juin à un pouvoir civil, comme l'armée
s'y est pourtant engagée, selon l'ONG.
La chef de la diplomatie américaine
Hillary Clinton a, pour sa part, appelé
la junte égyptienne à tenir sa promesse
de céder le pouvoir au vainqueur de la
présidentielle. Leçons de ce feuilleton
politique égyptien. Le tempo de la
transition choisie : d'abord des
élections, législatives et
présidentielle, ensuite l'élaboration de
la Constitution! Il aurait fallu la loi
fondamentale pour tracer le projet de
société post-Moubarak. Ensuite, le
partage du pouvoir : les généraux du
CSFA s’étaient d’emblée rabibochés avec
les islamistes, pensant éliminer les
acteurs du Printemps égyptien, des
forces de progrès, il est vrai pas du
tout organisés pour l’après-destitution
de Moubarak. Mais, trop gourmands, les
islamistes ont pensé leur heure venue.
D’où cette confusion totale et le clash
entre l’armée et les islamistes. À
retenir, la majeur partie de la
population ne se sent concernée ni par
les ambitions des uns ni par les
tergiversations des autres. Les
Égyptiens se tiennent le ventre, ils
craignent que l’épreuve de force entre
les généraux et les Frères ne dégénère
en un affrontement violent.
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Publié le 23 juin 2012 avec l'aimable
autorisation de Liberté.
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