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Une occasion historique
Denis Charbit
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Alors qu’Israël se
prépare à célébrer son 59e anniversaire, le plan de paix
proposé par l’Arabie saoudite pourrait bien relancer à terme
le processus de normalisation des relations entre Israël et ses
voisins arabes. Peut-on imaginer plus belle perspective à
l’occasion de Yom Haatsmaout ?
En apparence, il n’y a rien là de très neuf
: l’initiative saoudienne approuvée par les représentants des
Etats arabes à Riyad n’est en fait que la reconduction de la résolution
antérieure votée il y a cinq ans au sommet précédent tenu
alors à Beyrouth. A l’époque, Ariel Sharon avait fait plus que
la rejeter : bon tacticien et piètre stratège, il a préféré
l’ignorer. Ni bonne, ni mauvaise, ni constructive, ni
destructive, à ses yeux, il valait mieux faire comme si elle
n’existait pas. En dépit de cette douche froide, les pays
arabes, et l’Arabie saoudite en tête, persistent et signent.
On peut toujours réduire une décision politique à des intérêts
étroits et immédiats : expliquer, par exemple, que les Saoudiens
ont besoin face aux Etats-Unis de redorer leur blason terni par la
présence de ressortissants saoudiens parmi les auteurs coupables
des attentats du 11 septembre. On peut aussi expliquer la réaction
plus constructive d’Ehoud Olmert comme une bouée à laquelle il
s’accroche désespérément pour redonner du lustre à son
autorité fortement ébranlée depuis la fin de la seconde guerre
du Liban et l’avalanche de scandales qui affectent sa crédibilité
intérieure. Il y a toutefois deux éléments contextuels qui
justifient une appréciation plus sérieuse et plus profonde de
l’enjeu qui se dessine : côté israélien, Olmert confirme
l’abandon d’une politique de retrait unilatéral et semble désormais
comprendre les avantages d’un règlement multilatéral pour
contourner la difficulté à reprendre une négociation bilatérale
tant que le Hamas ne s’est pas plié aux conditions préalables
définies par le Quartet.
Côté arabe, la confirmation de l’initiative saoudienne
illustre la nouvelle convergence d’intérêts entre Israël et
les régimes arabes modérés qui redoutent l’extension de la
marée islamiste. C’est, désormais, l’Iran islamiste et
chiite de surcroît qui représente la menace la plus tangible
pour la stabilité de ces régimes. Or, pour que ceux-ci tiennent
bon, la résolution du conflit israélo-arabe devient impérative.
Certes, il est probable que les islamistes tiendront tout accord
pour une trahison de l’islam, mais le consentement palestinien
à un règlement qui se situera entre la Déclaration de Genève
et les paramètres Clinton sera un argument de poids face à ce
refus prémédité et automatique. Olmert a déjà pu percevoir
cette convergence lors de la seconde guerre du Liban :
les messages de soutien ne sont pas seulement venus des Etats-Unis.
Sadate, le précurseur
Qu’ils répondent à des intérêts étroits ou de longue durée,
ces facteurs ne devraient pas faire perdre de vue la portée de
cette résolution dans l’histoire du conflit israélo-arabe.
Pour nombre d’entre nous, le refus d’Israël par le monde
arabe fut longtemps associé à un lieu : Khartoum. On se souvient
sans doute qu’en août 1967, aux propositions israéliennes de négociation,
le monde arabe avait unanimement déclaré un triple refus : non
à la reconnaissance d’Israël, non à la paix, non à la négociation.
La tendance belliciste l’avait nettement emporté : ce qui avait
été conquis par la guerre serait restitué par la guerre. Ces
trois « non » de Khartoum étaient le message adressé à Israël
pour l’avenir, ils résumaient de la manière la plus lisse
l’attitude fondamentale, la position de principe des
Palestiniens et du monde arabe depuis le début. Tel fut le
discours, le rituel, la langue de bois, et c’est de ce bloc de
radicalité qu’il fallait partir. La Transjordanie pouvait bien
trouver un terrain d’entente avec les leaders du yichouv : à
l’heure H, le roi Abdallah déclara la guerre le 15 mai 1948 aux
côtés de quatre autres pays arabes. Dès qu’il était question
de reconnaissance, de traité de paix, le réflexe radical
l’emportait, et quand l’idée d’une négociation commençait
à germer, la perspective avortait aussitôt.
