Opinion
Pas de guerre pour
Bernard-Henri Lévy !
Diana Johnstone
Mardi 3 septembre 2013
Le peuple américain ne veut pas d’un
engagement des forces armées US dans la
guerre civile en Syrie. Les Nations
Unies n’appuieront pas un bombardement
de la Syrie par les Etats-Unis. Le
parlement britannique ne veut pas
s’engager dans le bombardement de la
Syrie. L’opinion publique mondiale est
opposée à un bombardement de la Syrie
par les Etats-Unis. Même l’OTAN ne veut
pas participer à un bombardement de la
Syrie. Alors qui veut que les Etats-Unis
bombardent la Syrie ?
Les mêmes qui nous ont entraîné dans
la guerre en Irak, pardi !
Le 27 août, le Foreign Policy
Initiative (FPI), une réincarnation du
Project for the New American Century
(PNAC) qui a dicté à Bush II sa
politique étrangère désastreuse, a
transmis son ordre de route à Obama.
Dans une lettre ouverte au président, le
FPI a insisté pour « une riposte
décisive à l’emploi récent et massif
d’armes chimiques par le dictateur
syrien Bashar al-Assad ».
Les « experts en politique
étrangère » néocons ont laissé tomber le
pathos destiné à provoquer un sentiment
de culpabilité chez les Américains
ordinaires parce qu’ils restent assis
devant la télé à « ne rien faire ». Leur
argument s’appuie plutôt sur une
projection de puissance. Une fois la
« ligne rouge » définie par Obama, il se
doit de réagir pour « montrer au
monde ».
« Sans réaction, les attaques
croissantes par armes chimiques du
régime d’Assad montrera au monde que les
lignes rouges de l’Amérique ne sont que
des menaces creuses ».
Le FPI a dit à Obama que les
Etats-Unis devaient envisager « des
frappes militaires directes contre les
piliers du régime Assad, » et non
simplement se débarrasser de la menace
d’armes chimiques, « mais aussi miner ou
détruire les capacités aériennes du
régime Assad et autres moyens militaires
traditionnels de commettre des atrocités
contre des civils non-combattants. »
Dans le même temps, « les Etats-Unis
devraient accélérer leurs efforts pour
équiper, former et armer les éléments
modérés de l’opposition armée syrienne,
avec l’objectif de les renforcer
suffisamment pour gagner aussi bien
contre le régime Assad que contre la
présence croissante de factions rebelles
liées à Al-Qaeda et autres extrémistes
dans le pays. » Les Etats-Unis devraient
« aider à modeler et influencer les
fondations d’une Syrie post-Assad ».
Bref, il est demandé un changement de
régime en bonne et due forme, de se
débarrasser à la fois du régime actuel
et de sa principale opposition armée, et
mettre au pouvoir de supposés « éléments
modérés de l’opposition armée
syrienne, » qui, de l’avis général, sont
les plus faibles sur le terrain.
Ainsi, après avoir échoué à produire
des résultats aussi agréables et modérés
en Irak ou en Afghanistan, il faudrait
recommencer encore et encore.
Les noms les plus familiers parmi les
78 signataires sont Elliott Abrams, Max
Boot, Douglas J. Feith, Robert Kagan,
Lawrence F. Kaplan, Joseph I. Lieberman,
Martin Peretz, et Karl Rove. Aucune
surprise.
La nouveauté dans la liste est la
signature de Bernard-Henri Lévy.
Ce qui n’est pas non plus une
surprise, si l’on y réfléchit. Après
tout, Bernard-Herni Lévy est largement
crédité d’avoir convaincu l’ancien
président français Nicolas Sarkozy de
mener l’assaut qui allait renverser
Kaddafhi et plonger la Libye dans son
chaos actuel. Après une telle prouesse,
le Dandy Parisien se sent naturellement
en droit de dire au Président des
Etats-Unis ce qu’il doit faire.
Je me rappelle très bien des
réactions de fausse indignation de
Bernard-Henri Lévy qui lui servent de
bouclier habituel devant des critiques
qui disaient que, parmi les rebelles de
Benghazi, se trouvaient des extrémistes
liés à al-Qaeda.
Scandaleux ! Vociférait-il. Il avait
été lui-même à Benghazi et avait vu de
ses propres yeux que les gens sur place
étaient tous des démocrates libéraux qui
voulaient simplement goûter aux joies
d’élections libres dans une harmonie
multiculturelle. Pas bien longtemps
après, Benghazi libérée envoyait des
combattants islamistes pour déstabiliser
le Mali, recrutait des islamistes pour
combattre en Syrie et assassinait
l’ambassadeur US.
Cette tournure des évènements n’a
aucunement perturbé la star médiatique
que les Français appellent « BHL ». Bien
que largement discrédité et même détesté
en France, son influence perdure.
