|
CCLJ
Olmert et l'effet boomerang
Denis Charbit
Ehud Olmert
L'indulgence du Rapport final de la Commission Winograd à
l'égard d'Ehoud Olmert a de quoi surprendre. Que faut-il en
penser ? 6 mars 2008 La vie
publique en Israël réserve souvent bien des surprises : alors
que la presse avait laissé entendre, il y a six mois, que le
rapport intérimaire de la Commission Winograd serait indulgent
envers le Premier ministre, les termes employés ont été
accablants pour Ehoud Olmert qui ne s'attendait pas à un
réquisitoire aussi sévère. Fort de ce précédent, on avait donc
annoncé cette fois que le ton du rapport définitif serait aussi
dur sinon plus, et contraindrait le Premier ministre à remettre
immédiatement sa démission. Là aussi, c'est le contraire qui
s'est produit. L'objet de ce dernier rapport était,
rappelons-le, d'examiner la décision de lancer une opération
terrestre à la veille du cessez-le-feu imminent imposé par
l'ONU. Plusieurs journalistes y étaient allés de leur enquête et
affirmaient mordicus que cette opération n'avait eu d'autre
finalité que de fournir à Olmert et à Dan Haloutz, le chef de
l'état-major, une sorte de photo-finish honorable pour faire
oublier les ratés et les ratages de la guerre. Compte tenu du
bilan particulièrement lourd -33 morts, près d'un tiers des
soldats tombés sur le front- pour un résultat plus que médiocre,
on ne peut imaginer d'accusation plus grave, et il est certain
que si les membres de la Commission Winograd l'avaient retenue,
Olmert n'aurait pu faire face à l'indignation générale et rester
une minute de plus à son poste. Lavé de cette accusation, le
Premier ministre pouvait balayer tout le reste du rapport qui
n'est pourtant pas tendre avec lui.
Olmert était bon pour la guillotine. Vingt-quatre heures plus
tard, la bombe politique qui devait le faire sauter avec son
gouvernement était désamorcée. Par un effet boomerang,
l'accusation censée le tuer l'a finalement sauvé puisqu'elle
s'avérait infondée. Olmert s'en est sorti, mais l'opinion qui,
en général, admire plutôt ceux qui s'obstinent et s'accrochent,
est restée plus que mitigée devant cette performance qui leur
paraît douteuse.
Commission d’enquête ou sanction publique
Quelles en seront les conséquences sur le plan de la culture
politique d’Israël ? Sur le gouvernement ? Et d’abord, que
faut-il penser de l’instrument, de ces fameuses commissions
d’enquête mises en place en période de crise pour apaiser les
tensions ? Voilà, en effet, un dispositif dont l’usage en Israël
est particulièrement répandu alors que dans d’autres
démocraties, un tel recours n’existe pas.
Ce qui préside à son existence est peu ou prou l’idée largement
appuyée par l’opinion selon laquelle pour juger objectivement
d’un échec, il faut confier l’enquête et le jugement à une
structure judiciaire indépendante du gouvernement, de la Knesset
et des partis politiques, composée de personnalités compétentes
et intègres. Mais faut-il pour autant attribuer à une commission
de ce type l’autorité nécessaire pour mettre à la porte des
ministres et, à plus forte raison, un chef de gouvernement ? Une
commission doit-elle se substituer à la sanction publique qui
peut toujours s’organiser si l’opinion se mobilise ?
Souvenons-nous : Golda Meir n’avait pas été inquiétée par la
Commission Agranat chargée d’examiner l’incurie de Tsahal lors
de la guerre de Kippour, c’est la pression publique directe qui
eut raison de la légitimité démocratique dont elle jouissait. En
l’occurrence, la Commission Winograd, nommée par le
gouvernement, n’avait pas le droit de prendre des décisions
exécutoires relatives aux personnes, seulement de faire des
recommandations, ce dont elle s’est abstenue compte tenu du fait
que deux des trois personnes sur la sellette avaient déjà remis
leur démission avant la fin de ses travaux : Dan Haloutz et Amir
Peretz, le ministre de la Défense. Aussi accablant qu’ait été le
Rapport, on regrette néanmoins que l’attention publique se soit
exclusivement portée sur cette dimension personnelle. Rien n’a
été dit, par exemple, de la politique de levier consistant à
faire pression sur la population civile alors que les résultats
d’une telle politique se révèlent à chaque fois médiocres et
viennent même de subir une nouvelle défaite cuisante à Gaza ces
jours derniers lorsque les pressions sur la population gazaouie
ont été contournées par le Hamas en ouvrant manu militari la
frontière palestino-égyptienne. C’est l’absence de débat public
qui est plus navrante encore, d’autant qu’une opération
terrestre est projetée à Gaza et que l’on risque de refaire les
mêmes erreurs.
