|
CCLJ
La fin d'une époque
Denis Charbit
Amir Peretz n'a pas marqué le renouveau
3 décembre 2008
Si les prévisions se confirment, le Parti travailliste subira une
défaite électorale sans précédent lors du prochain scrutin. A
l’image de l’ensemble de la gauche sioniste, ce parti traverse
une véritable crise de représentativité.
La gauche israélienne est malade. Les grands mandarins qui
accourent à son chevet déclarent avec gravité que l’acharnement
thérapeutique pour sauver le Parti travailliste est inutile. Le
constat qu’ils font ne peut être mis sur le compte
d’intellectuels frustrés en mal de copie. Pour avoir été si
longtemps de fidèles compagnons de route, Amos Oz, Avraham B.
Yehoshua et David Grossman ont gagné le droit de s’exprimer,
même si leur réquisitoire est sans pitié : le Parti travailliste
a épuisé sa mission historique et peut désormais rendre son âme,
plutôt que de persister à prolonger une longue et pénible agonie
qui serait, au vu de sa gloire passée, déshonorante. On a dit du
parti de Ben Gourion qu’il a construit le pays pour le meilleur
et pour le pire. Même si la mémoire collective et
l’historiographie critique ne veulent en retenir que le pire, il
mérite un juste repos, pour reprendre le titre d’un livre d’Amos
Oz dans lequel apparaissait, d’ailleurs, la figure de l’ancien
Premier ministre, Levi Eshkol.
Le Parti travailliste ne dépasserait pas, nous disent les
sondages, la barre des 10 sièges et deviendrait le cinquième
parti représenté à la Knesset. Plus dure sera la chute. Cela
fait pourtant bien longtemps que les signes inquiétants étaient
apparents : l’addition des sièges remportés par la gauche
sioniste montre de manière éloquente son rétrécissement
électoral inexorable : près de 50 députés sur 120, jusque dans
les années 90 (sauf en 1977), puis la dégringolade irrésistible
au-dessous de 40, puis de 30 et, peut-être, cette fois entre 15
et 20 députés seulement. Cela s’appelle en politique, un
naufrage.
On demande un leader !
Les Israéliens ne veulent pas d’un cerveau, ils veulent un
leader. De gauche, de droite, du centre, ou d’ailleurs s’il le
faut, qu’importe, pourvu qu’il inspire la détermination, la
compétence, le savoir-faire et la confiance. Qu’il donne le
sentiment qu’il sera capable d’affronter les tempêtes
intérieures, régionales, diplomatiques et économiques. Dans ce
concours d’image, il est indéniable que Netanyahou « nouvelle
manière » l’emporte sur Tzipi Livni qui, du fait de son échec à
former un gouvernement, va devoir affronter la critique de son
inexpérience. A ce jeu-là, c’est peu de dire que Barak n’a pas,
comme le chef du Likoud, réussi son retour.
Le facteur principal du malaise de la gauche semble pourtant,
avant toute chose, d’ordre sociologique. La vocation d’un parti
de gouvernement est de ratisser large. Il ne suffit pas de faire
le plein des voix, il faut encore veiller à ce qu’elles soient
réparties le mieux possible sur l’ensemble du territoire et dans
l’ensemble des couches sociales. Bref, il faut être
représentatif : au-delà de l’arithmétique électorale, le parti
au pouvoir doit rassembler parmi ses électeurs des hommes, des
femmes; des Juifs, des Arabes; des laïques, des religieux; des
Ashkénazes, des Séfarades; des sabras, des nouveaux immigrants;
des couches urbaines, des couches rurales, des gens du Nord et
du Sud, du centre et de la périphérie; des bourgeois aisés, des
classes défavorisées. L’équilibre parfait est impossible, mais
il suffit que le dosage existe et varie dans ses proportions
d’un parti à l’autre. Pour triompher, un parti politique doit
associer leadership, compétence et représentativité. Personne ne
conteste la compétence de députés et de ministres travaillistes.
Ce parti n’a jamais manqué et ne manque pas de parlementaires
consciencieux et rompus aux arcanes de la vie parlementaire. Le
problème majeur des Travaillistes n’est pas affaire d’idée ou de
compétence, mais de représentativité. Consultez les résultats
des consultations législatives récentes, vous serez frappé de
constater qu’il est de larges pans au sein de la société
israélienne où le Parti travailliste ne récolte aucune voix :
parmi les habitants des implantations, c’est bien normal; auprès
des religieux; au sein de la population arabe, l’effondrement
est général en vingt ans; parmi les classes moyennes
inferieures, la situation n’est pas meilleure, elle est
consternante : vous ne trouverez pas une seule ville de
développement qui accorde ne serait-ce que 10% des suffrages a
la gauche. Parmi les Juifs originaires de l’ex-URSS, le score
est tout aussi médiocre.