En 2010, un auteur, Jacob Cohen, a
publié un roman « Le Printemps des
Sayanim ». Malgré les mises en garde
habituelles, ce roman était un « roman à
clés ». Le personnage principal, appelé
MST, y est décrit ainsi par un diplomate
israélien à Paris : « MST nous est d’une
importance capitale. Il vaut plus qu’une
centaine de sayanim. […] Il
couvre pour nous une grande partie du
terrain à gauche. Comme il « critique »
Israël, sa parole est prise au sérieux.
Ainsi nous pouvons placer nos intérêts
dans de nombreux médias. […] En plus,
cet homme a des réseaux incroyables,
dans les milieux les plus influents en
Europe, en Amérique. Il peut appeler
Sarkozy quand il veut, ou le roi du
Maroc, ou le président de la Commission
européenne. […] »
Aucun lecteur français n’aurait de
mal à reconnaître BHL même si, bien sûr,
tout ceci n’est que de la fiction.
Mais la question mérite d’être
posée : pourquoi le véritable BHL a-t-il
montré autant d’empressement à renverser
les gouvernements en Libye et en Syrie ?
Même si les pays tombent en lambeaux ?
Peut-être que ce flamboyant
dilettante pense que ces guerres sont
bonnes pour Israël. Son dévouement à
Israël est aussi flagrant que ses
chemises blanches déboutonnées ou sa
coiffure. Peut-être rêve-t-il que, si
les pays environnants sont désespérément
en ruines, « la seule démocratie du
Moyen orient » serait le dernier arbre
encore debout de la forêt.
Mais même les services de
renseignement israéliens, principale
source de l’analyse américaine sur les
événements dans la région, doutent que
les armes chimiques d’Assad représentent
une menace pour Israël.
Giora Inbar, ancien chef d’une unité
de liaison de l’armée israélienne dans
le sud Liban, a été cité par Times of
Israël, le 27 août, « il n’y a aucune
raison qu’Assad attaque Israël ».
Inbar a dit que le service de
renseignement militaire israélien avait
fait de la collecte de renseignements en
Syrie une priorité, qu’il était très
bien informé, et qu’on lui faisait
largement confiance. Les Etats-Unis
étaient « au courant » des
renseignements israéliens sur les
agissements du régime syrien, « et se
fiaient à eux ».
Pourtant, les officiels Israéliens
évitent de monter l’incident en épingle
comme l’a fait John Kerry, qui insistait
sur le meurtre délibéré d’enfants.
Le New York Times, mardi, a cité un
officiel israélien selon qui : « Il est
très probable qu’il y a eu une sorte
d’erreur de manipulation […] Je ne crois
pas qu’ils voulaient tuer autant de
gens, surtout autant d’enfants.
Peut-être voulaient-ils frapper un
endroit ou provoquer un certain effet et
le résultat à dépassé leurs
prévisions. »
Tout ceci n’est que spéculation. Mais
l’hypothèse le plus plausible jusqu’à
présent est qu’il s’agit d’un accident.
Des sources rebelles elles-mêmes ont été
citées, déclarant que l’incident s’est
produit lorsqu’ils ont eux-mêmes fait
une erreur de manipulation d’armes
chimiques fournies par l’Arabie
Saoudite. Dans ce cas, les victimes
seraient un « dommage collatéral »,
chose fréquente dans une guerre. La
guerre est une série de conséquences
involontaires. La conséquence
involontaire la plus flagrante
d’éventuelles frappes aériennes US
contre la Syrie, sera l’effondrement
total de ce qui reste de sentiments
pro-américains dans le monde, et un
retour de bâton furieux contre Israël,
qui est largement perçu comme ce qui
influence la politique US au Moyen
orient. Certains Israéliens en ont
parfaitement conscience.
Le New York Times a cité l’ancien
ambassadeur israélien aux Etats-Unis,
Itamar Rabinovich, qui, en guise de mise
en garde, a déclaré que ce serait « une
erreur de trop jouer la carte des
intérêts israéliens » en frappant la
Syrie. « Il n’est pas bon pour Israël
que l’Américain moyen se mette dans la
tête que les soldats sont de nouveau
envoyés à la guerre pour Israël. Ils
doivent y être envoyés pour
l’Amérique. »
Mais si ce n’est pas pour Israël,
alors pourquoi envoyer des soldats, ou
des missiles, du tout ?
Et la meilleure manière de prévenir
un retour de bâton contre Israël et ses
partisans serait d’interrompre tout le
projet de recourir à la force militaire
américaine contre la Syrie.
Mais quoi qu’il arrive, l’aventurier
téméraire Bernard-Henri Lévy pourra se
retirer dans son villa-palais à
Marrakech, pour réfléchir à de nouvelles
manigances.
Diana Johnstone
3 Septembre 2013
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Publié le 3 septembre 2013
Le
dossier Syrie
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