Counterpunch
Libye, Afrique et
Africom : une catastrophe en cours
Dan
Glazebrook
Mardi 29 mai 2012
La destruction du pouvoir
régional indépendant qu’était la
Libye a pavé la route pour la
reconquête militaire de
l’Afrique.
L’étendue de la tragédie que
l’OTAN et ses alliés ont
engendrée en Libye devient de
plus en plus tristement évidente
avec chaque jour qui passe. Les
estimation sur le nombre des
victimes varient, mais il semble
qu’il y en ait eu au moins 50
000 ; à vrai dire, le ministère
de la Défense britannique se
vantait déjà en mai dernier que
la massacre avait fait 35 000
morts. Mais ce chiffre ne
cesse d’augmenter. La
destruction des forces de l’état
par le blitzkrieg Anglais,
Français et Etasunien a laissé
le pays dans un état de totale
anarchie - au pire sens du
terme.
Les anciens "rebelles", qui
n’avaient rien d’autre pour les
unir que la volonté temporaire
de servir de soldats au sol à
l’OTAN, se retournent les uns
contre les autres.
147 ont été tués au cours
d’un conflit interne dans le sud
de la Libye plus tôt dans
l’année, et ces dernières
semaines des bâtiments
gouvernementaux -
dont les quartiers du premier
ministre - ont été attaqués
par des "rebelles" qui
réclamaient leurs salaires.
1,4 milliards de dollars
leur ont déjà été versés - ce
qui prouve une fois de plus que
c’étaient les forces coloniales
de l’OTAN, et non Kadhafi, qui
employaient des "mercenaires" -
mais les règlements ont été
suspendus le mois dernier à
cause du népotisme généralisé.
La corruption devient générale -
2,5 milliards de revenus du
pétrole qui devaient être remis
au trésor public se sont
évanouis. Les ressources
libyennes sont maintenant
pillées à la fois par les
multinationales pétrolières et
par une poignée de familles
issues des
nouvelles élites du pays ;
un schéma néocolonial classique.
L’utilisation des ressources
pour de grands projets
d’infrastructure comme la Grande
Rivière Artificielle (1) ainsi
que la hausse massive du niveau
de vie des habitants pendant les
quatre dernières décennies
(l’espérance de vie des Libyens
est passée
de 51 à 77 ans depuis
l’arrivée au pouvoir de Kadhafi
en 1969) ne sont apparemment
déjà plus que des souvenirs,
hélas.
Mais malheur à celui qui
oserait le dire aujourd’hui. Il
a été décidé il y a longtemps
qu’aucun
partisan de Kadhafi ne serait
autorisé à participer aux
élections à venir mais des
décisions encore plus drastiques
viennent d’être prises.
La loi 38, que le nouveau
gouvernement imposé par l’OTAN a
votée le mois dernier, a créé un
nouveau crime : la
"glorification" de l’ancien
gouvernement ou de son leader
est punie d’une peine qui peut
aller jusqu’à l’emprisonnement à
vie. Un commentaire aussi vague
que de dire que les choses
allaient mieux sous Kadhafi
tombe-t-il sous le coup de la
loi ? La loi est volontairement
assez vague pour permettre
toutes les interprétations.
C’est la porte ouverte à la
persécution étatique
institutionnalisée.
La loi 38 est encore plus
révélatrice du mépris du
gouvernement pour l’état de
droit - un gouvernement,
souvenez-vous, qui n’a toujours
pas le moindre mandat populaire
et dont le seul pouvoir repose
sur les forces armées
coloniales. Cette loi accorde
l’immunité à tous ceux qui ont
commis des crimes dans le but
"de promouvoir ou de protéger la
révolution". Les responsables
du nettoyage ethnique de
Tawergha - telle que "la
brigade pour purger le pays des
noirs" comme elle s’est
elle-même nommée - peuvent
tranquillement continuer
leur chasse aux réfugiés de la
ville sachant qu’ils ont la
loi de leur côté. Les
responsables des massacres de
Syrte et d’ailleurs n’ont
rien à craindre. Ceux qui ont
participé à la torture
généralisée des prisonniers
peuvent continuer à le faire en
toute impunité -tant que cela
"protège la révolution" -
autrement dit tant que cela
maintient la dictature de l’OTAN
et du Conseil National de
Transition (CNT).
