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Counterpunch
La
politique étrangère française et l’élection présidentielle.
Le Moyen-Orient brille par son absence
Diana Johstone
on
Counterpunch, 21/22 avril 2007
http://www.counterpunch.org/johnstone04212007.htm
A l’élection présidentielle française
succéderont des élections législatives en vue du renouvellement
d’une Assemblée nationale dont la composition déterminera dans
une très large mesure jusqu’à quel point le nouveau président
(ou la nouvelle présidente… ndt) sera en mesure de tenir ses
promesses en matière de politique intérieure – dans le cadre
contraignant des règlements et directives de l’Union européenne.
La politique étrangère, en revanche, demeure le domaine réservé
du président (de la présidente) de la République. En théorie,
le seul domaine dans lequel l’élection présidentielle est véritablement
décisive, en France, c’est précisément la politique étrangère.
Il est d’autant plus déconcertant de
constater que le débat autour de la politique étrangère est
pratiquement totalement absent de la campagne présidentielle française
actuelle, dont la première phase se clôturera dimanche soir,
quand deux sur les douze candidats resteront en lice à la suite
du premier tour des élections. Les trois candidats ayant une
chance d’être élus – Nicolas Sarkozy, Ségolène Royal et
François Bayrou –, n’ont pratiquement rien eu d’intéressant
à dire au sujet du monde extérieur, et en particulier au sujet
de la région pourtant cruciale qu’est le Moyen-Orient. Cela
pourrait signifier que les Français s’en tapent, et que,
partant, aucun vote n’est à espérer en en parlant. Ou cela
peut signifier, aussi, qu’afin d’être élu, il vaut mieux éviter
ce sujet épineux !
Essayons la seconde hypothèse. Quand un
candidat marginal, comme le champion de l’anti-mondialisation
José Bové, tient meeting à Paris, il parle des sujets bateau de
la gauche : les jobs, le logement, les services publics, les
droits des immigrés, et sa propre croisade emblématique contre
les plantations d’OGM. Applaudissements ramollos et
bienveillants. Mais quand il dénonce la guerre en Irak, ou quand
il défend les droits des Palestiniens, la foule éclate en vivats
bruyants et en applaudissements nourris.
Mais Bové n’a, en ce qui le concerne, rien
à perdre. On peut seulement imaginer ce qui attendrait l’un
quelconque des trois candidats en tête de peloton s’il lui
prenait la fantaisie de faire campagne sur le thème de la nécessité
de maintenir la France à l’écart des guerres américaines au
Moyen-Orient et de soutenir les droits des Palestiniens… C’est
un thème que, très nombreux, les électeurs approuveraient de
tout cœur. Les médias, toutefois, pousseraient des cris
d’orfraies scandalisées, accusant ce candidat intrépide
d’irresponsabilité et d’incompétence – voire pire…
Ségolène
au Moyen-Orient
Un échantillon du caractère casse-gueule
des initiatives en politique étrangère nous a été fourni par
la visite de Ségolène Royal au Liban, en décembre de l’année
dernière. Conformément à son approche marque de fabrique d’ « être
à l’écoute de tout le monde », la candidate socialiste
repoussa d’un revers de la main le conseil du leader druze Walid
Joumblatt, selon lequel elle « devait rentrer en France immédiatement »,
et elle insista : elle voulait entendre ce que toutes les
parties prenantes avaient à dire. Une réunion fut mise au point
avec la commission des Affaires étrangères du parlement
libanais. Parmi les députés qui y assistèrent se trouvait un
représentant élu du Hezbollah, Ali Ammar, qui évoqua, en arabe,
« le grand rôle que la France doit jouer au Liban au cas où
elle serait en mesure de se délier de la folie de la politique américaine ».