Amir Peretz avait fait entrevoir le renouveau possible.
Toutefois, déjà en 2006, alors qu’il était le leader du Parti,
on a mesuré les limites électorales de la révolution escomptée.
Comme si, par bon sens, les foules attendaient d’être
convaincues par des bilans plutôt que par des promesses. On a
vu, au grand désarroi des gens de gauche sincères qui se sont
engagés dans ce pari perdu, le résultat : désastreux.
Toute la gauche en crise
La situation du Meretz est presque aussi navrante. Car s’il est
bien un parti intègre, avec des députés consciencieux, toujours
prêts à déposer des amendements ou des projets de lois, et des
parlementaires chevronnés, c’est bien le Meretz. Il est le parti
comme les Israéliens le souhaitent, indépendamment des idées
qu’il défend. Mais voila, cela ne suffit pas : son profil
sociologique est, lui aussi, trop homogène. La tentative de Ran
Cohen d’être numéro 1 du Meretz a échoué, et avec elle, l’espoir
d’incarner une gauche sociale, populaire, militante, dans ses
objectifs comme dans ses adhérents, et demain ses électeurs. La
gauche sociale est toujours le parent pauvre comparé à la gauche
pacifiste. Quelque chose sonne faux lorsqu’elle parle de droits
sociaux, de défense des travailleurs. Comme si le souci des
droits de l’homme l’avait rendu sourde aux difficultés
économiques et sociales des plus démunis de la société
israélienne. Le processus de paix reste toujours plus porteur
que les courbes du chômage. Et lorsque Beilin a quitté la
direction du Parti, c’est Haim Oron qui a été élu pour lui
succéder. L’homme est intègre et plein de mérites. Mais,
sociologiquement parlant, il représente toujours la citadelle
isolée du kibboutz, ou ce qu’il en reste.
Que faire donc pour conjurer cet état de fait ? Il n’y a pas de
recette miracle. Il faut partir à point, ne pas viser l’échéance
immédiate. Pas seulement. Renouveler les cadres, les personnes
et les idées. Aller les chercher, repérer les initiatives, les
associations à vocation sociale -elles sont légion-. Et à
travers elles, toucher les personnes avec lesquelles elles
travaillent, leur donner les moyens de s’exprimer et d’incarner
elles-mêmes ce nouveau souffle. Regardez ce que Dov Hanin
(communiste) a réussi à faire à Tel-Aviv. C’est ce modèle-là qui
doit inspirer la gauche qui va renaître. L’ambition doit être
grande ou elle ne convaincra personne : on ne peut se contenter
de voter une fois tous les quatre ans. Refaire le lien social.
Commencer depuis le commencement. C’est de la refondation de la
gauche qu’il s’agit. Pas moins.
« Deux peuples, deux Etats » toujours d’actualité
Tous les partisans du Grand Israël ne manqueront pas de faire
valoir que le déclin de la gauche est le signe le plus manifeste
de la faillite de la solution de « deux peuples, deux Etats ».
Tout d’abord, rappelons que Kadima a lui aussi adopté ce
principe. Mais quels que soient les résultats du scrutin, il n’y
a pas de solution de rechange. Ni le statu quo ni l’Etat
binational ne peuvent en tenir lieu. La communauté
internationale y demeure attachée, Barack Obama et la Ligue
arabe en tête. Les Israéliens restent foncièrement prêts à
opérer la dissociation des frères siamois que forment ensemble
Israël et Palestine - opération indispensable pour que les deux
peuples puissent continuer de vivre de manière autonome, et non
dans cette symbiose néfaste pour Israël et insupportable pour
les Palestiniens.
Certes, les Israéliens semblent réclamer un délai de plus, un
ultime répit : si l’on pouvait attendre que la situation se
clarifie entre le Fatah et le Hamas pour décider. Il n’entre pas
de mauvaise foi dans ce discours. Toutes les démarches qui sont
allées dans le sens du retrait territorial -le départ du
Sud-Liban en 2000 et celui de la bande de Gaza en 2005- n’ont
pas rassuré les Israéliens sur la bonne volonté d’en face, c’est
le moins qu’on puisse dire. En outre, certains estiment qu’après
l’assassinat de Rabin, tout accord doit être soutenu quasi
unanimement afin d’isoler ses opposants et qu’ainsi, la crise
intérieure peut être limitée pour être plus facilement
surmontée. Le résultat de ce discours, c’est la gauche qui en
fait les frais : la solution de deux Etats est bien la bonne,
mais on préfère que d’autres leaders que ceux de la gauche s’en
chargent. Denis Charbit.
Correspondant israélien
© CCLJ 2005
Publié le 12 décembre 2008 avec l'aimable autorisation du CCLJ.
|