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Les armées secrètes de l'OTAN (X)
La guerre secrète en Belgique
Danièle Ganser
Bâle, le 6 juin 2011
Cet article fait suite à :
1. « Quand
le juge Felice Casson a dévoilé le Gladio… »
2. « Quand
le Gladio fut découvert dans les États européens… »
3. « Gladio :
Pourquoi l’OTAN, la CIA et le MI6 continuent de nier »
4. « Les
égouts de Sa Majesté »
5. « La
guerre secrète, activité centrale de la politique étrangère de
Washington »
6. « La
guerre secrète en Italie »
7. « La
guerre secrète en France »
8. « La
guerre secrète en Espagne »
9. « La
guerre secrète au Portugal » Dès le début de la
seconde guerre mondiale, la Belgique fut vaincue et occupée par
les troupes allemandes. Le gouvernement belge fut contraint de
se réfugier à Londres où il resta en exil jusqu’à ce que les
Alliés libèrent l’Europe. Durant cette période difficile, les
hauts responsables du gouvernement et de l’armée collaborèrent
étroitement avec les Britanniques à la création de mouvements
clandestins de résistance qui devaient opérer dans la Belgique
occupée. À partir de l’été 1942, le SOE britannique entreprit
d’aménager des dépôts de munitions et d’entraîner une armée
secrète. Les Anglais mettaient à disposition des équipements
radio et des appareils pour transporter hommes et matériel et
supervisaient depuis Londres les questions logistiques ainsi que
la formation et le débriefing des agents qui étaient envoyés
clandestinement derrière les lignes ennemies. Outre les
opérations de sabotage dirigées contre l’occupant allemand,
l’armée secrète belge collectait également des informations que
des agents transmettaient à Londres par radio, courriers ou
microfilms. Si l’impact de ce réseau de résistance fut
finalement marginal, la stratégie employée fut un véritable
modèle du genre : « Visant à précipiter la fin du conflit,
les activités de ce premier réseau stay-behind étaient
parfaitement organisées et suscitaient l’admiration des services
secrets américains et britanniques ». [1]
Comme l’ennemi nazi était remplacé par le communisme
soviétique, les armées secrètes furent reconstituées après la
guerre. L’enquête officielle démontra que le réseau stay-behind
actif en Belgique pendant la guerre froide était composé de deux
branches : le SDRA 8 et la STC/Mob. Le SDRA 8 était la branche
militaire placée sous le contrôle du SGR, le Service Général du
Renseignement de l’armée, lui-même dépendant du ministère de la
Défense. Son nom, parfois orthographié SDRA VIII, signifie « Service
de Documentation, de Renseignement et d’Action VIII ». Il
était composé de militaires formés au combat, au sabotage, au
parachutisme et aux opérations maritimes. Outre ses fonctions de
renseignement, le SDRA 8 devait aussi pouvoir concevoir des
itinéraires d’évacuation si la Belgique se trouvait envahie.
Dans le cas d’une occupation de l’ensemble du territoire, des
agents de ce service étaient censés escorter le gouvernement au
cours de son exil et garder le contact avec les agents secrets
restés pour combattre l’ennemi dans le pays. [2]
La branche civile du réseau stay-behind belge, la
STC/Mob, dépendait des services secrets civils, la Sûreté de
l’État, ou Sûreté, elle-même rattachée au ministère de la
Justice. STC/Mob signifie « Section Training, Communication
and Mobilisation ». Ses membres étaient des techniciens
formés à l’utilisation d’équipements radio. Ils étaient surtout
recrutés au sein de groupes « aux fortes convictions
religieuses censées garantir leur anticommunisme » il
s’agissait, d’après le rapport de l’enquête officielle sur le
Gladio belge, de « pères tranquilles, parfois même un peu
naïfs ». [3]
La STC/Mob « avait pour mission de collecter des
renseignements susceptibles d’être utiles au gouvernement dans
le contexte d’une occupation ennemie. La section avait aussi la
tâche d’organiser des itinéraires sécurisés pour l’évacuation
des membres du gouvernement et d’autres personnalités occupant
des fonctions officielles. » [4]
Un comité « Inter-Services » fut également créé en 1971
pour coordonner l’action des deux réseaux stay-behind belges. Il
se réunissait tous les six mois et le SDRA et la Sûreté en
assuraient tour à tour la présidence. Ces réunions visaient
établir la position commune à défendre lors des séances de l’Allied
Clandestine Committee, le centre de décision de l’OTAN pour les
opérations de guerre secrète. [5]
Cette structure double assez inhabituelle adoptée par l’armée
secrète belge trouve son explication dans la seconde guerre
mondiale. Les unités qui assuraient la collecte de
renseignements qu’elles communiquaient ensuite à Londres par
radio, courriers ou microfilms étaient alors placées sous le
contrôle de M. Lepage, directeur de la Sûreté, elle-même
rattachée au ministère de la Justice. Cette branche donna
naissance au STC/Mob. Les agents belges envoyés par Londres pour
sauter sur les territoires occupés et s’engager dans des
opérations clandestines de sabotage dépendaient, quant à eux, de
l’armée belge. Ce sont eux qui constituèrent par la suite le
SDRA 8. « Il ressort de ces explications », concluait le
rapport d’enquête parlementaire, « que, contrairement à
d’autres pays, la Belgique a disposé depuis l’origine d’une
organisation stay-behind à la fois civile et militaire ». [6]
Les membres de l’armée secrète belge étaient « pour la
plupart des monarchistes convaincus », précise un rapport du
SOE anciennement confidentiel, « c’est pour cela qu’il n’y
avait pas de résistants communistes dans ses rangs ». [7]
Après le débarquement et la libération de la Belgique,
États-uniens et Britanniques s’inquiétèrent de l’influence des
communistes belges. Tout comme en Italie et en France, ceux-ci
étaient profondément respectés par la population belge en raison
de leur courage et du rôle crucial qu’ils avaient joué dans la
lutte contre l’occupant nazi. C’est pourquoi, fin 1944, les
autorités britanniques et belges s’empressèrent de désarmer la
Résistance et de réarmer la police. [8]
« Au lendemain de la guerre, un puissant parti communiste
s’est imposé avec, je crois, 21 sièges au Parlement, une
première dans l’histoire de la Belgique », raconta
l’historien Étienne Verhoyen dans un documentaire de la BBC
consacré à Gladio. « Ça ne s’était jamais produit auparavant
et, compte tenu de l’expansion internationale du communisme, les
gens de droite s’alarmèrent de cette “menace communiste” planant
sur la Belgique. » [9]
Julian Lahaut, syndicaliste,
résistant, homme politique.
Assassiné le 18 août 1950, probablement par des éléments du
Gladio.Julian Lahaut était le chef charismatique du parti
communiste belge. Arrêté par les Allemands, il avait passé les
années de guerre en prison et, à sa libération en 1945, il avait
été nommé président honoraire des communistes belges. Lahaut
s’opposait ouvertement au retour du roi des Belges Baudouin,
qu’il considérait, comme une partie de la gauche, comme une
marionnette à la solde du centre droit et des États-Unis. « La
gauche était fermement opposée au retour du Roi, les
sympathisants de la droite y étaient bien sûr favorables,
certains d’entre-eux établirent les premiers contacts avec
l’ambassade américaine en 1948 », expliquait l’historien
Verhoyen dans le même documentaire. La droite belge contacta un
officier états-unien du nom de Parker, qui travaillait
probablement pour la CIA. D’après Verhoyen, Parker « tenait
non seulement à la campagne de restauration léopoldiste mais
également à ce que soient créés des groupes stay-behind destinés
à assurer la résistance anticommuniste ». [10]
Quand le Roi Baudouin fut de retour en Belgique et prêta
serment en août 1950, Lahaut protesta au Parlement belge au cri
de « Vive la République ! » Pour la droite belge, un tel
acte était impardonnable et le signe que les communistes
constituaient une menace grave pour les institutions. Un climat
de tension s’installa dans le pays. Deux semaines plus tard, le
18 août 1950, Lahaut fut abattu par deux hommes devant son
domicile. La population belge fut profondément choquée par cet
assassinat. L’extrême droite et son réseau clandestin venaient
de se débarrasser du plus populaire des communistes belges. [11]
Paul-Henri Spaak, trois fois Premier ministre du
Royaume, négocia le déploiement du Gladio dans son pays.
Par la suite, il devint secrétaire général de l’OTAN. La responsabilité de l’armée secrète anticommuniste belge
dans ce meurtre reste à établir. Il est cependant quasiment
certain qu’elle était déjà opérationnelle au moment des faits.
Dans une lettre adressée au Premier ministre Paul-Henri Spaak en
date du 27 janvier 1949, le patron du MI6 Stewart Menzies
insistait sur la nécessité de poursuivre la coopération
anglo-belge initiée pendant la seconde guerre mondiale. « Il
a été convenu que cette collaboration entre nos services secrets
respectifs devait continuer sur la base des traditions remontant
à la première guerre mondiale et réaffirmées par M. H. Pierlot
[Premier ministre belge de 1939 à 1945], M. A. Van Acker
[Premier ministre belge en 1945-1946 et prédécesseur de Spaak]
et moi-même. » Menzies soulignait notamment que « la
mise en place d’organisations de renseignement et d’actions
utiles en cas de guerre », comprenez le fonctionnement de
Gladio, devait se poursuivre. « Les demandes en formation et
en matériel devront bientôt être formulées », expliquait
Menzies qui offrait également son assistance : « J’ai déjà
ordonné la construction de certaines installations destinées à
l’entraînement des officiers et de personnes recommandées par la
direction de vos services secrets et je serai bientôt en mesure
de vous procurer les nouveaux équipements actuellement en cours
de production ». Le patron du MI6 demandait à Spaak de ne
pas divulguer le contenu de la lettre mais il insistait surtout
pour que celui-ci ne choisisse pas de collaborer exclusivement
avec la CIA et suggérait : « que certains officiers se
rendent au Royaume-Uni dans les mois qui viennent afin
d’étudier, en collaboration avec [ses] services, les aspects
concrets de ces questions ». [12]
Le Premier ministre belge répondit au chef du MI6 qu’il se
réjouissait de recevoir l’aide des Britanniques tout en
indiquant que les États-uniens avaient également approché les
autorités belges à ce sujet et qu’il jugeait donc préférable que
Washington et Londres règlent d’abord la question entre eux afin
que la Belgique ne se retrouve pas dans la situation délicate de
devoir choisir entre les deux alliés. « Je conviens tout à
fait qu’une collaboration des trois services (britanniques,
américains et belges) serait extrêmement profitable. » Spaak
ajoutait : « Si des deux services, américain et belge, l’un
venait à rejeter cette collaboration, les services belges se
trouveraient dans une situation extrêmement délicate et
difficile. C’est pourquoi il me semble que des négociations
s’imposent au plus haut niveau entre Londres et Washington afin
de régler cette question. » [13]
À l’issue de ces « négociations au plus haut niveau »,
les services secrets états-uniens, britanniques et belges
créèrent un organe baptisé « Tripartite Meeting Brussels »
(TMB), parfois appelé aussi « Tripartite Meeting Belgian »,
chargé de superviser la création du réseau stay-behind
belge. En récompense de sa loyauté, Spaak fut nommé secrétaire
général de l’OTAN en 1957, la plus haute fonction pour un civil
au sein de l’alliance militaire, poste qu’il occupa jusqu’en
1961. Étant décédé 11 ans plus tard, il ne put être entendu dans
le cadre de l’enquête officielle sur le Gladio belge. « Plusieurs
documents attestent que les responsables politiques de l’époque
avaient conscience de la gravité de la situation et approuvaient
l’idée de négociations en vue d’établir une collaboration
étroite avec les services secrets américains et britanniques »,
résuma le rapport des sénateurs belges. « Cette coopération
fut même consolidée avec la création du Tripartite Meeting
Belgian/Brussels à la fin des années 1940. » [14]
Si on ignore encore aujourd’hui la plupart des détails
concernant les organes de commandement de la guerre secrète, on
sait cependant que, parallèlement au TMB, d’autres centres
furent créés sous les acronymes de CCUO, CPC, ACC et SDRA 11.
