LIBERTÉ D'EXPRESSION
Aymeric Chauprade, un libre
penseur à l'Université de Neuchâtel
David L'Epée
Aymeric Chauprade
Samedi 11 avril 2009
Vendredi après-midi, au Cardinal, à Neuchâtel, je prends le café
avec le professeur Aymeric Chauprade, chargé de cours dans notre
université où il enseigne l’histoire des idées politiques. Très
décontracté, ce spécialiste de géopolitique, par ailleurs
docteur en droit international et en science politique de la
Sorbonne, parle avec le détachement et le calme d’un
intellectuel maîtrisant parfaitement son domaine, loin de
l’agitation des grandes querelles du siècle. Et pourtant,
l’impression est trompeuse.
M. Chauprade se trouve en effet actuellement au coeur d’une vive
polémique et d’un vaste conflit d’intérêts qui lui ont valu en
France de perdre sa chaire de géopolitique au Collège
interarmées de défense.
Son crime ? Avoir exposé,
dans son dernier ouvrage "Chroniques du Choc des
Civilisations" (Chroniques-Dargaud, 2008) [1],
certaines hypothèses remettant en cause, à partir d’observations
scientifiques, la version officielle des attentats du 11
Septembre. « Je n’ai pas tiré de conclusions et
je n’ai pas pris position dans ce débat, se défend-il, je n’ai
fait que m’interroger. Je suis un chercheur, pas un
propagandiste. Or, la seule méthodologie scientifique sérieuse
n’est-elle pas celle qui comprend la pratique active du doute ? »
Impossible, en effet, de le
prendre en défaut sur ce point : à lire les quelques pages de
son livre traitant de la question, il apparaît clairement que
M. Chauprade se permet simplement de formuler, sans prendre
parti, un certain nombre d’objections techniques et factuelles
concernant ce qui nous a été dit sur les attentats de New-York.
Mais cela, c’était déjà trop.
Un article du Point daté du 4 février
l’accuse, sous la plume de Jean Guisnel, de "complaisance"
coupable pour la "théorie du complot". Six
heures à peine après la publication de l’article, le ministre
français de la Défense Hervé Morin ordonne le licenciement
immédiat de l’impertinent, au motif que ces quelques pages
contiendraient "des relents inacceptables […]
sur un complot israélo-américain imaginaire visant à la conquête
du monde [2]".
« Une fois le
couperet tombé, m’explique Aymeric Chauprade, les médias ont été
verrouillés et il n’a plus été question d’amener une
contre-information, à l’exception d’Internet, un espace de
liberté où je continue de m’exprimer et qui m’a valu un large
soutien. Pour le reste, je suis persona non grata ; j’ai été
déprogrammé à la dernière minute par plusieurs médias, dont
France-Culture, alors que mes interventions étaient planifiées
de longue date. Et le ministre a également pris soin de me
retirer mes galons de commandant de la marine, annulant entre
autres une mission à la Réunion à laquelle je devais prendre
part ces jours. »
Aymeric Chauprade a beau
parler plusieurs langues et parcourir le monde pour donner des
conférences ou participer à des opérations militaires (il était
officier de réserve de l’armée française jusqu’à son éviction),
il reste Français de coeur et, malgré sa sympathie pour les
peuples slaves et arabes, ne troquerait son identité gauloise
pour rien au monde.
A l’écouter parler, on devine
la sensibilité d’un souverainiste populaire et enraciné dans sa
terre, un enracinement que sa passion pour la géopolitique n’a
pu que confirmer. Il se réclame d’un courant réaliste de la
géopolitique, un courant pour qui les accointances et les
inimitiés idéologiques des nations comptent moins que leurs
rapports de force et leurs stratégies – stratégies souvent
fondées sur des alliances circonstancielles et des communautés
d’intérêts. Le discours des valeurs (morale libérale,
droit-de-l’hommisme, etc.) n’est selon lui qu’un masque pour
justifier des rapprochements ou des ruptures motivées uniquement
par la realpolitik.
Mais que se passe-t-il donc
en France, pays des Lumières, pour que, de plus en plus souvent
depuis quelques années, les intellectuels et les libres penseurs
y soient ainsi censurés et matés par la force ?
Aymeric Chauprade sourit d’un
air un peu désabusé et me présente la situation en quelques
points :
« Cette
polémique sur le 11 Septembre n’est que la partie émergée de
l’iceberg ; on me fait également payer mon opposition à l’OTAN
et au Livre Blanc de la Défense française, document qui
préconise une réforme de notre armée dans le sens d’une armée
supplétive aux forces américaines.