Voilà la Libye d’aujourd’hui
: la guerre civile y fait rage,
les ressources sont pillées, la société s’effondre et le fait
d’exprimer le regret du temps où
la Libye était prospère et en
paix est puni comme un crime
tandis que le lynchage et la
torture ne sont pas seulement
permis mais encouragés.
De plus le désastre a dépassé
les frontières. La
déstabilisation de la Libye
s’est propagée au Mali où elle a
engendré un coup d’état et la
fuite d’innombrables réfugiés -
notamment parmi les noirs
immigrés en Libye - vers les
pays voisins ; ces réfugiés en
essayant d’échapper à la fois
aux attaques aériennes et au
lynchage ont ajouté aux
difficultés économiques d’autres
pays. De nombreux
combattants libyens qui ont
fini leur travail en Libye sont
maintenant transférés en Syrie
par leurs maîtres impérialistes
pour y répandre aussi leur
violence sectaire.
Et chose plus inquiétante
encore pour le continent
africain, AFRICOM - le
commandement militaire étasunien
- progresse dans le sillage de
l’agression contre la Libye. Ce
n’est pas par hasard que
seulement un mois après la chute
de Tripoli - et au cours du mois
où Kadhafi a été assassiné
(octobre 2011) - les Etats-Unis
ont annoncé qu’ils
envoyaient des troupes dans
pas moins de quatre pays
africains -la République Centre
Africaine, l’Ouganda, le
Sud-Soudan et la République
Démocratique du Congo. Et
AFRICOM vient d’annoncer
14 importantes manoeuvres
militaires conjointes dans
les pays africains en 2012, ce
qui ne s’était jamais vu. La
reconquête militaire de
l’Afrique est en bonne voie.
Rien de tout cela n’aurait
été possible avec Kadhafi au
pouvoir. En tant que fondateur,
principal donateur et ancien
président élu de l’Union
Africaine, il exerçait une
grande influence sur le
continent. C’est en partie grâce
à lui que les Etats-Unis ont été
forcés d’installer le quartier
général d’AFRICOM à Stuttgart en
Allemagne quand l’organisme a
été créé plutôt qu’en Afrique ;
ils avaient offert de l’argent
et des investissements à des
gouvernements africains mais ces
derniers ont refusé d’accueillir
leurs bases. On estime que la
Libye du temps de Kadhafi avait
investi à hauteur de 150
milliards de dollars en Afrique
et la proposition libyenne, avec
un apport de
30 milliards de dollars à la
clé, de mettre en place une
Banque de développement de
l’Union Africaine aurait
sérieusement diminué la
dépendance financière de
l’Afrique à l’Occident. Bref, la
Libye de Kadhafi était le seul
obstacle notable à la
pénétration d’AFRICOM en
Afrique.
Maintenant qu’il n’est plus,
AFRICOM met les bouchées
doubles. L’invasion de l’Irak et
de l’Afghanistan ont montré les
guerres qui faisaient des
victimes occidentales n’étaient
pas populaires en Occident ;
AFRICOM est conçu pour que, dans
les guerres coloniales qui
seront lancées contre l’Afrique,
ce soient les Africains
eux-mêmes qui se battent et
meurent et non des Occidentaux.
Les forces de l’Union Africaine
doivent être intégrées à AFRICOM
sous commandement étasunien.
Kadhafi ne l’aurait jamais
accepté ; c’est pourquoi il
devait être éliminé.
Et pour avoir une idée de ce
que sera l’Afrique sous la
tutelle d’AFRICOM, il suffit de
regarder la Libye, le modèle
africain de l’OTAN : un état
condamné à des décennies de
violence et de traumatisme et
complètement incapable de
nourrir sa population et de
contribuer à l’indépendance de
la région ou du continent.
Il faut absolument mettre un
terme immédiat au nouveau
colonialisme militaire en
Afrique.
DAN GLAZEBROOK
Pour consulter l’original:http://www.counterpunch.org/2012/05/25/libya-africa-and-afri...
Notes : 1.
http://fr.wikipedia.org/wiki/Grande_Rivi%C3%A8re_Artificiell...
Traduction : Dominique
Muselet pour LGS
© LE GRAND SOIR -
Diffusion non-commerciale autorisée et
même encouragée.
Merci de mentionner les sources.
Publié le 30 mai 2012
Le dossier Afrique noire
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