D’après le reportage publié par le quotidien local en langue
française L’Orient – Le Jour, Ammar ajouta que les Libanais
« étaient fiers de leur amitié avec la France, et fiers
aussi du fait que la résistance du Hezbollah [à l’occupation
israélienne – qui est à l’origine de sa propre existence »
s’inspirait de la résistance française à l’occupation
nazie. »
On en fit un « scandale », au
moyen de reportages confus selon lesquels Royal aurait permis à
Ammar d’associer Israël au nazisme en sa présence, sans réaction
de sa part. En réplique, elle fit remarquer que ni elle-même, ni
l’ambassadeur de France qui était à son côté, n’avaient
entendu mentionner le nazisme, et que eût cela été le cas,
s’ils eussent entendu ces remarques « inadmissibles,
abominables, odieuses », ils auraient « quitté la pièce ».
(Il fut confirmé que les journalistes et la candidate française
avaient écouté la traduction d’interprètes différents)
Mais même cela ne suffit pas, et les
commentateurs ont continué à parler de « boulette en
politique extérieure » au Liban – « preuve »
qu’elle aurait été « incompétente ».
Pour le lobby pro-israélien, le simple fait
d’écouter un député du Hezbollah est inacceptable. La volonté
scandaleuse qui était celle de Ségolène Royal d’entendre
l’autre camp fut comparée en termes défavorables au « courage »
du candidat socialiste de 2002, Lionel Jospin, lequel, au cours
d’une visite au Moyen-Orient en sa qualité de Premier ministre,
dénonça chez le Hezbollah son caractère d’organisation « terroriste ».
Or il se trouve que dans le monde pour de vrai, extérieur aux médias,
cette déclaration de Jospin fut interprétée par une large
partie de la population française comme une concession absolument
gratuite offerte à Israël et à son lobby. Et dans les
conversations, pratiquement tout le monde reconnaît qu’en tant
que Président, Jospin aurait suivi les Etats-Unis dans le
catastrophique marécage irakien –, contrairement à Chirac.
Le fait est qu’en dépit des tirs de
francs-tireurs de certains commentateurs et même de membres de
son propre parti socialiste, tandis que le premier tour de l’élection
présidentielle prend fin, Ségolène Royal fait beaucoup mieux,
dans les sondages, que ne faisait Jospin avant son élimination
infâmante par Jean-Marie Le Pen. De fait, elle a fait une
campagne bien plus vigoureuse, tout aussi sensée (souvent plus)
que ses principaux rivaux – tout en ayant, à la différence des
candidats masculins, à faire des choix stratégiques dans ses
tailleurs. Certes, tout le spectre politique a été tiré vers la
droite par le carcan de l’Union européenne, mais elle est
encore relativement à gauche, tout au moins en paroles verbales,
en tout cas durant la campagne…
Mais
que vaudrait Ségolène, en politique étrangère ?
Cela dépendrait inévitablement du choix de
ses conseillers. La politique étrangère n’est pas le domaine
majeur de compétence de la plupart des hommes politiques
professionnels, dont la préoccupation première est de bêcher
leur propre pelouse. Une exception à cette règle : celle de
Jean-Pierre Chevènement, l’ex-candidat à la présidentielle
aux idées très indépendantes, qui a décidé, cette fois-ci, de
soutenir Ségolène Royal, en espérant être en mesure de lui
donner quelques conseils utiles. A l’instar de diplomates vétérans
comme un Hubert Védrine, Chevènement pourrait être en mesure de
préserver quelques vestiges de l’indépendance française en
matière de politique étrangère, sous une présidence Royal.
D’un autre côté, Dominique Strauss-Kahn, ce socialiste bénéficiant
de puissants soutiens dans les milieux d’affaires, aspire et œuvre
à devenir Premier ministre en cas de victoire de Ségolène –
voire même si Bayrou gagne, d’ailleurs. DSK est pro-israélien
jusqu’au bout des ongles, et il est au moins aussi pro-américain
que Sarkozy, sinon plus…
Le cas
Pascal Boniface
La politique extérieure américaine est tombée
dans une large mesure entre les mains de lobbies et de boîtes à
idées à financement privé. En France, le ministère des
Affaires étrangères, connu de par son adresse sous le nom de
Quai d’Orsay, continue à jouer le rôle majeur, en cette matière.