Les preuves dont nous disposons aujourd’hui sur Gladio suggèrent
que les structures trilatérales furent privilégiées dans
l’immédiat après-guerre puisque le Royaume-Uni et les USA
avaient dans le même temps formalisé leur coopération secrète
avec le Gladio néerlandais en créant un Tripartite Committee
Holland (TCH) au sein duquel siégeaient les représentants des
trois pays impliqués. [15]
Il semble qu’un accord du même type ait également été conclu
entre la Grande-Bretagne et la France qui signèrent le 4 mai
1947 un pacte de collaboration secrète stay-behind. [16]
Le 17 mars 1948 fut fondé le Western Union Clandestine Committee
(WUCC), en français le Comité Clandestin de l’Union Occidentale
ou CCUO. Avec pour mission d’anticiper en temps de paix une
éventuelle invasion soviétique, il s’agissait d’un centre de
coordination du réseau clandestin Gladio où siégeaient cinq
pays : le Royaume-Uni, la Belgique, les Pays-Bas, le Luxembourg
et la France. [17]
« D’autres pays avaient adopté la même stratégie ; ils
constituaient une unité indépendante du TMB et tentaient de
développer une politique commune pour encadrer les préparatifs
d’une possible guerre future », observèrent les sénateurs
belges qui indiquèrent également que les USA n’auraient rejoint
le CCUO qu’en 1958. [18]
Robert Schuman (France), Dean
Acheson (USA) et Ernest Bevin (Royaume-Uni), les principaux
artisans de l’organisation états-unienne de l’Europe occidentale
contre l’influence soviétique.L’auteur Jan Willems a enquêté sur le Gladio belge. Selon
lui, la création du CCUO au printemps 1948 était la conséquence
directe d’un discours prononcé à Londres par le ministre des
Affaires étrangères de Grande-Bretagne Ernest Bevin le 22
janvier 1948. Ce jour-là, il exposa devant le Parlement
britannique son plan pour une « Union Occidentale », une
organisation internationale destinée à contrer ce qu’il appelait
la menace soviétique en Europe, que représentaient selon lui
l’Armée rouge d’une part mais aussi, et surtout, la subversion
communiste en Europe Occidentale. Bevin était convenu avec
Washington, comme le révèle un mémorandum états-unien daté du 8
mars 1948, qu’« à l’heure actuelle, le problème n’est pas
tant de nous préparer à une agression extérieure mais d’être
prêts à lutter à l’intérieur de nos frontières contre une
cinquième colonne soutenue par une puissance étrangère ». [19]
Le CCUO, parfois également appelé WUCC ou CCWU, était chargé de
deux missions de sécurité : garantir que des discussions
politiques et militaires puissent se tenir en toute
confidentialité et développer des formes de coopération pour
lutter contre la subversion et les tentatives d’infiltration. « La
finalité était de développer des mécanismes permettant
d’éliminer les candidats communistes des institutions du
pouvoir ; d’après certains documents américains, cet objectif
fut atteint. » [20]
Après la création de l’OTAN à Paris en 1949, le CCUO fut,
comme l’enquête du Sénat belge permit de le découvrir, intégré à
l’alliance militaire et rebaptisé « Clandestine Planning
Committee » (CPC). « En conclusion, le combat contre
l’ennemi interne a toujours fait partie intégrante du pacte de
l’OTAN depuis sa signature en 1949 », souligne Willems. [21]
Comme les opérations de guerre secrète menées par l’OTAN
s’intensifiaient, un second centre de commandement fut créé au
sein de l’Alliance, l’Allied Clandestine Committee (ACC) qui se
réunit pour la première fois en France les 29 et 30 avril 1958,
sous la présidence de la France. Après que le général de Gaulle
eut contraint l’OTAN de quitter le pays, l’ACC déménagea en
Belgique en 1968 et, sous le nom officiel de SDRA 11, il
installa son quartier général dans les locaux des services
secrets militaires SGR à Evere, juste à côté des bâtiments de
l’OTAN. Le SDRA 11, la couverture de l’ACC, était « financé
par l’OTAN », nous apprend le rapport d’enquête, tandis que
le SDRA 8, la branche du Gladio belge chargée des opérations
spéciales, était à la charge du ministère de la Défense belge. [22]
La dernière réunion connue de l’ACC eut lieu à Bruxelles les 23
et 24 octobre 1990, sous la présidence du directeur du SGR, le
général Raymond Van Calster, celui-là même qui sortit de ses
gonds quand des journalistes l’interrogèrent au sujet du centre
secret. [23]
Michel Van Ussel, qui avait fait partie du Gladio belge sous
le nom de Georges 923 dans les années 1980, expliqua dans un
ouvrage paru en 1991 que l’ACC jouait avant tout un rôle de
coordination. « Les activités qui nécessitaient une certaine
coordination étaient discutées au sein de l’ACC. Il s’agissait
notamment de l’utilisation des systèmes radio, des zones de
parachutage des agents sur le terrain, des codes par lesquels
ils devaient entrer en contact les uns avec les autres, du
franchissement des frontières, etc... » Van Ussel détaillait
également comment les services secrets militaires profitaient de
l’ACC pour échanger des idées et débattre des opérations
clandestines : « Pour ce qui est de la collecte de
renseignements, des missions d’évasion et d’exfiltration et des
opérations aériennes et maritimes, chaque pays membre de l’ACC
suivait les mêmes procédures qui avaient été préalablement
discutées et convenues par l’ensemble des participants.
Cependant, chaque pays demeurait libre de mener d’autres “
activités “ qui n’étaient pas évoquées lors des réunions ou
alors uniquement en petit comité entre les instructeurs. » [24]
Le Sénat belge eut beaucoup de mal à établir la vérité
concernant les centres secrets de l’OTAN. Lors de son audition,
le général Raymond Van Calster induisit délibérément les
sénateurs en erreur en ne mentionnant pas l’existence au sein de
l’appareil de renseignement militaire belge du SDRA 11, la
vitrine officielle de l’ACC. [25]
En outre, certains officiers de l’armée refusèrent purement et
simplement de témoigner devant les parlementaires en prétextant
avoir prêté le serment suivant : « Je jure solennellement de
ne jamais divulguer ces informations en dehors de tout milieu
protégé ou en présence de toute personne non autorisée et ce,
même après avoir quitté mes fonctions au service de mon pays, à
moins d’avoir été libéré de cette obligation par un ordre
officiel, spécifique, exprès et catégorique ». Les sénateurs
en prirent ombrage et inscrivirent dans leur rapport que leur
enquête sur la guerre secrète menée par l’OTAN avait été « gravement
entravée par l’obstruction des personnels militaires impliqués
qui se sont réfugiés derrière leurs obligations de secret
vis-à-vis de l’OTAN, lesquelles s’appliquaient également aux
activités effectuées par eux dans le cadre du CPC ». [26]
La sénatrice Cécile Harnie du parti vert belge déplora par la
suite que la commission d’enquête belge sur Gladio, dont elle
était l’une des membres, ait été incapable de découvrir la
vérité sur les tueries du Brabant et surtout d’établir
clairement les implications de l’OTAN. Elle souligna à juste
titre que les témoins invoquaient invariablement le secret de
l’OTAN pour refuser de répondre aux questions relatives aux
connexions existant entre les deux secrétariats internationaux
des réseaux Gladio, l’ACC et le CPC, et le quartier général de
l’Alliance en Europe, le SHAPE. Après la dissolution de la
commission sénatoriale en octobre 1991, Cécile Harnie appela
donc à ouvrir une enquête plus approfondie sur le rôle précis
joué par l’OTAN. Les principaux organes de commandement de
l’Alliance étant situés à Bruxelles, Mons et Casteau, la
Belgique semblait le terrain le plus propice à une enquête
approfondie sur les armées secrètes. Mais malgré cette position
privilégiée, la requête de la sénatrice fut rejetée. [27]
Au cours de leur enquête, les parlementaires belges
découvrirent avec étonnement à quel point l’armée secrète, le
SDRA 8, était soigneusement dissimulée au sein même des services
secrets de l’armée (le SGR). Quand fut découverte l’existence du
réseau clandestin, l’appareil du renseignement militaire belge
se divisait en 5 départements dont le SDRA 8 qui employait près
de la moitié des 300 personnes travaillant pour le SGR. Le SDRA
avait été créé au début des années 1950 par le colonel Charlier,
un ancien du SAS, les forces spéciales britanniques, et qui
avait, au moment du scandale, le grade de lieutenant-colonel et
occupait la fonction de chef d’État-major de l’armée belge. Le
SDRA était lui-même composé de huit unités parmi lesquelles on
retrouvait, aux côtés du réseau stay-behind top secret
SDRA 8, la gendarmerie belge, sous le nom de code SDRA 6. Les
sénateurs apprirent bien plus tard, que dans la plupart des
pays, l’organisation paramilitaire clandestine était camouflée à
l’intérieur même des services secrets militaires, à la manière
des « poupées gigognes », dont chacune en renferme une
autre plus petite, rendant ainsi impossible au Parlement
l’exercice de son rôle constitutionnel consistant à superviser,
contrôler et, au besoin, à mener l’enquête sur les agissements
des services secrets. [28]
Comme tous les autres réseaux stay-behind en Europe,
le SDRA 8 était composé d’instructeurs et d’agents formés par
ceux-ci. Il semble que le réseau ait compté jusqu’à dix
instructeurs tandis que « le nombre total des agents
s’élevait à 40. En règle générale, les instructeurs contactaient
leurs agents deux fois par mois. » [29]
Les conseillers auprès de la commission sénatoriale estimèrent
qu’un effectif total de 50 membres était vraisemblablement bien
en deçà de la vérité, mais, un grand nombre de documents
essentiels ayant été détruits, il fut impossible de clarifier
cette question. À l’instar des autres réseaux stay-behind, le
SDRA 8 et la STC/Mob civile étaient organisés en cellules. En
cas d’occupation, les instructeurs devaient quitter le pays
alors que leurs agents étaient censés rester en territoire
ennemi pour bâtir leurs propres réseaux : « Les agents
étaient formés de telle manière qu’ils puissent à leur tour en
recruter d’autres dans l’hypothèse d’une occupation du pays,
afin de constituer un réseau dont ils prendraient la tête. La
stratégie d’enrôlement obéissait à une structure pyramidale. De
cette façon, le réseau pouvait se développer cinq fois. » [30]
Au sein de la STC/Mob, chaque instructeur connaissait
l’identité de ses propres agents, mais il ignorait celle de ceux
placés sous les ordres des autres instructeurs ; quant aux
agents, ils ne se connaissaient pas entre eux. Afin de garantir
le plus haut niveau de confidentialité, les informations
n’étaient divulguées qu’aux personnes strictement concernées et
seul le directeur de la Sûreté, qui dépend du ministère de la
Justice, connaissait les noms des instructeurs et des agents de
la STC/Mob. M. Raes, qui occupa ce poste de 1977 à 1990,
prétendit devant la commission sénatoriale avoir « oublié »
le nom des agents tout en affirmant avoir étudié leur dossier
pour des raisons de sécurité. [31]
Le ministre de la Justice Wathelet déclara que la STC/Mob
comptait sept instructeurs en novembre 1990. « Chaque
instructeur recrutait, formait et entraînait un maximum de 10
agents volontaires », précise le rapport de la commission
qui confirme que la section comptait 45 agents à la fin de
l’année 1990. [32]
Si ces affirmations sont exactes, cela porterait les effectifs
de la branche STC/Mob du Gladio belge en novembre 1990 à
seulement 7 instructeurs et 45 agents, soit un total de 52
membres.
Nous connaissons les missions du SDRA 8 et de la STC/Mob
grâce à une lettre adressée aux Gladiateurs le 28 septembre 1991
et portant la signature du Premier ministre Van Houtte, du
ministre de la Justice Moyersoen et du ministre de la Défense De
Greef. Le Premier ministre écrivait : « Je dois vous préciser
la nature et l’esprit de la mission que vous a assignée le
gouvernement. Celle-ci consiste principalement à coordonner les
activités de résistance à l’ennemi sur le territoire national
occupé. » Puis, quelques lignes plus bas : « En temps de
paix, votre mission consiste à 1) étudier les conditions dans
lesquelles pourrait se développer une résistance à l’ennemi ; 2)
superviser la coordination des plans généraux conçus dans ce
but ; 3) sélectionner les personnes (...) destinées à rester en
Belgique afin de poursuivre votre travail sous votre autorité
dans le cas d’une occupation ennemie (...) ; 4) vous tenir
informés (...) de toutes les suggestions, dispositions et
décisions prises aux niveaux national et international et
relatives aux stratégies de défense en territoire occupé ».
