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Ha'aretz
De
quoi avons-nous peur ?
Daphna
Golan-Agnon
Haaretz, 14 décembre
2006
www.haaretz.co.il/hasite/spages/800812.html
Des
dirigeants des Arabes d’Israël ont récemment publié une
invitation à débattre publiquement de l’avenir commun des
Juifs et des Arabes en Israël, dans le respect de l’égalité.
Les réactions dans les journaux en hébreu parlaient de « lettre
de divorce », passaient par « c’est
vous qui avez commencé en refusant le plan de partage »
et allaient jusqu’à la proposition paternaliste d’ignorer
l’essentiel de leurs propos et d’attendre jusqu’à ce que
« avec le temps, de
nouvelles structures politiques soient instaurées, qui offriront
une traduction plus fidèle et plus efficace aux désirs des
citoyens arabes ».
Le
document intitulé « Vision
future des Arabes palestiniens en Israël », qu’a
publié le Comité Supérieur Arabe de Surveillance, contient un
rappel du passé et une proposition de discussion sur un avenir
commun. Il est le produit d’un travail intense d’intellectuels
et de militants qui ont eu le courage de poser des questions qui
sont, depuis des années, repoussées hors du débat public.
« C’est
une invitation au dialogue », dit Jaber Asakla, un
militant dans le secteur social, qui a participé à la rédaction
du document. « Nous
voulons aborder la question fondamentale : comment gère-t-on
un Etat démocratique qui comprend plus qu’un peuple ? Nous
proposons une démocratie participative dans laquelle chaque
communauté dispose de droits collectifs, dans laquelle chacun des
deux peuples partenaires a la capacité et la liberté de gérer
ses propres affaires mais où les décisions communes sont prises
en commun ». Il y aura un « veto réciproque » sur les décisions cruciales touchant à la
gestion des divers domaines de la vie dans le pays, comme l’établissement
d’une Constitution et l’octroi de zones de préférence
nationale. Pour des décisions comme celles-là, majorité et
minorité doivent discuter jusqu’à ce qu’il y ait un accord.
On
peut discuter ce droit de veto réciproque, il convient de débattre
des moyens de parvenir à l’égalité, il vaut la peine de réfléchir
et de parler de la vie commune des Juifs et des Arabes ici, mais
on ne peut pas dire qu’il n’y a pas matière à discussion,
que les demandes sont impossibles, que ce document ne représente
pas l’opinion de la communauté arabe en Israël. Il vaut la
peine d’écouter ces voix qui ne demandent pas seulement une égalité
dans l’allocation des budgets et une égalité formelle, mais
aussi une reconnaissance des droits collectifs et de la copropriété
des Arabes sur ce pays.
Il
serait bon que nous nous demandions pourquoi nous avons si peur
d’entendre. Pourquoi nous continuons à prêter attention à des
spécialistes qui nous cachent, ainsi qu’à eux-mêmes, l’inéluctable.
Des
questions posées par ce document méritent d’être débattues
dans les écoles, au Parlement, au gouvernement et parmi les
intellectuels israéliens. L’écrivain Salman Natour réfléchit
sur la question de la double appartenance culturelle des « Palestiniens
en Israël ». « D’une
part », écrit-il, « l’appartenance
à ce lieu est la première composante de l’identité nationale
et culturelle parce que le lieu palestinien produit la langue littéraire
première en termes d’histoire, de géographie, de culture, de
problématique et de vision nationales, et tous ces termes qui
cristallisent la conscience des intellectuels palestiniens et de
tous les intellectuels quels qu’ils soient. »
D’autre part, écrit Salman Natour, « nous
vivons à l’ombre de l’Etat juif, nous parlons l’hébreu, consommons
de la culture hébraïque, rencontrons des intellectuels juifs,
nous les écoutons, leur parlons, nous les traduisons en arabe et
écrivons dans leur langue. » L’indécision sur cette
question des rapports à la double appartenance mérite discussion
et non pas d’être ignorée.
C’est,
semble-t-il, le premier chapitre, portant sur les droits
historiques et en particulier le droit au retour des personnes déplacées
ayant la citoyenneté israélienne, dans leurs villages, qui a
amené la réaction de repli dans la presse en hébreu. Le juriste
Yousef Jabareen, qui a rédigé le chapitre juridique, explique
que « les droits
historiques sont des blessures ouvertes dans le corps de la société
arabe en Israël. Les droits historiques font partie intégrante
des droits collectifs, en particulier quand il est question
d’une minorité autochtone comme l’est la minorité arabe qui
a subi une dépossession de terres dans les années qui ont suivi
la création de l’Etat. »
Pour
ce qui est de ces droits historiques, la majorité juive essaie de
dire qu’ils sont inexistants. La communauté juive redoute le
retour des personnes déplacées ayant la citoyenneté israélienne
dans leurs villages parce que leur retour est lié au droit au
retour des Palestiniens. Les auteurs du document disent en effet
clairement que, bien que le document se centre sur le système des
relations entre Juifs et Arabes en Israël, ils se considèrent
comme associés au combat « en
faveur d’une paix juste, globale et stable dans la région, par
la création d’un Etat palestinien indépendant et une solution,
juste et de commun accord, au problème des réfugiés. »
Un
débat ouvert et courageux entre leadership juif et leadership
arabe en Israël est réclamé aujourd’hui afin de nous
permettre d’avoir un avenir d’égalité en Israël et de paix
juste dans la région. Ce débat doit s’ouvrir par la
reconnaissance de l’expulsion et du déplacement des Arabes en
1948, et pas simplement en remédiant à la discrimination
actuelle. Les dirigeants arabes en Israël proposent le dialogue
en vue d’une réconciliation. Cela ne pourrait-il constituer le
début du chemin vers la construction d’un autre futur de
collaboration entre Juifs et Arabes ?
* L’auteur enseigne à la faculté de Droit de l’Université
Hébraïque
(Traduction
de l'hébreu : Michel Ghys)
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