Le fait est que depuis
l’arrivée au pouvoir de Sarkozy, la France est presque
exclusivement dirigée par des gens qui, qu’ils viennent de la
droite ou de la gauche, étaient favorables à un engagement des
troupes françaises en Irak [3].
Regardez les ministres, regardez Bernard Kouchner, Hervé Morin,
Rama Yade et tous les autres, ils rêvent tous d’en découdre !
Le virage atlantiste pris par
la politique internationale de Sarkozy est comparable à une de
ces "révolutions de couleur" telle qu’on a pu en voir en Ukraine
ou ailleurs, c’est-à-dire une réorientation à l’ouest sous les
pressions de l’étranger. On a mis au pouvoir des
néo-conservateurs à la française qui n’attendent qu’une chose :
que les Etats-Unis déclarent la guerre à l’Iran pour pouvoir y
participer et payer leur tribut à l’empire. J’ai affirmé, dans
un amphithéâtre rempli par quatre cent officiers, mon opposition
à une guerre contre l’Iran et on ne me l’a pas pardonné. »
Mais pourquoi une guerre en
Iran ?
« Ceux qui
m’attaquent et veulent me faire taire tiennent à ce que la bombe
nucléaire au Moyen-Orient reste une exclusivité israélienne, ils
ne jurent que par cela. Après avoir placé des va-t-en-guerre à
tous les postes-clés du gouvernement, ils s’emploient maintenant
à épurer les autres institutions (médias, armée, etc.) de tous
les éléments dérangeants, de tous les esprits critiques, afin
d’être prêts à l’éventualité de cette guerre. Ma mise à l’écart
doit se comprendre dans ce contexte. »
Que reste-t-il alors de la
fameuse liberté française ?
« Les
atlantistes ont assassiné l’idée gaullienne qui a fait notre
grandeur et notre indépendance, déplore Aymeric Chauprade. Mais
je me battrai toujours pour notre souveraineté. Je crois que
nous n’avons rien à faire dans la collaboration d’un axe
américano-israélien et que, tout en préservant notre autonomie,
nous aurons au contraire tout intérêt à tourner nos regards vers
l’Est… »
Tiens donc, Aymeric Chauprade
serait-il russophile ? « Disons que je
m’intéresse beaucoup à ce qui se passe en Russie et que
j’apprécie ce peuple pour qui la souveraineté nationale n’est
pas un vain mot. »
La souveraineté nationale ?
« Il est évident aujourd’hui que l’Etat-nation
se présente comme la moins mauvaise des structures politiques et
que tous les progrès sociaux à venir ne pourront se faire que
dans le cadre national. »
Voilà au moins, me dis-je, un
discours que nous avons peu l’habitude d’entendre dans nos
universités…
« Je prends
mon licenciement avec sérénité, confesse-t-il. Je ne suis pas
particulièrement carriériste ; ce qui compte le plus pour moi,
c’est de pouvoir être libre pour écrire. L’ostracisme dont j’ai
été victime aura au moins eu l’avantage de me donner un peu de
temps et surtout plus de liberté.
Je ne compte pas en rester
là, bien sûr, je peux compter sur certains socialistes et
certains bayroutistes pour amener la question de mon cas devant
l’Assemblée nationale. J’ai plusieurs casquettes, je suis
également éditeur chez Ellipses où je m’occupe du département
sciences politiques et histoire.
Et puis j’ai mes cours à
Neuchâtel, où j’enseigne maintenant depuis six ans ; je m’y
plais beaucoup et je crois être apprécié de mes étudiants. J’ai
été engagé à l’époque par l’ancien doyen – mes engagements
professionnels sont souvent le fruit de rencontres fortuites –
et j’enseigne ici à raison de quatre heures toutes les deux
semaines. La Suisse, conformément à sa tradition, reste une
terre d’élection pour les intellectuels critiques. »
Pourvu que ça dure !
Article paru dans « Le
Cafignon, le Journal des étudiant(e)s de l’Université de
Neuchâtel », No 129, Mars 2009, page 11.
Source :
http://www.unine.ch/cafignon/archives_pdfs/caf_n127WEB.pdf
[1]
Voir :
http://www.editions-chronique.com/thematiques/chronique_du_choc_des_civilisations/
[2]
Le Point, 5 février 2009.
[3]
NDA : On notera aussi – même si c’est un autre sujet – que les
membres de l’équipe dirigeante française ont également comme
point commun d’avoir été tous partisans de la ratification du
Traité Constitutionnel Européen de 2005 ; lorsqu’on pense au
rapport étroit qui unissent actuellement l’Union européenne et
les intérêts américains, on conviendra que ce parallèle prend
tout son sens.
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