Certains sénateurs s’inquiétèrent du fait que la mission du
réseau stay-behind inclut de réagir en fonction des
décisions internationales car cela impliquait que l’OTAN et des
puissances étrangères, parmi lesquelles les USA et le
Royaume-Uni, ait pu exercer une certaine influence sur
l’organisation belge. « Les chefs des deux services [SDRA 8
et STC/Mob] ont l’obligation », était-il spécifié dans la
lettre, « pour tout ce qui concerne la préparation des
résistances civile et militaire en territoire occupé, de vous
tenir informés des plans qu’ils élaborent, des activités qu’ils
entreprennent, des consignes qu’ils transmettent à leurs
subordonnés ou de toutes les directives qu’ils reçoivent des
autorités nationales et internationales ». [33]
S’en suivaient des indications sur les missions à mener en
temps de guerre. Le SDRA 8 devait se charger de : « a) la
collecte de renseignements pour l’armée ; b) le
contre-espionnage ; c) les actions suivantes : sabotage
d’objectifs militaires, collaboration avec des éléments des
forces alliées [les forces spéciales], opérations
paramilitaires, clandestines et de guérilla ; d) l’organisation
des réseaux de liaison et d’évacuation ». Quant à la
STC/Mob, elle avait pour missions : « a) la récolte
d’informations sur des sujets politiques, économiques et
sociaux ; b) la liaison entre le gouvernement en exil et les
réseaux de résistance civile dans le pays ; c) la guerre
psychologique et notamment les activités de presse et de radio
clandestines ; d) la désinformation visant à protéger les
activités précédemment citées ; e) l’organisation des voies de
liaison et d’évacuation nécessaires au succès des missions
citées plus haut ». [34]
Afin d’être capable d’opérer indépendamment des forces
régulières, l’armée secrète belge, comme tous les réseaux
stay-behind du continent, disposait de caches d’armes
secrètes réparties à travers tout le pays et renfermant des
fusils, des munitions, des pièces d’or et des explosifs. En
outre, comme ce fut le cas dans tous les pays de l’OTAN, elle
fut équipée vers le milieu des années 1980 de pas moins de 79
stations « Harpoon », achetées par le gouvernement pour
un total de 155 millions de francs belges. En comparaissant
devant les sénateurs, le ministre de la Justice belge
M. Wathelet témoigna que l’OTAN avait elle-même suggéré que
chacun des pays membres achète un tel matériel. « Compte tenu
des risques de dysfonctionnement ou de repérage posés par les
anciens systèmes, il fut décidé au sein de l’ACC de développer
un nouveau modèle de transmetteur radio », expliqua
Wathelet. « Le projet “ Harpoon “, dont il était souvent
question à la Sûreté de l’État, fut alors confié à la firme
allemande AEG Telefunken », suite à une décision de l’ACC,
le centre de commandement de Gladio. [35]
Les puissants transmetteurs Harpoon émettant en ondes
courtes et à haute fréquence permettaient de communiquer à 6000
km de distance sans avoir recours aux satellites, par rebond des
ondes sur la ionosphère. Grâce à des systèmes d’encodage très
sophistiqués, ils émettaient des messages quasi impossibles à
décrypter. [36]
Michel Van Ussel, qui fut un agent de la STC/Mob dans les années
1980, se souvint que « ces petites merveilles de technologie »
constituaient « une véritable prouesse technique : sans
exagérer, Harpoon est le système militaire de liaison radio de
l’an 2000, il n’avait, lors de sa mise en service, aucun
équivalent dans le monde ». Les transmetteurs portatifs
Harpoon ne pesaient que 8 kg, batteries comprises et se
présentaient « dans une élégante mallette protégée par une
combinaison chiffrée ». Ils étaient capables de recevoir et
de décoder aussi bien que d’encoder et d’envoyer des messages à
grande vitesse et ce, sans la moindre intervention humaine. Pour
la première fois depuis des décennies, les agents n’étaient plus
obligés de recourir au morse ni même d’être présents sur les
lieux pour transmettre leurs informations. [37]
La commission d’enquête établit que les agents de la STC/Mob
étaient entraînés en Belgique et qu’ils suivaient parfois « des
formations à l’étranger ». [38]
Le réseau stay-behind reposait en grande partie sur les
contacts internationaux et ses agents étaient contraints de
mener une double vie. « En ce qui me concerne, nous [mon
instructeur radio et moi-même] nous rencontrions environ une
fois par mois. La formation avait lieu chez moi, généralement le
vendredi soir, une fois que les enfants étaient couchés »,
raconta Michel Van Ussel qui précisa que « certains agents
n’osaient pas recevoir leur instructeur à leur domicile car
leurs femmes ignoraient tout de leur double vie ». [39]
Dans le cadre de manœuvres stay-behind internationales,
les agents de la STC/Mob devaient, par exemple, établir un
contact radio sécurisé avec le Gladio français. [40]
Van Ussel relata dans son livre le jour où il fut recruté :
« Un jour, un homme est venu chez moi pour me demander si
j’accepterais une mission confidentielle. Il m’a dit que c’était
dans le cadre de l’OTAN. Comme j’étais toujours en mesure de
refuser son offre, il n’est pas entré dans les détails. Il
valait mieux ne pas trop en dire parce qu’il s’agissait de l’une
des organisations les plus secrètes ayant jamais existé. »
Van Ussel accepta finalement de devenir un soldat de l’ombre. « Nous
avions une radio à notre disposition. Notre base était située
près de Londres et il y en avait une deuxième dans les environs
de Boston, aux États-Unis. » [41]
« En fait, c’est surtout par curiosité que j’ai accepté »,
analyse le Gladiateur, « entrer dans ce monde étrange, que
l’on imagine peuplé de silhouettes en imperméable et fausse
barbe ». Selon lui, la plupart des Gladiateurs étaient avant
tout curieux et aventuriers. « On était très loin »,
écrit-il dans son livre, « des grands idéaux d’honneur, de
sens du devoir ou de patriotisme (...) que l’on a parfois prêtés
aux membres et qui leurs étaient en réalité totalement étrangers ».
Van Ussel a considéré que le meilleur moyen pour les combattants
belges de tordre le cou aux théories de complots est de sortir
de l’ombre et de donner leur propre version de l’histoire car « plus
rien ne les empêche à présent de témoigner ». [42]
L’ancien agent de la STC/Mob précise que l’identité des
soldats de l’ombre était tenue secrète par la CIA et le MI6. « Comme
dans les meilleurs romans d’espionnage, chaque agent du Gladio
recevait un nom de code et un matricule. Ils étaient
systématiquement utilisés, notamment à l’occasion des exercices. »
Van Ussel avait lui-même reçu le nom de « Georges 923 »,
tandis que d’autres se faisaient appeler « Charles », « Isabelle »,
« Pollux » ou encore « King-Kong ». La véritable
identité des agents n’était connue « que de deux ou trois
personnes », explique Van Ussel alias Georges 923,
parmi lesquels l’officier qui avait personnellement recruté le
Gladiateur ainsi que celui qui le rencontrait à intervalles
réguliers pour lui transmettre ses instructions. [43]
Dans leurs quartiers généraux respectifs, la CIA et le MI6
conservaient un dossier sur chaque membre du réseau, « une
sorte de curriculum vitae » où figuraient le véritable nom
du Gladiateur, sa profession, son adresse, sa situation
familiale et d’autres données personnelles « dont le jeu
complet de ses empreintes digitales ! ». Le fichier
comportait également les codes de cryptage utilisés
spécifiquement par l’agent en question, les mots clés
d’activation ainsi que la localisation exacte des caches d’armes
qui lui étaient assignées. « Le fichier était lui-même crypté
et une copie en était conservée dans chacun des pays où se
trouvaient les bases radio », autrement dit au Royaume-Uni
et aux USA. « Le patron du SDRA 8 s’y rendait régulièrement
pour actualiser les dossiers. » [44]
Van Ussel précise en outre que « Les Britanniques et les
Américains étaient des correspondants privilégiés pour les
communications radio car les bases étaient (et sont encore
aujourd’hui) installées sur leurs territoires ». [45]
La plupart des membres du SDRA 8 étaient recrutés parmi les
parachutistes de l’armée belge. L’entraînement se déroulait au
camp militaire de Meerdaal, la formation au maniement des
explosifs au Polygone, à Brasschaat. Les agents enrôlés
portaient l’uniforme durant leurs entraînements et les
instructeurs belges étaient eux-mêmes formés en Grande-Bretagne
ou en Belgique, par des instructeurs britanniques affectés sur
place. [46]
Afin de camoufler la véritable nature de leurs missions au sein
du SGR, les services secrets militaires belges, les membres du
SDRA 8 prétendaient s’exercer à différentes techniques de guerre
conventionnelle. Il s’agissait principalement d’opérations
sous-marines et de parachutisme. [47]
Le SDRA 8 travaillait en étroite collaboration avec le SDRA 6,
la gendarmerie belge. Le commandant en chef de la gendarmerie
témoigna que jusqu’en 1990, l’hélicoptère Puma utilisé par ses
services avait été régulièrement utilisé par le SDRA 8 pour
l’entraînement aux opérations de parachutage dans l’obscurité
totale. [48]
Les agents stay-behind belges étaient eux-mêmes très
peu informés de la dimension internationale de Gladio. Ils
savaient seulement qu’ils faisaient partie d’une organisation
européenne dont les bases étaient situées à Washington et
Londres. Ils ignoraient tout de la structure globale de
l’organisation. [49]
À l’image de leurs homologues de toute l’Europe, les combattants
clandestins belges étaient « viscéralement anticommunistes »,
comme le révéla l’enquête parlementaire. [50]
Ils effectuaient des exercices en commun avec des officiers
américains et britanniques et avec des Gladiateurs d’autres
pays. Au fil des années, les agents du SDRA 8 prirent par à
plusieurs manœuvres nationales et internationales, en Belgique
et à l’étranger. Nous ignorons à combien d’exercices au total
ces hommes participèrent puisque la commission d’enquête ne se
vit remettre qu’une « liste incomplète » des informations
demandées, ce qui l’amena à supposer que « les documents
étaient souvent détruits une fois les manœuvres terminées ».
Les sénateurs purent toutefois confirmer que celles-ci étaient
organisées « à raison de plusieurs par an ». [51]
Étant donné que ces exercices devaient être effectués dans le
plus grand secret, on fournissait aux agents des papiers
d’identité spéciaux à présenter en cas d’interpellation. « Chaque
participant recevait une carte d’exercice qu’il devait montrer
en cas d’accident, afin de prouver qu’il prenait part à un
entraînement officiel. Sur ces cartes figurait le numéro de
téléphone du SDRA à contacter, lequel devait ensuite prévenir le
chef du SDRA 8. » [52]
Ces missions d’entraînement consistaient en des simulations de
collecte de renseignements, de franchissement de frontières et
d’opérations d’évacuation. Dans le cadre de l’un de ces
exercices, les agents du SDRA 8 devaient simuler l’observation
de navires soviétiques entrant et sortant des ports belges et
transmettre les informations à leur quartier général. Des
manœuvres internationales de ce type furent organisées durant
toute la durée de la guerre froide. Elles comportaient également
des opérations sous-marines en Corse que le SDRA 8 effectuait
conjointement avec le réseau stay-behind français. De
tels exercices eurent lieu jusqu’en 1990. En avril de cette
année, le général Charlier, chef de l’état-major, informa le
ministre de la Défense Guy Coëme qu’il venait d’ordonner de
mettre un terme à une série de missions effectuées par le SDRA
8, « principalement les opérations sous-marines et les
exercices effectués en Corse ». [53]
Mais les opérations du SDRA 8 à l’étranger ne se limitaient pas
à la Méditerranée, comme les sénateurs furent étonnés de
l’apprendre. À l’instar de leurs collègues portugais, les
membres de l’armée secrète belge furent également actifs dans
les colonies belges d’Afrique. « Il a été confirmé par un
dirigeant du SDRA 8 que les instructeurs paramilitaires ont pris
part à des opérations de l’armée belge au Zaïre dans les années
1970 (à Kisangani et Kitona) et au Rwanda », précise le
rapport des parlementaires. « Ces interventions constituent
une infraction flagrante aux règles établies, selon lesquelles,
pour des raisons de confidentialité, les instructeurs et les
agents ne devaient prendre part à aucune activité militaire ou
sociale en temps de paix. » [54]
Au cours de leurs missions internationales d’évasion et
d’évacuation en Europe, les agents du SDRA 8 et leurs collègues
du réseau Gladio faisaient passer des individus d’abri en abri
selon des itinéraires secrets et parvenaient ainsi à leur faire
franchir des frontières. « Souvent, ces exercices étaient
organisés à l’échelle internationale et simulaient la
récupération et l’exfiltration en un endroit précis d’un pilote
abattu ou d’agents étrangers entrés dans le pays avec une
mission spécifique (renseignement, sabotage). » Le système
européen Gladio fonctionnait à merveille, comme le découvrirent
avec étonnement les sénateurs belges : « Il convient
d’apporter deux précisions au sujet de ces exercices.