Une aubaine pour Netanyahou ?
Une autre leçon de la seconde guerre du Liban, du Rapport
Winograd et de ses retombées, c’est l’échec de la protestation
menée par les réservistes et une partie des parents endeuillés.
Ce mouvement n’a pas réussi à entraîner l’opinion publique
derrière lui alors même qu’Olmert ne jouit pas -c’est le moins
qu’on puisse dire- d’une solide réputation. Mais puisque
l’opinion publique ne s’est pas mobilisée, par apathie plus que
par sympathie pour Olmert, pourquoi la Knesset ne s’est-elle pas
résolue à prendre ses responsabilités ? Après tout, c’est bien
elle, et elle seule, qui est habilitée légalement à interrompre
l’exercice du pouvoir assuré par un gouvernement légitimement
élu.
La crainte de nouvelles élections ? Rien de plus faux : la
démission d’Ehoud Olmert n’aurait pas entraîné de nouvelles
élections anticipées. Israël est revenu depuis 2001 au système
parlementaire initial selon lequel en cas de démission du
Premier ministre, il incombe au Président de l’Etat d’Israël,
soit aujourd’hui à Shimon Peres, de confier la composition d’un
nouveau gouvernement au leader capable de réunir une majorité.
Netanyahou avait-il ses chances ? On ne peut l’exclure bien que
l’addition des partis religieux et de droite n’aurait pas suffi.
Il lui aurait fallu débaucher des députés du Parti des
Retraités, voire de Kadima. Est-ce pour empêcher une telle
éventualité que la Commission s’est montrée indulgente ? Il est
diffamatoire pour chacun des sages de la Commission Winograd de
le penser, mais un propos maladroit d’un des membres a suffi
pour étayer l’hypothèse, à tort ou à raison, selon laquelle la
Commission avait été inspirée dans la rédaction de ses
conclusions par des motifs politiques. Bref, on nage en pleine
théorie de la conspiration, ce qui illustre la dégradation de la
confiance de principe envers toute institution et ses
détenteurs. Auraient-ils cherché à barrer la voie à Netanyahou ?
C’est prêter aux membres de la Com-mission les calculs d’un
citoyen ordinaire. Mais ce qui est possible et légitime pour ce
dernier ne l’est pas pour quelqu’un qui occupe une fonction
officielle. Qu’il y en ait eu qui ait abusé de ce pouvoir ne
doit pas justifier l’opprobre et le soupçon généralisé.
***
Une stratégie risquée
Une bonne part de l’indulgence pour Olmert dans l’opinion de
gauche et du centre s’explique, sans doute, par ses orientations
de paix telles qu’il les a formulées lors de la Conférence
d’Annapolis ou par le souci de stabilité politique. Inversement,
ceux qui réclament son départ immédiat sont mus par des
considérations opposées : la crainte de voir le processus
aboutir. Mais Olmert est-il déterminé à accélérer le rythme de
la négociation ? C’est assurément son intérêt politique s’il
veut apparaître au centre et à gauche comme le seul leader qui
puisse résister à Netanyahou et évincer Ehoud Barak de la
course. Mais Olmert préférera se manifester par des coups
spectaculaires, tels l’élimination à Damas de l’un des cerveaux
du Hezbollah, plutôt que par de substantiels progrès dans la
négociation avec Mahmoud Abbas. Cette opération lui vaut
légitimement l’approbation générale alors que tout progrès vers
la paix est toujours susceptible d’ébranler la stabilité du
gouvernement actuel qui repose sur le maintien du Shas dans la
coalition.
Et l’opinion publique dans tout ça ? Elle reste perplexe,
attentiste. La conjoncture lui semble peu propice à une vraie
relance. Mais à ne jouer que la carte de la prophétie
auto-réalisatrice, qu’on ne s’étonne pas du résultat. Une
opération à Gaza aura-t-elle pour objectif le renversement du
Hamas ? Et si c’est le cas, qu’en sera-t-il de légitimité d’un
Fatah rétabli au pouvoir dans les fourgons de l’étranger ?
© CCLJ 2005
Publié le 13 mars 2008 avec l'aimable autorisation du CCLJ
|