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Opinion
Hashim Thaci: l'homme de l'OTAN et de
Kouchner au Kosovo
Daniel Salvatore Schiffer
Hashim Thaci
Jeudi 16 décembre 2010
Il n’est jamais trop tard, même s’il s’agissait là, pour ceux qui
s’intéressent d’un peu plus près à la guerre en ex-Yougoslavie,
d’un secret de polichinelle. Hashim Thaci, ex-commandant en chef
de l’ancienne Armée de Libération du Kosovo (UCK) et actuel
Premier Ministre, fraîchement réélu, de ce même pays, vient
d’être très officiellement accusé, dans un rapport rédigé par le
sénateur suisse Dick Marty pour le compte du très respectable
Conseil de l’Europe, d’être le « parrain », certes caché mais
d’autant plus redoutable, d’un réseau impliqué depuis 1999, date
à laquelle s’intensifia l’offensive serbe dans cette région
meurtrie des Balkans et en réponse à quoi l’OTAN mena alors sa
campagne de bombardements, dans les pires trafics : d’ignobles
et sanglants trafics d’armes, de drogue (héroïne et cocaïne) et
d’organes, eux-mêmes prélevés, ignominie d’entre les ignominies,
sur des prisonniers, civils pour la plupart, serbes. Ne manque
plus en cette macabre et terrible liste, mais probablement
est-ce là un oubli de la part du rédacteur de cet accablant
rapport, que le trafic, peut-être plus abominable encore,
d’êtres humains, dont on sait que la prostitution, y compris aux
dépens de filles mineures, représente, pour la mafia albanaise,
l’un des commerces les plus honteusement lucratifs.
Ces informations, Carla Del Ponte, ex-procureure du Tribunal Pénal
International pour l’ex-Yougoslavie (TPIY), les avaient certes
déjà révélées en 2008. Mais avec les conséquences, extrêmement
néfastes pour elle, que l’on sait : très sévèrement critiquée
pour sa liberté de parole, elle fut aussitôt rappelée à l’ordre,
sinon carrément réprimandée, par sa hiérarchie
politico-administrative (le département helvétique des affaires
étrangères) et son livre, publié dans une maison d’édition
italienne, ne trouva guère d’écho auprès des grands éditeurs
européens. Censure !
Pis : ce fut l’inénarrable docteur Bernard Kouchner en personne,
alors responsable du Quai d’Orsay avant que d’y avoir fait
lamentablement naufrage, qui, soucieux de préserver son ancienne
image d’administrateur du Kosovo (où il fut, de juillet 1999 à
janvier 2001, le Haut Représentant de l’ONU, baptisée en la
circonstance « MINUK »), fit l’impossible pour démentir à tout
prix, n’hésitant pas pour cela à manipuler l’opinion publique
tout autant que les sphères médiatiques, les propos, pourtant
déjà corroborés par d’indéniables preuves, de celle (Carla Del
Ponte, précisément) dont, son désormais légendaire opportunisme
ne lui faisant craindre ni la contradiction ni la vergogne, il
avait cependant vanté les mérites, quelques années auparavant,
lorsqu’elle fit arrêter, puis incarcérer dans la prison de La
Haye, les criminels de guerre serbes (Milosevic et autre
Karadzic).
Davantage (et oserais-je le dire maintenant qu’il vient, il y a
quelques jours à peine, de trépasser ?) : il n’est pas jusqu’à
Richard Holbrooke, le fameux artisan des très bancaux mais
néanmoins bienvenus Accords de Dayton (ceux-là mêmes qui mirent
fin, en 1995, à la guerre de Bosnie) et célèbre diplomate
américain dont Barack Obama s’est empressé de faire tout
récemment l’éloge funèbre, qui, désireux lui aussi de ne pas
entacher son œuvre au Kosovo (c’est en grande partie à lui,
alors envoyé spécial de Bill Clinton dans les Balkans, que l’on
doit les bombardements de l’OTAN contre la Serbie), ne se
démenât comme un beau diable pour faire museler l’ex-procureure
du TPIY, l’empêchant ainsi de s’adonner à toute ultérieure et
embarrassante fuite quant aux turpitudes de ce Hashim Thaci au
sein d’un Kosovo à l’indépendance alors naissante mais
constituant surtout, pour une Amérique dont le pragmatisme
politique n’a trop souvent que faire des valeurs morales, une
importante place géostratégique dans cette partie de l’Europe.
Car telle est bien, hélas pour notre sens éthique comme pour notre
volonté démocratique, la vérité, aussi simple à avouer que
difficile à admettre : c’est avec cet argent, particulièrement
sale, que l’UCK a financé sa guérilla contre les Serbes. Pis :
ce sont ces innommables crimes, les pires que l’(in)humanité
puisse connaître – trafics d’armes, de drogue et d’organes,
auxquels il conviendrait donc d’ajouter l’encore plus abjecte
traite d’êtres humains, cette forme moderne d’esclavage - que
bon nombre de gouvernements occidentaux se sont échinés à taire,
sinon occulter, pendant plus de dix ans, avec la complicité de
certaines chancelleries ou personnalités corrompues, pour mettre
en œuvre leur efficace mais basse stratégie
géopolitique.
Du reste, ces accusations portées à l’encontre de Hashim Thaci ne
sont, comme je l’ai suggéré plus haut, pas neuves. En l’an 2003
déjà, après que Belgrade eut lancé contre lui un mandat d’arrêt
international, via Interpol, pour trafic de drogue justement, il
fut brièvement arrêté à l’aéroport de Budapest, en Hongrie,
avant que le Ministère français des Affaires Etrangères, encore
lui, ne le fasse libérer sur le champ, contrevenant lui-même
ainsi, pour corser l’affaire, aux lois de la justice
internationale. Puis il y eut 2005, année où il fut enfin
ouvertement soupçonné, par le TPIY cette fois, de crimes de
guerre. Et ce parallèlement à l’arrestation, par cette même
institution, de trois de ses principaux lieutenants lorsqu’il
était à la tête de la milice kosovare (la tristement célèbre
UCK, donc). Mais ce fut alors Madeleine Albright, ancienne
Secrétaire d’Etat sous Bill Clinton, qui, l’ayant toujours
protégé depuis qu’elle l’imposa lors des négociations, au
château de Rambouillet, sur une éventuelle partition du Kosovo
entre Serbes et Albanais, empêcha que ledit dossier
d’inculpation suive, normalement, son cours
politico-judiciaire.
C’est dire, en effet, si la diplomatie occidentale,
dont le sens de l’honneur lui fait parfois cruellement défaut,
est au courant, depuis bien longtemps, des crimes et autres
malversations, gravissimes s’il en est, de ce personnage,
particulièrement peu recommandable et même hautement
infréquentable, qu’est Hashim Thaci. Mais il est vrai,
malheureusement pour la vérité historique elle-même, qu’il n’y
avait pas encore, à l’époque, WikiLeaks, ni un quelconque Julian
Assange, pour oser dévoiler au grand jour, et se risquer à
mettre ainsi en pleine quoique sombre lumière, les
inqualifiables iniquités des puissants de ce monde !
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