Premièrement, nous avons ici affaire à un réseau international
capable de faire passer un individu de Norvège en Italie en
toute clandestinité. Cela implique une très étroite
collaboration et une stricte coordination au niveau
international entre plusieurs services secrets »,
soulignèrent les sénateurs dans leur rapport. « Le deuxième
fait marquant est la parfaite infrastructure technique dont
disposait le réseau stay-behind : les personnes et les
équipements étaient convoyés ou récupérés par voie terrestre,
maritime ou parachutés. Leurs destinations étaient désignées à
l’avance et contrôlées. Les personnes étaient abritées dans des
bâtiments sécurisés. » [55]
La principale base de l’OTAN en
France est installée à Solenzara (Corse).
Jusqu’au scandale des années 90, les gladiateurs belges y
recevaient un entraînement.L’agent de la STC/Mob Van Ussel, alias Georges 923, se
souvient que le terrain privilégié pour les opérations
sous-marines était la Méditerranée, et notamment la base de
Solenzara, en Corse, qui « était par conséquent très bien
connue des familles de militaires belges en vacances ». [56]
Van Ussel insiste sur l’étroite collaboration existant entre les
armées secrètes européennes qui parvenaient en moins d’un mois à
faire passer un agent de Norvège en Italie sans que celui-ci
soit soumis à un contrôle douanier ou policier : « Nous
effectuions notamment l’exercice suivant : par une nuit sans
lune, un sous-marin anglais faisait surface au large des côtes
norvégiennes, un canot transportait furtivement l’agent sur le
rivage en suivant les signaux lumineux effectués depuis la plage
par un agent du réseau local. Le canot regagnait ensuite le
sous-marin pendant que le “visiteur” était intercepté par un
agent civil qui l’interrogeait et le fouillait, afin de vérifier
qu’il s’agissait bien de la personne attendue. Pris en charge
par l’organisation, le “ visiteur “ était ensuite conduit à
pied, à cheval ou en voiture de réseau en réseau jusqu’à
atteindre Kristiansand », sur la côte sud de la Norvège. « De
là, un pêcheur travaillant pour l’organisation le transportait à
Aalborg », sur la côte nord du Danemark, « où le réseau
danois prenait le relais. Ainsi, après un périple d’un mois via
les Pays-Bas, la Belgique et la France, le “visiteur” arrivait
finalement par un beau matin dans la région du Frioul, en
Italie, sans avoir été soumis une seule fois à un contrôle des
douanes ou de la police, ce qui constituait l’un des objectifs
de la mission », précise Van Ussel. « Sous surveillance
constante, il était passé entre les mains de plusieurs dizaines
de réseaux d’évasion. » [57]
Les officiers du SDRA 8 étaient formés au Royaume-Uni, mais
suivaient également un entraînement commun avec des commandos
états-uniens aux USA, comme permit de le découvrir l’enquête
belge : « La Commission a pu établir que plusieurs membres du
SDRA 8 ont bénéficié de l’entraînement des forces spéciales aux
États-Unis », il est également avéré qu’ils ont pris part à
des manœuvres de l’OTAN effectuées en Europe aux côtés des
forces spéciales américaines. « Les États-Unis ont ainsi
disposé », commentèrent les sénateurs, « d’un puissant
instrument qui leur offrait la possibilité d’influer sur la
situation intérieure d’un pays placé dans leur sphère
d’influence ». [58]
La principale question qui subsiste aujourd’hui en Belgique et
en Europe est donc : Les USA ont-ils tiré parti de cet
instrument malgré l’absence d’invasion soviétique ? Le Gladio
belge a-t-il fait usage de ses armes et explosifs en Belgique en
temps de paix ou, sinon, a-t-il assisté des groupes clandestins
d’extrême droite engagés dans des opérations militaires ?
Lucien Dislaire, lors d’une
reconstitution pour la presse de l’attaque de la caserne de
Vielsalm.
Leur enquête conduisit les sénateurs belges à répondre à
cette question par l’affirmative. Ils parvinrent à reconstituer
le déroulement d’un événement qu’ils appelèrent l’incident de
Vielsalm. En 1984, un escadron des US Marines décolla d’un
aéroport situé au nord de Londres. Après avoir sauté en
parachute au-dessus de leur cible, ils gagnèrent leur
destination où les attendait un agent du SDRA 8 qui devait leur
servir de guide dans la région. Dissimulant leur présence à la
population locale, les commandos états-uniens et les soldats de
l’ombre belge passèrent les 15 jours qui suivirent à se préparer
en vue de leur mission : l’attaque de nuit de la caserne de
Vielsalm, une ville du sud de la Belgique. Les Marines
approchèrent furtivement de leur objectif et ouvrirent le feu.
Un officier de police belge trouva la mort et un soldat US
perdit un oeil dans l’opération. [59]
Les sénateurs découvrirent que cette attaque avait été
perpétrée dans le cadre d’un exercice baptisé Oesling.
Des unités de l’armée belge menaient ce type d’opérations en
collaboration avec des membres des forces spéciales
états-uniennes environ une fois par an. « La Commission a à
plusieurs reprises cherché à savoir si le SDRA 8 ou ses
instructeurs ont ou non pris part à ces exercices Oesling. »
« Rappelons que c’est lors d’une de ces manoeuvres, en 1984,
que des armes ont été volées au commissariat de Vielsalm »,
précise le rapport d’enquête. Les membres du Gladio belge
prétendirent tout d’abord n’avoir pas participé à ces fameux
exercices. « Le dernier commandant du SDRA 8 a démenti toute
implication de son service dans des exercices de ce type, cela
n’entrait pas dans le cadre de sa mission et le risque pour ses
hommes aurait été trop important », indique le rapport. « Mais
cette déclaration fut contredite par un ancien commandant du
SDRA 11 et ancien patron des services secrets belges qui a
confirmé que le réseau a pu prendre part aux exercices Oesling.
Un autre responsable a témoigné que le réseau a participé à deux
exercices de type Oesling. » [60]
« Pendant des mois, les autorités civiles nous ont
expliqué que l’attaque était l’œuvre de simples criminels ou de
terroristes », se souvient le journaliste René Haquin. « C’était
quelques mois avant que je reçoive un certain coup de téléphone.
C’est ainsi que je me suis rendu en France où j’ai rencontré
Lucien Dislaire qui m’a longuement expliqué sa version des
faits. Il m’a dit qu’il avait participé à des manœuvres secrètes
censées reproduire des opérations de résistance et d’appui à la
résistance telles qu’elles s’étaient déroulées à la fin de la
guerre. » [61]
Quand tout le réseau stay-behind européen fut mis au jour
en 1990, le soldat Dislaire témoigna face caméra dans un
documentaire consacré à Gladio qu’outre Vielsalm, d’autres
exercices avaient également été effectués conjointement avec les
forces spéciales états-uniennes. « Je suis originaire du nord
du Luxembourg », expliquait Dislaire. « En ce temps-là,
j’étais directeur d’une banque en même temps qu’ex-parachutiste.
Un jour, des gens sont venus chez moi et m’ont demandé de l’aide
dans le cadre de manœuvres spéciales en coordination avec les
forces spéciales américaines. Les commandos belges avaient reçu
l’ordre de retrouver des parachutistes américains. Ils devaient
ensuite gagner leurs points de ralliement et prendre d’assaut
des bâtiments de la gendarmerie. Je reçus le matériel et les
armes nécessaires ainsi qu’un transmetteur radio pour coordonner
le tout. » [62]
René Haquin rappelait que l’opération de Vielsalm n’était
qu’une parmi d’autres au cours desquelles les forces spéciales
états-uniennes avaient opéré clandestinement sur le sol belge.
« Nous avions lu quelque chose sur l’attaque d’un camp
militaire des Chasseurs Ardennais, ici en Belgique. J’y suis
donc allé avec d’autres journalistes », racontait Haquin
devant la caméra. « Ils avaient coupé les clôtures, pris
d’assaut l’armurerie, blessé le garde et emporté avec eux une
certaine quantité d’armes. Je suis parvenu à pénétrer sur les
lieux grâce à quelqu’un que je connaissais là-bas. À
l’intérieur, j’ai vu des militaires étrangers, des Américains
notamment. » [63]
Le Gladiateur belge Dislaire confirma au journaliste René Haquin
que les forces spéciales états-uniennes avaient été impliquées à
plusieurs occasions dans des opérations clandestines en
Belgique. « Il y avait eu du grabuge quelques jours avant »
l’attaque de Vielsalm lui raconta-t-il. « Les Américains
étaient allés trop loin. C’était des types d’une quarantaine
d’années, des officiers, des durs à cuire. Ils ont vraiment
dépassé les bornes. Ils avaient attaqué des baraquements
auparavant. Ils avaient même lancé une grenade en direction des
bureaux du ministère public. » Dislaire confia au
journaliste que les méthodes violentes des commandos
états-uniens énervaient considérablement ceux en Belgique qui
avaient connaissance de ces opérations clandestines : « Les
autorités civiles ont réagi en déclarant que c’en était trop.
C’est à ce moment-là qu’a été annulé le projet d’attaque de la
caserne de Vielsalm. Nous avons appris le jour prévu pour
l’assaut que l’opération était annulée. » Mais il était trop
tard pour arrêter les forces spéciales. Dislaire raconta : « les
Américains m’ont demandé de les conduire au camp où ils
voulaient se tenir prêts à intervenir. Le lendemain matin, je
suis allé à Namur avec ma femme. J’ai entendu à la radio que la
caserne avait été attaquée à minuit. Je ne peux pas dire ce qui
s’est réellement passé car j’étais reparti dès 20 h ce soir-là.
Je n’étais pas censé rester. » Dislaire apprit ce qui
s’était passé le matin suivant. « Le lendemain, le commandant
de la caserne de Vielsalm m’a appelé et m’a informé de
l’opération. Il m’a dit de prévenir les commandos belges que le
garde n’était pas mort, qu’il était à l’hôpital, grièvement
blessé. » [64]
Il mourut peu après.
Après chacune de ces opérations menées au cours des années
1980, les autorités belges détruisaient soigneusement tous les
indices pour éviter que naissent des soupçons. L’armée stay-behind
belge demeura secrète et seules quelques attaques furent
officiellement confirmées. « Les autorités américaines et
belges interrogées finirent par admettre au bout de plusieurs
mois que des manœuvres avaient bel et bien été organisées et
qu’il y avait bien eu quelques attaques », expliquait René
Haquin. « Je me souviens, par exemple, de l’attaque d’un
dépôt de carburant de l’armée à Bastogne. Ou encore de l’assaut
d’un commissariat à Neufchateau. Les militaires admettaient peu
à peu la réalité de ces attaques. » Mais les détails sur
l’opération de Vielsalm ne furent pas divulgués. « Leur
dernière version de l’incident de Vielsalm était qu’un assaut
avait été planifié mais qu’il avait été annulé au dernier moment »,
rappelait le journaliste qui soulignait également que les armes
dérobées avaient été placées entre les mains d’un obscur groupe
d’activistes de gauche dans le but de faire croire à la
culpabilité des communistes : « Certaines des armes volées à
Vielsalm furent retrouvées dans un appartement appartenant aux
CCC, les Cellules Communistes Combattantes ». [65]
Pourquoi de telles opérations ont-elles été montées ? Et
comment les armes volées par les forces spéciales états-uniennes
à Vielsalm ont-elles atterri dans un squat bruxellois servant de
repaire à un groupe communiste belge ? « L’objectif de cet
exercice était double : mettre la Police belge en alerte et
donner l’impression à la population que le calme et prospère
Royaume de Belgique était sous la menace d’une révolution rouge »,
écrivit le journaliste britannique Hugh O’Shaughnessy dans un
article consacré à Gladio. [66]
Les communistes belges, tout comme leurs camarades italiens,
furent discrédités par ces opérations sous fausse bannière
menées conjointement par les forces spéciales états-uniennes et
le réseau stay-behind belge. Cette thèse fut confirmée
lorsque l’on découvrit que le groupuscule terroriste soi-disant
communiste incriminé, les CCC, n’était en réalité qu’une
création de l’extrême droite. D’octobre 1984 à l’automne 1985,
les CCC furent responsables de pas moins de 27 attentats. Le
groupe, dirigé par Pierre Carette, visait par des attaques
minutieusement préparées les symboles du capitalisme dont des
installations US liées à l’OTAN, des banques et des bâtiments
militaires. Le 17 décembre 1985, les leaders furent arrêtés et
le groupe démantelé au cours du plus important déploiement de
forces policières et militaires que connut la Belgique depuis
l’arrestation des nazis à la fin de la seconde guerre mondiale.