Il fallut l’autorité et le courage de Sadate pour que le tabou
soit rompu. Dix ans après la guerre des Six-Jours, dix ans après
Khartoum, Anouar El-Sadate était à Jérusalem et offrait le plus
cinglant démenti à ce malheureux triple « non ». Malheureux
pour Israël, car ce refus légitimait ou fournissait en tout cas
un sérieux alibi à ceux qui souhaitaient peupler la Judée-Samarie
pour qu’elle ne devienne plus jamais Cisjordanie ou patrie
d’un Etat palestinien; malheureux pour le monde arabe, car il
s’est lui-même placé dans une contradiction inextricable entre
un discours niant toute légitimité à Israël et une pratique
plus nuancée, plus complexe, plus réaliste incluant des
injections de pragmatisme, des négociations tacites, des
arrangements sur le terrain. Car les failles sont vite apparues
tant cette radicalité était contre-productive et irréaliste. La
négation officielle d’Israël n’a pas empêché ensuite les
protagonistes du conflit de négocier en 1949 un cessez-le-feu.
Mais cette ambivalence a généré ce discours funeste de la
trahison arabe chaque fois que la pratique n’a pas été à la
hauteur de l’étalon extrême que le monde arabe s’était
lui-même fixé.
Relance de la paix
Si la résolution de Riyad a un sens historique, il réside dans
cette rupture définitive avec ce refus. Israël est désormais légitime
ou plutôt, il le sera définitivement et fermement dès qu’un
accord avec les Palestiniens sera conclu. Si ce règlement
aboutit, on renouera ainsi avec l’accord Weizman-Fayçal établi
en 1919, à la veille du Congrès de Versailles aux termes duquel
Fayçal, fils de Hussein, gardien de la Mecque, et qui représentait
alors le nationalisme arabe tout entier, admettait avec
bienveillance la création d’un Foyer national en Palestine
destiné aux Juifs. L’accord est resté depuis lettre morte :
Fayçal fut empêché de prendre les responsabilités politiques
qui lui avaient été promises à la tête d’un royaume syrien.
Etabli finalement en Irak, il n’avait plus prise sur la région
d’où germait le conflit. Aujourd’hui, le monde arabe n’est
plus unifié et Israël a signé entre-temps deux accords de paix
avec l’Egypte et la Jordanie qui sont intégralement respectés
pour tout ce qui concerne les dispositions militaires, sécuritaires
et diplomatiques, mais qui n’ont pas eu de prolongement culturel
et économique substantiel. Les échanges commerciaux demeurent
restreints; la méfiance, surtout, entre les peuples, n’a pas été
rompue. Les caricatures anti-israéliennes aux relents antisémites
sont légion dans la presse égyptienne. Aussi un cadre multilatéral
est-il aujourd’hui indispensable. Certes, ce ne sera que le début
: un accord entre les Etats est un préalable, mais il ne suffit
pas pour consolider et enraciner un règlement définitif qui
suppose le consentement des peuples.
Sommes-nous donc au début d’une révolution copernicienne vis-à-vis
d’Israël dans le monde arabe ? Il convient d’être prudent.
Une fois de plus, il faut que les attentes de chacune des deux
parties se réalisent parallèlement; il faut également présenter
aux deux parties des exigences claires. Ainsi, Olmert ne peut se
contenter de répondre à l’initiative en estimant qu’elle est
intéressante et constructive, en priant les pays arabes de réviser
leur copie à cause du paragraphe sur le droit au retour. Il est
irréaliste d’exiger en préalable d’une négociation ce qui
peut et doit en être l’issue. En revanche, il n’est pas
incongru d’exiger la fin du boycott diplomatique d’Israël. La
diplomatie secrète a ses vertus, la diplomatie publique a aussi
ses retombées positives. Elle convaincra l’opinion israélienne
que le geste de Sadate n’était pas unique. Assad ferait bien
lui aussi de s’en inspirer. Rencontrer le dirigeant syrien ou
saoudien n’est pas synonyme d’une normalisation avec le monde
arabe, laquelle ne saurait advenir que lorsque l’enjeu de la négociation
sera clarifié : la fin de l’occupation et la création d’un
Etat palestinien à côté d’Israël.
C’est alors que la longue marche pour la reconnaissance d’Israël
parviendra à son terme :
elle aura été longue, épineuse, cahotante. Y a-t-il eu des
occasions manquées ou bien fallait-il passer par toutes ces étapes,
ces évolutions et ces régressions ? L’Histoire le dira. Pour
l’instant, une occasion se présente. Elle doit être saisie.
Denis Charbit, correspondant
israélien
© CCLJ 2005
Publié avec l'aimable autorisation du CCLJ
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