Le Quai d’Orsay a une tradition d’approche réaliste des
situations et des intérêts français. Mais un changement de génération
est en cours, et certains observateurs redoutent que la prochaine
génération ne soit lourdement influencée par les médias, par
le lobby pro-israélien et par le genre de moralisme qui est
utilisé par les uns et par l’autre afin de justifier
l’aventurisme de la politique étrangère américaine.
Pascal Boniface est directeur de l’Institut
des Relations Internationales et Stratégiques (IRIS), à Paris.
Cette boîte à idées est le liée au parti socialiste. En avril
2001, il a rédigé une note destinée au secrétaire général
François Hollande, exhortant le parti à dépasser sa peur
d’adopter une position claire sur la Palestine. Etant
professeur, il constatait la sympathie croissante de ses étudiants
pour les Palestiniens, ainsi que leur outrage au spectacle des
mauvais traitements qui leur étaient infligés. A la peur du
parti socialiste de « perdre son électorat juif »,
Boniface répliqua que décider d’une politique en fonction
uniquement des souhaits de l’électorat d’une « communauté »
donnée était une position non seulement dépourvue de tout
principe, mais dangereuse, sur le long terme. L’influence conséquente
de la communauté juive organisée sur la politique, avait-il
averti, ne pourrait qu’alimenter la montée d’un lobby opposé,
basé sur la communauté musulmane, beaucoup plus nombreuse. Cela
menaçait de diviser la France en fonction de frontières
ethniques ou religieuses et communautaires, perspective profondément
redoutée par les socialistes.
Pour avoir fait cette observation, Boniface
devint la cible d’une campagne orchestrée par des commentateurs
et des organisations qui réussirent presque à détruire
totalement sa carrière universitaire, même s’il est un défenseur
invétéré d’Israël, et même si ses opinions sur le conflit
au Moyen-Orient sont tout ce qu’il y a de modéré. Toutefois,
il est toujours là, et la conséquence de l’incident pourrait
bien être le fait qu’en France, comme aux Etats-Unis,
l’impatience grandit à l’encontre du lobby et, ce, y compris
au sein du parti socialiste, qui est traditionnellement le plus
grand supporter d’Israël.
Droits
de l’homme
Aujourd’hui, plus personne ne peut décemment
défendre les exactions d’Israël dans les territoires
palestiniens occupés. La stratégie pro-israélienne consiste
donc plus à passer sous silence qu’à formuler une plaidoirie.
L’attention est donc focalisée sur « la menace iranienne
pesant sur l’existence même d’Israël », ou sur le
Darfour, où beaucoup de civils sont en train de se faire
massacrer. Les trois candidats en tête des présidentielles en
France ont signé leur engagement à « faire quelque chose »
au sujet du Darfour (probablement des sanctions économiques à
l’encontre du Soudan. Si la génération montante est sensible
au calvaire des Palestiniens, elle est aussi très sensible aux
droits de l’homme (en général) et elle méprise le réalisme
politique.
On ne peut pas dire que Sarközy ait amélioré
ses chances de succès avec sa performance dans l’obséquiosité
à Washington. Sa poignée de main échangée avec George
Deubeuliou Bush est l’illustration mascotte des sites ouèbes
« Tout Sauf Sarko ». En cas de malheur – s’il
devenait président – le candidat de la droite aimerait
certainement fortifier une alliance avec George Deubeuliou et les
néocons. Mais selon toutes les probabilités, ni Bush, ni les néocons
ne seront plus là. Sarközy sera arrivé trop tard. D’un autre
côté, Ségolène Royal dépeint un portrait brillant d’une
prochaine sororité présidentielle avec la Présidente Hillary Clinton.
Apparemment, elle n’a pas pris l’entière mesure de la désastreuse
politique étrangère d’Hillary !
traduit de l’anglais par Marcel Charbonnier
[* Diana Johnstone vit à Paris. On peut la joindre à son e-mail : dianajohnstone@compuserve.com
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