Les communistes tombèrent en discrédit jusqu’à ce que des
journalistes découvrent que le réseau terroriste bâti par Pierre
Carette au début des années 1980 était en fait composé d’agents
proches de l’extrême droite. Le bras droit de Carette, Marc de
Laever, rejoignit d’ailleurs par la suite un mouvement néo-nazi
allemand. [67]
Le ministre de la Défense Guy Coëme
se heurte au mur du silence.
Les militaires placés sous ses ordres refusant de répondre à ses
questions.
Il sera ultérieurement contraint à la démission, piégé dans une
affaire de contrat d’armement.« Il y a eu en Belgique toute une série d’événements non
élucidés : vers le milieu des années 1980, un groupe armé a
commis de nombreux meurtres dont nous ne savons toujours rien »,
rappela le ministre de la Défense Guy Coëme fin 1990 pour tenter
d’établir un lien entre l’armée secrète stay-behind belge
et les actes terroristes dont avait été victime la Belgique. [68]
« J’ai demandé au chef des armées, le général José Charlier,
s’il existait ou non une organisation de type Gladio en Belgique »,
expliqua Coëme lors de sa première allocution à la télévision
belge le 7 novembre 1990 devant des téléspectateurs médusés par
les révélations sur le réseau stay-behind européen. Il
maintint qu’en dépit de sa position de ministre de la Défense,
il n’avait jamais eu connaissance de l’existence de l’armée
secrète. « En outre, je souhaite savoir s’il existe un lien
entre les activités de ce réseau secret et la vague de crimes et
de terrorisme qu’a enduré notre pays aux cours des années
passées. » [69]
Le ministre de la Défense faisait référence aux tristement
célèbres tueries du Brabant, une série d’attentats terroristes
aussi inexplicables que sanglants qui firent 28 morts et de
nombreux blessés dans la région de Bruxelles entre 1983 et 1985.
Ces tueries avaient provoqué un vif émoi parmi la population et
demeurent l’épisode le plus tragique de l’histoire récente du
pays. Elles figurent d’ailleurs parmi les actes terroristes les
plus violents qu’ait connu l’Europe occidentale dans la deuxième
moitié du XXe siècle. Ces « tueries du Brabant »
désignent en réalité une série de 16 attaques à main armée
commises dans les environs de la province belge. La première eut
lieu le 14 août 1982 dans une épicerie de Maubeuge, dans le Nord
de la France. La dernière fut perpétrée le 9 novembre 1985 dans
un supermarché Delhaize, à Aalast, une ville de Flandre
orientale. Les 14 autres attentats, tous commis dans le Brabant,
prirent deux fois pour cible un restaurant, une fois un
chauffeur de taxi, une bijouterie, une usine textile, une
épicerie et à cinq reprises un supermarché de l’enseigne
Delhaize, chaque fois dans une ville différente. La police avait
observé qu’à chaque occasion, les coupables n’avaient emporté
qu’un butin dérisoire, rarement plus de 8 000 euros, et avaient
en revanche fait preuve d’une violence extrême et d’un grand
professionnalisme. [70]
Les tueries du Brabant visaient à instaurer un climat de
terreur parmi la population belge. Elles y parvinrent, comme le
prouva l’attaque du supermarché Delhaize, à Alost le 9 novembre
1985. Date importante dans le calendrier chrétien, le 9 novembre
est le jour de la Saint Martin, le Père Noël local, à la veille
duquel les enfants déposent devant la maison des carottes
destinées aux chevaux du Saint avant d’aller se coucher en
rêvant à leurs cadeaux. Le lendemain est traditionnellement un
jour d’affluence. Ce samedi-là les gens se ruèrent chez Delhaize
pour effectuer leurs achats de dernière minute. Les faits qui se
produisirent ont pu être reconstitués grâce aux témoignages des
personnes présentes. Trois hommes armés et portant des cagoules
sortirent d’une Volkswagen GTI garée devant le magasin. Le plus
grand des trois, qui était équipé d’un fusil à pompe, tua à bout
portant et de sang froid deux clients du supermarché. Une fois
parvenu au niveau des caisses, il commença à tirer au hasard sur
toutes les personnes présentes. « J’ai vu trois hommes
masqués surgir de derrière. Un homme a dit à son fils “
Couche-toi ! Les voilà ! », raconta un témoin anonyme au
cours d’un documentaire sur Gladio diffusé sur la BBC. « Un
automobiliste témoin de la scène qui tentait de s’enfuir fut
pris pour cible, sa voiture reçut 7 ou 8 projectiles et une
balle l’effleura juste derrière l’oreille. » La panique
régnait. « Une femme dont le visage était couvert de sang
hurlait quelque chose à son enfant. Je ne sais pas exactement
quoi. » [71]
Les allées du supermarché n’offraient aux clients terrifiés que
peu de possibilités pour se cacher ou se mettre à l’abri des
tireurs. Dans la fusillade qui s’en suivit, 8 personnes
trouvèrent la mort, dont plusieurs membres d’une même famille,
et 7 autres furent blessés. Un couple ainsi que leur fille âgée
de 14 ans furent achevés de sang froid devant les caisses. Un
autre père de famille et sa fille de neuf ans furent abattus
alors qu’ils tentaient de prendre la fuite en voiture. Le butin
de l’opération s’élevait à quelques milliers d’euros qui furent
retrouvés plus tard dans un sac ouvert dont les malfaiteurs
s’étaient débarrassés dans un canal. Les tueurs s’évanouirent
dans la nature et n’ont, à ce jour, toujours pas été jugés, ni
arrêtés, ni même identifiés. On ignore encore aujourd’hui qui se
cache derrière ces attentats que l’on a aujourd’hui coutume
d’appeler « tueries du Brabant ». [72]
Suite à ces meurtres, le ministre de la Justice Jean Gol
s’exprima à la télévision pour promettre plus de sécurité à une
population terrifiée. Ces actes de terrorisme répétés
provoquèrent la panique dans toute la Belgique. Les policiers en
faction à proximité des supermarchés reçurent le renfort de
parachutistes et de Jeeps équipées de pièces d’artillerie
légère. Témoins et experts s’accordaient à reconnaître que ces
tueries n’étaient pas l’œuvre de simples criminels mais bien des
opérations sanglantes menées par des professionnels aguerris.
Seul cela pouvait expliquer le calme et la détermination avec
lesquels ils avaient contrôlé la situation et fait usage de
leurs armes ainsi que l’assurance avec laquelle ils s’enfuirent
dans leur Volkswagen, au nez et à la barbe des policiers belges.
Agissant toujours avec un nombre réduit de complices, le plus
grand des suspects, qui fut impliqué dans la tuerie d’Alost, et
que les témoins et la presse baptisèrent « le géant »
reparut lors de plusieurs attaques à main armée, donnant des
ordres à ses hommes et faisant usage de son fusil SPAS 12 de
fabrication italienne. La violence extrême était la marque de
fabrique de ces hommes. Lors d’une fusillade qui eut lieu le 30
septembre 1982, un policier blessé gisait sur le trottoir
détrempé. Il fut mis à mort de sang-froid, à bout portant. Au
cours de l’attaque d’une épicerie à Nivelles, le 3 mars 1983,
les tireurs, au lieu de fuir après avoir assassiné un couple et
déclenché l’alarme, décidèrent d’attendre l’arrivée des forces
de police, lesquelles se jetèrent dans le piège tendu.
« Existe-t-il des liens entre ce réseau, les actes de
terrorisme et de grand banditisme observés en Belgique au cours
de ces dix dernières années ? », telle est la question à
laquelle fut chargée de répondre la commission d’enquête sur
Gladio nommée par le Parlement belge. Malgré leur remarquable
travail, les sénateurs ne furent pas en mesure de répondre à
cette question cruciale. Ce regrettable échec s’explique en
grande partie par le manque de coopération du SDRA 8 et de la
STC/Mob qui refusèrent de divulguer l’identité de leurs agents.
« La Commission n’a découvert aucun élément permettant de
conclure à l’existence de liens quels qu’ils soient entre le
réseau et les actes de terrorisme et de grand banditisme »,
conclut le rapport des parlementaires. « Le refus des
responsables du SDRA 8 et de la STC/Mob de révéler aux juges en
charge du dossier l’identité de tous leurs agents civils a rendu
impossible le fait de procéder aux vérifications qui auraient
probablement permis d’éliminer les doutes subsistant. » [73]
De même, le groupe de magistrats chargés de conseiller la
commission sénatoriale ne parvint pas à prouver l’existence de
liens entre le réseau stay-behind belge et les tueries du
Brabant. « Les juges ne disposent pour l’heure [en 1991]
d’aucun élément permettant d’envisager que des membres du SDRA 8
et de la STC/Mob aient pu jouer un rôle dans les actes criminels
qui ont tant ému l’opinion publique. » À l’instar des
sénateurs, les magistrats ne purent obtenir de résultats
concluants : « Les juges regrettent de ne pas être en mesure
de répondre à cette question avec plus de certitude : le silence
qui a été maintenu sur l’identité des agents ne permet pas aux
juges de procéder aux vérifications nécessaires pour établir
toute la vérité ». 74
Si l’armée secrète n’a rien à cacher, elle doit donc accepter
de révéler l’identité de ses membres, raisonnait la presse belge
tandis que les sénateurs faisaient face à des obstructions
constantes. Cependant les deux chefs du Gladio au sein de
l’exécutif belge, M. Raes, le tout-puissant directeur de la
Sûreté de l’État de 1977 à 1990 et du fait même responsable de
la STC/Mob, et le lieutenant-colonel Bernard Legrand, le patron
des services secrets militaires et donc du SDRA 8, refusèrent
purement et simplement et à plusieurs reprises de fournir la
liste de leurs agents. Le refus catégorique de l’exécutif de
répondre aux questions du législateur et de la Justice souleva
une vague de protestation dans la démocratie belge. Raes et
Legrand n’avaient aucun droit légal de refuser de coopérer
puisque leurs supérieurs hiérarchiques respectifs, le ministre
de la Justice Wathelet et le ministre de la Défense Coëme
avaient explicitement ordonné à leurs subordonnés de collaborer
à l’enquête sur le réseau stay-behind et de fournir la liste de
leurs effectifs. Mais ils ne furent pas obéis.
L’affaire des tueries du Brabant étant l’un des épisodes les
plus sensibles de l’histoire de la guerre secrète en Belgique,
la commission sénatoriale était convenue avec les ministres de
la Défense et de la Justice que les noms des individus ayant
fait ou faisant partie du réseau stay-behind ne seraient
communiqués qu’aux trois magistrats en charge du dossier, qui à
leur tour en garantiraient la confidentialité. Les trois juges
s’engageaient à ne divulguer que l’identité des personnes
éventuellement impliquées dans les exactions commises au cours
des années 1980. [74]
Ainsi, la discrétion était assurée à moins que ne soit établie
l’implication de soldats stay-behind dans les tueries du
Brabant. La proposition semblait honnête. Toutefois, Raes et
Legrand persistèrent, ils ne donneraient jamais aucun nom. On
tenta ensuite de trouver un compromis : à défaut des noms, que
les juges puissent au moins disposer des dates de naissance des
membres du réseau afin qu’ils puissent les comparer avec celles
des individus suspectés dans l’affaire des tueries du Brabant.
Mais ils essuyèrent un nouveau refus.
« Quoi qu’en dise le ministre, il subsiste de très bons
motifs de ne pas révéler l’identité des soldats clandestins.
Pour différentes raisons, sociales et familiales notamment, les
clandestins comptent sur la promesse qui leur a été faite »,
expliqua le commandant Legrand. « Je resterai inflexible. Je
ne donnerai pas le nom des combattants clandestins, à moins que
l’on puisse fournir des preuves », insista-t-il en sachant
pertinemment que, sans les noms aucune preuve ne pourrait être
établie. « C’est une organisation honorable. Je ne comprends
pas pourquoi on fait si grand cas de cette affaire », se
plaignit-il. « Quand je lis les journaux, j’ai du mal à
croire que l’on puisse prêter autant d’intérêt à des questions
de ce genre alors qu’il y a tant de problèmes plus importants. » [75]
Les sénateurs et les magistrats s’obstinèrent encore pendant
trois mois. La situation tournait au bras de fer. Mais au bout
du compte, c’est Raes et Legrand qui remportèrent la partie. Les
noms ne furent pas révélés et le 28 mars 1991 Le Soir, le
principal quotidien belge fit paraître de manière codée le
message suivant : « “Donnez-nous les noms !” “Jamais !”
répondent les “Gladiateurs”. L’heure du choc a sonné. Ici
Bruxelles. Chers amis de l’Opération Stay-Behind, la Section 8
vous assure de sa très haute estime et vous remercie de votre
dévouement à votre pays. Ils garantissent qu’il s’agit de
pressions et de menaces en l’air et que les engagements seront
honorés. Adolphe va bien ! » [76]
La commission d’enquête sur Gladio était humiliée. Les
sénateurs purent seulement établir que l’article paru dans Le
Soir avait été imprimé sur ordre de Legrand et que cela
pouvait être « considéré comme une forme de résistance
collective aux tentatives de la Commission d’obtenir les noms ». [77]
La phrase « Adolphe va bien ! » servait à indiquer que le
message émanait réellement des plus hautes autorités du réseau
stay-behind. L’affaire contraignit Raes et Legrand à la
démission et mit définitivement un terme à leur carrière dans
l’administration belge. Le 23 novembre 1990, le gouvernement
décida de démanteler son armée secrète et de mettre un point
final à toute collaboration avec des organisations analogues à
l’étranger. Le plus dur à admettre pour les sénateurs belges,
c’est que la CIA et le MI6 qui, en leur qualité de commandants
des réseaux stay-behind européens, étaient également en
possession des registres contenant l’identité des Gladiateurs
belges, refusèrent aussi de collaborer et ce, en dépit des
lourds soupçons qui pesaient dans l’affaire des tueries du
Brabant. La commission établit que « les noms des agents
étaient contenus dans des enveloppes scellées, conservées dans
des casiers à Washington et Londres par leurs services secrets
respectifs ». [78]
Alors que la presse belge concluait que les services de
renseignement britanniques et états-uniens étaient responsables
du mystère qui continuait d’entourer les tueries du Brabant, le
ministère de la Justice demanda en 1996 aux professeurs Fijnaut
et Verstraeten de l’université de Louvain d’enquêter sur les
raisons expliquant que le secret n’ait pu être levé en Belgique.
Cependant, les universitaires renoncèrent après seulement deux
mois d’enquête, invoquant un sérieux manque de coopération de la
part des institutions gouvernementales qui les auraient empêchés
de poursuivre leur travail. [79]
Sur quoi fut nommée une nouvelle commission parlementaire
chargée de découvrir pourquoi la démocratie belge était
incapable d’établir la vérité sur les tueries du Brabant. En
octobre 1997, celle-ci remit un rapport accablant de 90 pages.
Égrenant une suite d’exemples d’incompétence avérée observés au
cours des investigations menées immédiatement après les
attentats dans les années 1980, le rapport accusait la police
belge d’avoir conduit une enquête désorganisée et inefficace au
cours de laquelle certains documents avaient été perdus ou
détruits, certaines pistes négligées et certaines informations
non communiquées aux autres services collaborant à l’enquête. [80]
Le chercheur Allan Francovich apporta un éclairage nouveau
sur les tueries du Brabant en suivant la thèse d’une
collaboration entre certaines cellules de l’armée secrète belge
et l’organisation d’extrême droite Westland New Post (WNP). Déjà
en 1988, le journaliste d’investigation John Palmer avait
souligné que certains indices dans l’affaire des tueries du
Brabant désignaient « clairement l’extrême droite, et
notamment un groupuscule néo-nazi baptisé Westland New Post ». [81]
En 1974 avait été fondé en Belgique le très à droite Front de la
Jeunesse (FJ). Cinq ans plus tard, le FJ s’était doté d’un bras
armé : le WNP. « Né en 1974, le Front de la Jeunesse a existé
jusque dans les années 1980. Il se situait tantôt dans le
militantisme politique tantôt dans l’activisme », expliquait
son chef Francis Dossogne dans le documentaire de Francovich.
L’homme confirmait qu’il s’agissait bien d’un groupe « d’extrême
droite » tout en ajoutant que c’était « essentiellement
un mouvement de jeunes et de militants ». [82]
Dossogne admettait également que le FJ avait régulièrement eu
recours à la violence : « Le Front de la Jeunesse menait des
actions de subversion. Il remettait beaucoup de choses en
question, tout ce qui était bien établi. Le Front était
tellement subversif qu’ils ont voulu le dissoudre. »
Effectuant leurs entraînements paramilitaires de plus en plus
ouvertement, les membres du FJ firent rapidement l’objet de
critiques. « Le Front a été condamné à cause de ses camps. En
fait, on ne faisait rien de plus que les scouts. Certaines
compagnies vont beaucoup plus loin dans leurs entraînements
intensifs. » [83]
Dossogne fit une révélation particulièrement intéressante au
cours de cet entretien : il avoua que les membres du FJ avaient
fondé une branche d’activistes composée presque exclusivement de
membres de la gendarmerie belge. Sous le nom de SDRA 6, la
gendarmerie était elle aussi affiliée aux services secrets
militaires SGR, lequel dirigeait également le réseau
stay-behind, ou SDRA 8. Cette nouvelle branche du Front fut
tout d’abord baptisée « G » pour gendarmerie avant de
devenir le WNP. « Le Groupe G était une section du Front de
la Jeunesse au sein de la gendarmerie. En tant que gendarmes,
ils ne voulaient pas se mélanger aux autres et risquer d’être
impliqués lors de manifestations, etc... », expliqua
Dossogne. Le Gendarme Martial Lekeu joua un rôle déterminant au
sein du Groupe G puis plus tard au WNP. « Lekeu faisait
partie du Groupe G, il en a été l’un des premiers membres »,
rappela Dossogne face à la caméra. « Il était si impliqué
dans le groupe qu’il a par la suite informé le commandant en
chef de la gendarmerie de son existence. » [84]
Lekeu servit dans la gendarmerie belge entre 1972 et 1984,
après quoi il quitta le pays pour la Floride. Dans le
documentaire consacré au Gladio, il faisait état dans un anglais
approximatif de l’implication de certains éléments des services
secrets militaires et de l’appareil sécuritaire belges dans les
tueries du Brabant : « Mon nom est Martial Lekeu, je faisais
partie de la gendarmerie belge. J’ai quitté la Belgique en août
1984 après que mes enfants aient reçu des menaces de morts
sérieuses. Au début du mois de décembre 1983, je me suis rendu
personnellement à la BSR [Brigade Spéciale des Recherches, une
branche de la gendarmerie] de Wavre qui enquêtait sur les
tueries [du Brabant]. » Lekeu avait découvert que les
attaques impliquaient certains groupes au sein même de
l’appareil sécuritaire. « Je m’étonnais qu’il n’y ait pas eu
d’arrestation et je sais que j’ai moi-même signalé ce qui se
passait – on ne traitait pas à la légère des tueries de ce genre
– commettre des meurtres au hasard ou aller dans un supermarché
pour y tuer des gens, et même des enfants. Je crois qu’ils ont
tué une trentaine de personnes. J’ai donc dit à un homme [de la
BSR] que j’ai rencontré : “Est-ce que vous réalisez que des
membres de la gendarmerie et de l’armée sont mêlés à tout ça ?”
Sa réponse a été : “Taisez-vous ! Vous êtes au courant, on est
au courant. Occupez-vous de vos affaires. Et maintenant allez
vous-en !” Ils disaient que la démocratie foutait le camp, que
la gauche était au pouvoir, les socialistes et tout ça et qu’ils
voulaient encore plus de pouvoir. » [85]
Un rapport d’enquête parlementaire belge sur les tueries du
Brabant publié en 1990, quelques mois seulement avant que ne
soit révélée l’existence de l’armée secrète belge vint confirmer
cette version. « Selon ce rapport, les meurtriers étaient ou
avaient été membres des forces de sécurité – des militants
d’extrême droite adeptes des politiques sécuritaires qui
préparaient un coup d’État. » « On pense à présent »,
put-on lire dans la presse britannique suite à la publication du
rapport, « que les tueries du Brabant faisaient partie d’une
vaste conspiration visant à déstabiliser le régime démocratique
belge, peut-être pour préparer le terrain en vue d’un coup
d’État de l’extrême droite ». [86]
« La politique terroriste a été suivie par des paramilitaires
et des gens appartenant à l’appareil sécuritaire ou liés à
l’appareil d’État par une collaboration ou une certaine
proximité », observa le terroriste Vincenzo Vinciguerra,
résumant ainsi l’aspect le plus délicat de l’histoire des armées
stay-behind. Dans toute l’Europe occidentale, des
organisations d’extrême droite « étaient mobilisées pour le
combat dans le cadre d’une stratégie anticommuniste émanant, non
pas de groupuscules gravitant dans les sphères du pouvoir mais
bel et bien du pouvoir lui-même, et s’inscrivant notamment dans
le cadre des relations de l’État avec l’Alliance Atlantique ». [87]
Suivant cette piste, député Hugo Van Dienderen du parti Agalev
tenta d’en savoir plus sur les opérations clandestines menées en
Belgique en contactant l’OTAN. Deux ans avant que n’éclate
l’affaire Gladio, il demanda par écrit à l’Alliance si celle-ci
disposait d’une « Commission de Sécurité » secrète.
L’OTAN lui demanda d’abord pourquoi il posait une telle question
puis refusa de lui transmettre des informations spécifiques sur
ce sujet. [88]
Les soupçons quant à une protection spéciale de l’OTAN dont
aurait bénéficié le WNP grandirent lorsque, en octobre 1990,
sept membres de l’organisation d’extrême droite accusés d’avoir
volé des centaines de documents appartenant à l’OTAN et à
l’armée belge au début des années 1980 furent mystérieusement
relaxés par la plus haute cour martiale de Belgique et ce, en
dépit du fait que les documents en question aient été retrouvés
dans les bureaux du WNP et que les membres de l’organisation
aient confirmé que ceux-ci leur appartenaient bien. Dans le même
temps, les accusés nièrent catégoriquement avoir volé les
documents. « On a seulement obéi aux autorités ! », se
défendit l’activiste du WNP Michel Libert, qui souligna qu’en
s’emparant des dossiers, il avait agi par patriotisme et avec
l’autorisation de ses supérieurs de l’OTAN. Son collègue
Frédéric Saucez protesta : « Si j’ai volé des télex de
l’OTAN, c’était sur ordre de la Sûreté de l’État ». L’État,
comme l’avait annoncé à juste titre Vinciguerra, s’avéra
incapable de sanctionner ses propres fautes. Dans un premier
temps, le procès traîna en longueur, les accusés multipliant les
pourvois en appel auprès des juridictions supérieures jusqu’à ce
que, en octobre 1990, la plus haute instance juridique
militaire, le Conseil de Guerre, décide que les faits s’étaient
produits depuis trop longtemps pour qu’une sentence puisse être
prononcée contre les 7 prévenus. La Cour ajouta que la gravité
du crime était atténuée par le fait qu’il avait été perpétré aux
temps où la guerre froide était « plus qu’une simple
expression ». Les 7 membres du WNP furent sommés de rendre
les documents volés au ministère de la Justice et quittèrent le
tribunal, libres. [89]
L’un des prévenus, le militant d’extrême droite Michel
Libert, membre du WNP de 1978 jusqu’aux années 1980, confirma
par la suite dans un documentaire consacré au Gladio, qu’il
avait bénéficié de la protection de hauts gradés lors de ces
opérations. « Les membres les plus aptes », expliquait-il
fièrement devant la caméra, « peuvent constituer une branche
d’action ». Le chef du WNP Paul Latinus avait donné des
instructions pour des opérations clandestines. « Chaque fois
qu’une opération devait être exécutée, c’est à Latinus qu’on
confiait le boulot. Pour nous permettre de les mener à bien, il
lui fallait un soutien en cas de problème. » Il était
indispensable d’être protégé en haut lieu. « Vous ne pouviez
pas envoyer des jeunes recrues sur le terrain. Ils se seraient
retrouvés en moins de deux avec une balle entre les deux yeux.
Il y avait toujours des risques. Ils pouvaient être arrêtés par
la police locale au premier contrôle d’identité. La police
débarque toujours comme un cheveu sur la soupe. On ne peut pas
dire : “On est là pour telle ou telle mission.” “Et vous faites
quoi ?” “On ne peut rien dire.” Et alors clic, les menottes et
tout est fini. » [90]
Libert entendait-il confirmer que le WNP et les forces de
l’ordre belges avaient été impliquées dans les tueries du
Brabant ? Celles-ci constituaient-elles l’une de leurs « missions » ?
interrogea Allan Francovich, le réalisateur du documentaire. « On
recevait des ordres. On peut remonter à, disons, 1982. De 1982 à
1985 », répondit Libert en faisant référence à la période où
se déroulèrent les attaques. « Il y avait des projets. »
Des projets particulièrement secrets, reconnut-il. D’après son
propre témoignage, il s’était entendu dire : « Vous,
M. Libert, ne savez rien des raisons qui nous poussent à faire
cela. Rien du tout. Tout ce que nous demandons c’est que votre
groupe, avec le soutien de la gendarmerie et de la Sûreté,
effectue un travail. La cible : les supermarchés. Où sont-ils
situés ? De quel genre de systèmes de sécurité sont-ils
équipés ? Quel type de protection est susceptible d’interférer
dans nos opérations ? Est-ce le gérant lui-même qui ferme à clef
les accès ? Ou bien font-ils appel à une entreprise de
gardiennage ? » L’opération était top secrète et Libert
suivit les instructions à la lettre : « Nous avons exécuté
les ordres et envoyé nos rapports : Horaires d’ouverture et de
fermeture. Toutes les informations que vous pouvez demander sur
un supermarché. Dans quel but ? Ce n’était qu’une mission parmi
des centaines d’autres. Quelque chose qui devait être fait. Mais
l’utilisation qui en serait faite, c’est là la grande question. » [91]
« Si le but était de semer la terreur », observa
Davison, un journaliste, « les tueurs ont choisi les cibles
parfaites : des femmes, des enfants et des personnes âgées
abattues d’une balle alors qu’ils promènent leur chariot dans
les allées du supermarché du coin ». [92]
Dans la chaîne de commandement, l’extrémiste Michel Libert était
le dernier maillon. Il recevait ses ordres du commandant du WNP
Paul Latinus. « Il est clair que Latinus est l’une des pièces
les plus intéressantes de ce puzzle si l’on cherche à percer les
mystères politico-juridiques des années 1980 », écrivit un
journaliste du magazine belge Avancées qui avait compilé
une véritable somme sur les années de terreur en Belgique. Il
était, concluait ce journaliste, le lien « entre l’extrême
droite, la droite classique et les services secrets belges et
étrangers ». [93]
Paul Latinus comptait parmi les terroristes d’extrême droite
les plus notoires d’Europe. D’après son propre témoignage, il
était, entre autres, payé par les services secrets du Pentagone,
la DIA (Defence Intelligence Agency). Cet homme qui fut
ingénieur en sciences nucléaires et informateur de la Sûreté
Belge, avait été recruté par la DIA en 1967, à l’âge de 17 ans.
Il avait ensuite été formé par l’OTAN. Le journaliste belge René
Haquin, qui lui a consacré un ouvrage, rappelle que « lors
d’une enquête judiciaire dans laquelle il était impliqué,
Latinus mentionna le nom d’une agence étrangère : la DIA,
l’équivalent militaire de la CIA ». [94]
Dans les années 1970, il devint membre du BROC, le club des
officiers de réserve du Brabant, une organisation militaire
conservatrice fondée en 1975 et obsédée par le « péril rouge ».
En 1978, Latinus rejoignit le Front de la Jeunesse au sein
duquel il créa un département des opérations spéciales, le WNP.
Jouissant d’un excellent réseau de contacts, il poursuivit dans
le même temps une carrière au gouvernement où il fut l’assistant
du conseiller du ministre du Travail et siégea dans plusieurs
commissions. Lorsqu’en janvier 1991, le magazine de gauche
Pour révéla le parcours de militant d’extrême droite de
Latinus, celui-ci dut se démettre de ses fonctions officielles
et rejoignit le Chili de Pinochet. Mais au bout de deux mois
d’exil à peine, il fit jouer ses relations et revint en Belgique
au moment précis où débutaient les tueries du Brabant. Il reprit
le commandement du WNP et, entre autres activités, collabora
avec la Sûreté de l’État dans la lutte anticommuniste en
fournissant au ministère de la Justice des informations sur des
personnalités de la gauche belge. [95]
« Latinus avait rejoint le Front de la Jeunesse avec une
mission précise », rappelle Jean-Claude Garot, rédacteur en
chef du magazine Pour : « enseigner aux membres de
l’organisation à mener des attaques violentes, des attaques
contre des cafés tenus par des immigrants arabes, à organiser
des camps d’entraînement militaires et à effectuer des missions
de surveillance ». [96]
En enquêtant sur l’extrême droite belge, Garot avait suivi la
trace de Latinus jusqu’aux camps d’entraînement aux opérations
spéciales du WNP. « Parmi les membres des groupes
paramilitaires qu’ils formaient et entraînaient pour leurs
interventions figuraient des éléments de l’extrême droite,
d’anciens commandos parachutistes, d’anciens militaires
(gendarmes), et des militants de droite », c’est ce que
découvrit le journaliste bien avant que ne soit révélée
l’existence des armées secrète en 1990. « Ce genre
d’exercices incluait l’utilisation d’armes à feu et de grenades.
Cela fait du bruit et attire l’attention. Nous savions qu’un tel
camp existait. Nous avions des informations à ce sujet et nous
avons donc embarqué le matériel nécessaire afin de photographier
une partie de ces activités. » [97]
Le camp était situé dans les Ardennes et les instructeurs de
différents services secrets étaient présents lors des séances
d’entraînement. « Ces hommes formaient au recrutement, à la
surveillance et au maniement des armes. “Robert” enseignait
l’utilisation des explosifs, des armes, le tir et comment tuer
un homme sans laisser de traces. » [98]
Quand Garot publia ses découvertes, certains services
s’alarmèrent et tentèrent d’étouffer l’affaire. « Avec
quelques amis de la radio et de la télévision, nous avons
interrogé le général Beaurir. Il était alors à la tête de la
gendarmerie », se souvient Garot. « Au cours de
l’entretien, il a dit : “Tout cela ne s’est jamais produit.” Le
même jour, le juge d’instruction est intervenu. Mais où ? Ici
même [dans le bureau du journaliste]. Ils ont perquisitionné les
locaux et ont déclaré : “Jean-Claude Garot a menti. Il a
falsifié les uniformes, les photos et les armes, tout cela n’est
qu’une mascarade”. » [99]
Par la suite, il fut avéré que Garot avait découvert la branche
d’extrême droite du réseau stay-behind belge, le SDRA 8
qui comptait dans ses rangs des activistes du WNP. Paul Latinus
assurait le commandement du groupe d’intervention terroriste. Au
cours d’une interview qu’il accorda à Haquin, il confirma avoir
fait partie d’un réseau anticommuniste clandestin. « Latinus
avait été chargé de constituer un groupe, une armée sur le
modèle de la SS », expliqua le journaliste. « Ils
disposaient d’un service secret, un service de sécurité au sein
du groupe. Chaque membre avait un deuxième nom, un nom de code,
généralement en allemand. Les membres ne se connaissaient pas
entre eux. » « J’ai recontacté Paul Latinus. Nous nous
sommes rencontrés dans un restaurant à la campagne et avons
discuté pendant toute la nuit. Certaines autorités, il n’a
d’abord pas voulu préciser lesquelles, lui avaient confié la
tâche de créer en Belgique un groupe de résistance secret.
C’était dans le but de combattre une percée soviétique et
d’empêcher certaines autorités belges de collaborer avec les
Soviets. » [100]
Depuis son exil en Floride, l’ex-membre du WNP et ancien
gendarme Martial Lekeu confirma à Francovich que l’armée secrète
belge avait participé aux tueries du Brabant dans le but de
discréditer la gauche. « L’origine des armes qu’ils
utilisaient était lointaine et c’est exactement ce que nous
avions prévu : organisez des bandes et groupes de ce genre et
laissez-les agir par eux-mêmes tout en assurant leur survie et
leur approvisionnement et vous aurez de quoi créer un climat de
terreur dans le pays », expliquait Lekeu. « Ils avaient
deux plans. Le premier était de constituer des bandes qui
montent des hold-ups avec prises d’otages, vous savez : les
tueries ; le deuxième consistait à organiser un faux “mouvement
de gauche” qui se livrerait à des exactions uniquement pour
faire croire à la population, que ces actes terroristes étaient
l’œuvre de la gauche. » [101]
L’ingénieur nucléaire Paul Latinus
(à droite) avait été recruté dès l’âge de 17 ans par les
services secrets du Pentagone. Il milita dans les milieux
néo-nazis et fonda le Westland New Post (WNP). Il participa à
l’opération Condor au Chili. Arrêté en Belgique dans l’affaire
des tueries du Brabant, il fut exécuté en prison le 24 avril
1985 et sa mort fut grossièrement maquillée en suicide.Ce terrorisme était-il soutenu et encouragé par
l’administration du Président des États-Unis Ronald Reagan qui
au même moment réprimait dans la violence les Sandinistes au
Nicaragua, demanda Francovich au membre du WNP. Michel Libert,
qui avait été chargé de rassembler des informations sur le
fonctionnement des supermarchés sur les ordres du chef du WNP
Paul Latinus confirma à regrets que son supérieur avait
collaboré très étroitement avec les États-Unis : « Il
[Latinus] rencontrait des gens de l’Ambassade [états-unienne]
mais je ne les ai jamais vus comme je vous vois »,
c’est-à-dire face à face. « Ce n’était pas dans mon domaine
de compétences. Le sien c’était, disons, la diplomatie,
c’est-à-dire les relations avec les autorités étrangères. Nous,
nous ne nous occupions que d’actions », rappela le
terroriste Libert. « Nous nous savions protégés, et par
toutes les autorités imaginables, cela dépendait du type de
mission. [Latinus] était-il payé par les Américains ? Je ne
saurais dire, en revanche il était en contact avec eux. » [102]
Le sénateur Roger Lallemand, qui dirigeait l’enquête sur le
Gladio belge, avait donc vu juste en analysant les tueries du
Brabant comme « l’oeuvre de gouvernements étrangers ou de
services de renseignement travaillant pour des puissances
étrangères, une forme de terrorisme visant à déstabiliser notre
société démocratique ». [103]
Le sénateur Lallemand restait prudent dans sa formulation et
se gardait bien d’accuser directement les USA même s’il
insistait sur le fait que ce terrorisme devait être considéré
dans le contexte politique anticommuniste de la guerre froide :
« Ces meurtres gratuits ont pu avoir un mobile politique, on
se souvient de ce qui s’est passé en Italie. À la gare de
Bologne, 80 personnes innocentes ont trouvé la mort. Nous
pensons qu’une organisation politique était derrière les tueries
du Brabant et de Wallonie. » [104]
C’est le journaliste René Haquin qui apporta les pièces manquant
au puzzle dans son entretien avec le terroriste du WNP soutenu
par les USA Paul Latinus : « Lors de nos échanges au cours
des jours et des semaines qui suivirent, je demandai à Latinus
qui lui avait demandé de constituer son groupe. Il a fait
allusion à la Sûreté de l’État. Il évoquait aussi des autorités
militaires étrangères. J’ai insisté et il a fini par parler des
services secrets militaires américains. » [105]
Suite aux tueries du Brabant, Paul Latinus fut arrêté. Mais
avant d’avoir pu révéler quoi que ce soit, le 24 avril 1985, le
commandant d’extrême droite fut retrouvé pendu avec un cordon de
téléphone alors que ses deux pieds touchaient le sol de sa
cellule. « Parmi les relations de Paul Latinus, toutes ou
presque sont convaincues que le patron du WNP ne s’est pas
suicidé mais qu’on l’a liquidé. » « À chaque fois que
l’on a procédé à une reconstitution, le cordon du téléphone
s’est rompu. » Haquin s’interroge : « Si les États-Unis
n’ont rien à voir avec ces tueries, pourquoi choisissent-ils de
ne pas communiquer, de rester silencieux et de laisser grandir
les soupçons ? » [106]
(À suivre…)
[1]
Enquête parlementaire sur l’existence en Belgique d’un réseau
de renseignements clandestin international, rapport fait au nom
de la commission d’enquête par MM. Erdman et Hasquin.
Document Sénat, session de 1990–1991. Bruxelles, p.24. Appelé
ci-dessous le Rapport du Sénat belge de 1991 sur Gladio. Suite à
la découverte des armées secrètes stay-behind d’Europe de
l’Ouest en 1990, le député socialiste Dirk van der Maelen avait
déposé une requête auprès du Parlement belge pour obtenir la
création d’une commission parlementaire chargée d’enquêter sur
le réseau secret. Le Sénat adopta la proposition par 143 voix
pour, 1 voix contre et 5 abstentions. Composée de 19 sénateurs
et présidée par Roger Lallemand, la commission tint 57 séances
et procéda à l’audition de 37 témoins. Parmi eux figuraient
trois ministres, le chef de l’État-major des armées, le chef de
la police, le patron du service de renseignement SGR et des
agents des sections Gladio SDRA 8 et STC/Mob du SGR. S’ils le
souhaitaient, les témoins étaient libres de parler sous couvert
de l’anonymat. « Certaines auditions ont duré 5 ou 6 heures.
Elles se déroulaient dans le plus grand calme. » Le 1er octobre
1991, la Commission d’enquête sur la Gladio belge acheva sa
mission en présentant un rapport de 250 pages. À l’image du
rapport du Sénat italien et du rapport suisse sur le P26, le
rapport belge constitue la preuve d’un véritable effort
démocratique et l’une des meilleures enquêtes sur le réseau
stay-behind.
[2]
Rapport du Sénat belge de 1991 sur Gladio, p.33.
[3]
Ibid., pp.148-149.
[4]
Ibid., p.29.
[5]
Ibid.
[6]
Ibid., pp.24-25.
[7]
Mackenzie, W. J. M., History of the Special Operations
Executive : Britain and the resistance in Europe (British
Cabinet Office, Londres, 1948), pp.1153-1155. L’original du
Bureau des Archives Publiques de Londres n’a toujours pas été
publié, il le sera prochainement chez Frank Cass.
[8]
Mackenzie, Special Operations Executive, p. 981.
[9]
Allan Francovich, Gladio : The Ringmasters. Premier des
trois documentaires de Francovich consacrés au Gladio, diffusé
le 10 juin 1992 sur BBC2.
[10]
Ibid.
[11]
Pour plus d’informations sur l’assassinat de Lahaut, voir
l’enquête d’Étienne Verhoyen et Rudi Van Doorslaer,
L’Assassinat de Julien Lahaut. Une histoire de l’anticommunisme
en Belgique (EPO Press, Anvers, 1987).
[12]
L’intégralité de cette lettre figure dans le Rapport du Sénat
belge de 1991 sur Gladio, pp. 212–213.
[13]
Rapport du Sénat belge de 1991 sur Gladio, p. 213.
Également cité dans le quotidien britannique The Observer
du 7 juin 1992.
[14]
Ibid., p. 18.
[15]
Frans Kluiters, De Nederlandse inlichtingen en
veiligheidsdiensten (1993), p.311.
[16]
Jan de Willems, Gladio (Editions EPO, Bruxelles, 1991),
p.147.
[17]
Kluiters, Nederlandse, p.311. Willems, Gladio, p.147.
[18]
Rapport du Sénat belge de 1991 sur Gladio, op. cit.,
p.18.
[19]
Extrait de Willems, Gladio, p.147.
[20]
Ibid., p.148.
[21]
Ibid., p.149.
[22]
Rapport du Sénat belge de 1991 sur Gladio, p.22.
[23]
Ibid., p.20 et 21.
[24]
Michel Van Ussel, Georges 923. Un agent du Gladio belge
parle. Témoignage (Éditions la Longue Vue, Bruxelles, 1991),
p.150.
[25]
Périodique britannique Statewatch, janvier 1992.
[26]
Rapport du Sénat belge de 1991 sur Gladio, p.22.
[27]
Périodique britannique Statewatch, juillet/août 1992.
[28]
Rapport du Sénat belge de 1991 sur Gladio, p.6, 29, 30.
Et Van Ussel, Georges 923, p.19–27.
[29]
Ibid., p.38.
[30]
Ibid., p.58.
[31]
Ibid., p.55.
[32]
Ibid.
[33]
Extrait du Rapport du Sénat belge de 1991 sur Gladio,
p.25.
[34]
Ibid.
[35]
Ibid., p.137.
[36]
Ibid., p.62.
[37]
Van Ussel, Georges 923, p.141.
[38]
Rapport du Sénat belge de 1991 sur Gladio, p.57.
[39]
Van Ussel, Georges 923, p.81.
[40]
Rapport du Sénat belge de 1991 sur Gladio, p.61.
[41]
Allan Francovich, Gladio : The Ringmasters. Premier des
trois documentaires de Francovich consacrés au Gladio, diffusé
le 10 juin 1992 sur BBC2.
[42]
Van Ussel, Georges 923, p.79.
[43]
Ibid., p.59.
[44]
Ibid., p.86.
[45]
Ibid., p.51 and 107.
[46]
Rapport du Sénat belge de 1991 sur Gladio, p.28.
[47]
Ibid., p.33.
[48]
Ibid., p.37
[49]
Ibid., p.45.
[50]
Ibid., p.59.
[51]
Ibid., p.47.
[52]
Ibid., p.45.
[53]
Ibid., p.66.
[54]
Ibid., p.44.
[55]
Ibid., p.47.
[56]
Van Ussel, Georges 923, p.43.
[57]
Ibid., p.57.
[58]
Rapport du Sénat belge de 1991 sur Gladio, p.78.
[59]
Hugh O’Shaughnessy, « Gladio :
Europe’s best kept secret ». Ces agents étaient censés
rester derrière les lignes ennemies en cas d’invasion de
l’Europe de l’Ouest par l’Armée rouge. Mais ce réseau mis en
place avec les meilleures intentions dégénéra dans certains pays
en instrument du terrorisme et de l’agitation politique
d’extrême droite. Dans le quotidien britannique The Observer,
du 7 juin 1992.
[60]
Rapport du Sénat belge de 1991 sur Gladio, p.47–48.
[61]
Allan Francovich, Gladio : The Foot Soldiers. Dernier des
trois documentaires de Francovich consacrés au Gladio, diffusé
le 24 juin 1992 sur BBC2.
[62]
Ibid.
[63]
Ibid.
[64]
Ibid.
[65]
Ibid.
[66]
Hugh O’Shaughnessy, op cit.
[67]
Manuel Abramowicz, Le dictionnaire des ‘années de plomb’
belges. Pour plus d’informations sur les CCC, voir également
Jos Vander Velpen, Les CCC – L’Etat et le terrorisme (EPO
Dossier, Anvers, 1988).
[68]
Allan Francovich, Gladio : The Foot Soldiers. op cit.
[69]
Extrait de Willems, Gladio, p.13.
[70]
Chronologie des crimes attribués aux tueurs du Brabant
Date |
Lieu |
Bilan |
Cible |
14/08/1982 |
Maubeuge, France |
1 blessé |
attaque d’une épicerie |
30/09/1982 |
Wavre, Brabant |
1 tué, 3 blessés |
attaque d’une armurerie |
30/09/1982 |
Hoeilaart, Brabant |
2 blessés |
fusillade du BSR |
23/12/1982 |
Bruxelles, Brabant |
1 mort |
attaque de l’Hôtel des Chevaliers |
09/01/1983 |
Mons, Brabant |
1 mort |
meurtre d’un chauffeur de taxi |
25/02/1983 |
Uccle, Brabant |
1 blessé |
attaque d’un supermarché Delhaize |
03/03/1983 |
Hal, Brabant |
1 mort, 1 blessé |
attaque d’un magasin Colruyt |
10/09/1983 |
Temse, Brabant |
1 mort, 1 blessé |
attaque d’une boutique de vêtements |
17/09/1983 |
Nijvel, Brabant |
3 morts, 1 blessé |
attaque d’un magasin Colruyt |
17/09/1983 |
Braine-l’Alleud, Brabant |
1 blessé |
échange de coups de feu avec la
police |
02/10/1983 |
Ohain, Brabant |
1 mort |
attaque d’un restaurant |
07/10/1983 |
Beersel, Brabant |
1 mort, 3 blessés |
attaque d’un supermarché Delhaize |
01/12/1983 |
Anderlues, Brabant |
2 morts |
attaque d’une bijouterie |
27/09/1985 |
Braine-l’Alleud, Brabant |
3 morts, 1 blessé |
attaque d’un suermarché Delhaize |
27/09/1985 |
Overijse, Brabant |
5 morts, 1 blessé |
attaque d’un supermarché Delhaize |
09/11/1985 |
Alost, Brabant |
8 morts, 9 blessés |
attaque d’un supermarché Delhaize |
D’après la Chambre des Représentants de Belgique : Enquête
parlementaire sur les adaptations nécessaires en matière
d’organisation et de fonctionnement de l’appareil policier et
judiciaire, en fonction des difficultés survenues lors de
l’enquête sur ‘les tueurs du Brabant’. Rapport fait au nom
de la commission d’enquête par MM. Renaat Landuyt et
Jean-Jacques Viseur. Bruxelles, 14 octobre 1997, p.21–22.
[71]
Allan Francovich, Gladio : The Foot Soldiers, op. cit..
[72]
Marcus Warren, « The Slaughter that still Haunts Belgium » dans
l’hebdomadaire britannique Sunday Telegraph du 26
novembre 1995.
[73]
Rapport du Sénat belge de 1991 sur Gladio, p.100.
[74]
Ibid., p.141.
[75]
Ibid., p.53.
[76]
Ibid., p.54. Voir également Boris Johnson, « Secret war
over identities of Gladio agents » dans le quotidien britannique
The Daily Telegraph du 29 mars 1991.
[77]
Rapport du Sénat belge de 1991 sur Gladio, p.54.
[78]
Ibid., p.51.
[79]
Périodique britannique Statewatch, mai/juin 1996.
[80]
Chambre des Représentants de Belgique : Enquête parlementaire
sur les adaptations nécessaires en matière d’organisation et de
fonctionnement de l’appareil policier et judiciaire, en fonction
des difficultés survenues lors de l’enquête sur ‘les tueurs du
Brabant’. Rapport fait au nom de la commission d’enquête par
MM. Renaat Landuyt et Jean-Jacques Viseur. Bruxelles, 14 octobre
1997.
[81]
John Palmer, « Trial Fuels Claims of Right-Wing Belgian
Terrorist Conspiracy » dans le quotidien britannique The
Guardian du 28 janvier 1988.
[82]
Allan Francovich, Gladio : The Foot Soldiers.
[83]
Ibid.
[84]
Ibid.
[85]
Ibid.
[86]
Phil Davison, « A Very Right-Wing Coup Plot Surfaces in Belgium »
dans l’hebdomadaire britannique The Independent on Sunday,
du 24 janvier 1990.
[87]
Ed. Vulliamy, « Secret
agents, freemasons, fascists… and a top-level campaign of
political ‘destabilisation’ : ‘Strategy of tension’ that brought
carnage and cover-up » dans le quotidien britannique The
Guardian du 5 décembre 1990.
[88]
Willems, Gladio, p.151.
[89]
Agence de presse internationale Reuters, 1er octobre 1990 et 25
janvier 1988.
[90]
Allan Francovich, Gladio : The Foot Soldiers.
[91]
Ibid.
[92]
Phil Davison, op cit.
[93]
Manuel Abramowicz, Le dictionnaire des ‘années de plomb’
belges.
[94]
Allan Francovich, Gladio : The Foot Soldiers.
[95]
Manuel Abramowicz, Le dictionnaire des ‘années de plomb’
belges.
[96]
Allan Francovich : Gladio : The Foot Soldiers.
[97]
Ibid.
[98]
Ibid.
[99]
Ibid.
[100]
Ibid.
[101]
Ibid.
[102]
Ibid.
[103]
Hugh O’Shaughnessy, « Gladio : Europe’s best kept secret ».
[104]
Allan Francovich, Gladio : The Foot Soldiers.
[105]
Ibid.
[106]
Manuel Abramowicz, Le dictionnaire des ‘années de plomb’
belges.
Cet article constitue le dixième chapitre des
Armées secrètes de l’OTAN
© Version française : éditions Demi-lune (2007).
Daniele Ganser, Historien suisse,
spécialiste des relations internationales contemporaines. Il est
enseignant à l’Université de Bâle.
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